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Pourquoi il faut voir Leila et ses frères
À peine âgé de 33 ans, le réalisateur iranien Saeed Roustaee nous avait convaincus avec son premier film La loi de Téhéran. Cela n’a pas empêché qu’avec Leila et ses frères, on a pris une claque monumentale.
Il ne faudrait surtout pas se laisser dissuader par les 2h39 que dure le film. On ne les voit pas passer et on a même du mal à revenir à la réalité lorsque l’écran redevient noir. Et pour cause. Les acteurs accomplissent une performance impressionnante. Ils rythment cette fresque passionnante, pleine de rebondissements et de moments d’une puissance inouïe.
Finesse des dialogues dont chaque ligne retourne le cerveau, fait rire ou crève le cœur, densité de chaque personnage, richesse et profondeur des thèmes abordés (l’absurdité tragique du patriarcat mais aussi du capitalisme financier, la précarité, la famille, les derniers jours d’une personne âgée…), le film de Saeed Roustaee n’a rien à envier à un Francis Ford Coppola ou un Martin Scorses. On regrette infiniment le choix Cannois de ne pas avoir récompensé ce chef-d’œuvre, encore meilleur (et ce n’est pas rien de le dire) que Parasite, Palme d’Or méritée à lors du festival en 2019.
Madmoizelle a eu l’occasion de rencontrer Saeed Roustaee.
Entretien avec le réalisateur Saeed Roustaee, enfant prodige du cinéma iranien
Madmoizelle. Au cinéma, on a l’impression de toujours voir des films centrés sur un seul personnage, pourtant ce n’est pas le cas de Leila et ses frères. Est-ce que cela vous tient à cœur de faire des films en filmant du collectif plutôt qu’un individu ?
Saeed Roustaee. C’est vrai que le personnage principal, ce n’était pas Leila mais la famille. Mon idée était vraiment de filmer une famille, et c’est à l’intérieur de cette dernière que l’on voit surgir les individualités. Après, il y a aussi des plans qui au contraire se déploient dans l’espace. C’est le cas au début, à l’usine. Je voulais élargir les perspectives, montrer l’ampleur d’une catastrophe à travers la fermeture d’usines et la perte de milliers d’emplois.
Madmoizelle. À l’inverse, il y a des plans extrêmement courts qui racontent des choses tout aussi denses… comme ce moment furtif où Alireza croise le regard d’une femme dont on devine qu’il l’a aimée.
Saeed Roustaee. (Rires) C’est ma scène préférée du film !
Madmoizelle. Dans le film, les dialogues sont aussi réussis et importants que la mise en scène. Pourtant, on pourrait penser qu’un film bien mis en scène dit déjà tellement de choses qu’il n’a presque pas besoin de dialogues. Est-ce que ça a été un défi pour vous de concilier les deux ?
Saeed Roustaee. Pour faire le film, on a cherché un tout petit appartement. On en a collé un qui faisait 30 m2 et un autre de 40 m2. Et on s’est retrouvé à 70 personnes dans 90 m2. C’était la première fois dans l’histoire du cinéma iranien.
En fait, c’est vraiment un espace où les personnages n’ont jamais l’occasion d’être seuls et de réfléchir. C’est pour ça qu’ils disent tout, qu’ils vont fouiller dans la vie des autres, qu’ils pensent à voix haute et qu’il n’y a aucun espace intérieur. Donc en réalité, les dialogues et la mise en scène allaient de pair.
Madmoizelle. Pendant le film, j’ai beaucoup rigolé. Pourtant, à la fin, j’ai pleuré… comme si j’avais pris conscience tard de la puissance émotionnelle du film. Est-ce que vous faites attention à l’humour quand vous écrivez ?
Saeed Roustaee. Le film est dramatiquement drôle et drôle de façon dramatique. Les situations sont tellement désespérées et absurdes qu’elles en deviennent drôles. Quand les acteurs ont découvert le scénario, ils étaient étonnés. Pourtant ce n’est que la réalité ! Il y a un moment du film où, le temps que les personnages prennent à traverser la rue, le prix du dollar a doublé. Ça, c’est une réalité. Pourtant, c’est complètement absurde.
L’idée du film m’est venue parce que j’ai des amis qui ont épargné pendant 10 ans pour s’acheter un appartement. Après 10 ans, ils ont réuni la somme, sauf qu’entre-temps les prix avaient explosé…si bien qu’ils ont dû acheter un bien plus petit que leur maison d’origine.
Madmoizelle. Voudriez-vous nous parler de votre méthode de travail, pour faire des films aussi minutieux et virtuoses ?
Saeed Roustaee. J’ai toujours énormément d’idées. Quand je sors un film, j’ai déjà plein d’idées pour faire le suivant. Mais parmi ses idées, il y en a toujours une qui vient me chercher. Ce n’est pas moi qui cherche l’idée, c’est elle qui vient me chercher.
Ensuite, Quand j’ai une idée de film, j’écris, j’écris, j’écris. Toute ma vie, c’est travailler. J’écris longtemps et c’est seulement une fois que je considère que le film est terminé que je commence à faire des repérages pour le tournage, à en parler aux acteurs, à commencer à filmer avec une petite caméra.
Une autre particularité, c’est que j’ai une idée précise pour tout. À moins que les acteurs proposent une idée encore meilleure que la première, tout est comme je l’avais écrit.
Madmoizelle. Pour finir, j’aimerais connaître votre avis sur un grand mystère de la vie. Pourquoi les Iraniens font les meilleurs films du monde ? C’est incroyable, j’ai l’impression dès que je vois un film iranien, même le plus modeste, il est excellent !
Saeed Roustaee. (Rires) C’est parce qu’on est inscrits dans une histoire ! Celle du cinéma iranien. On hérite de cette histoire.
Un merci particulier à Asal Bagheri, traductrice et interprète en français et en persan. Cet entretien aurait été différent sans l’immense qualité de son travail.
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Crédit de l’image à la Une : © Amirhossein Shojaei
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