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Le 24 avril 2020
Hier soir, en faisant défiler ma timeline Twitter pour échapper à la morosité du confinement, je ne pensais pas me retrouver à lire un long entretien avec Léa Seydoux.
Mais que veux-tu, la vie est pleine de surprises.
Léa Seydoux parle féminisme et #MeToo en interview
C’est par ce tweet de l’autrice Mona Chollet (Beauté fatale, Chez soi, Sorcières) que j’ai découvert l’interview accordée par Léa Seydoux au magazine Harper’s Bazaar ce 1er avril 2020 :
Intriguée par l’accroche parlant de « masculinisme », j’ai décidé d’aller lire les propos de l’actrice française pour comprendre de quoi il retournait.
Léa Seydoux et le « masculinisme »
Sophie Elmhirst, la journaliste qui l’a interrogée, retranscrit ainsi les propos de Léa Seydoux :
Sa position ne tend pas vers l’extrémisme, mais vers l’égalité.
« C’est bien d’être féministe », explique-t-elle, « mais nous devrions être « masculinistes » aussi. Et vice-versa. Les hommes devraient être féministes. Nous devrions nous soutenir mutuellement. »
Léa Seydoux parle aussi de son personnage dans Spectre, et des femmes dans les James Bond plus généralement, en disant « Nous ne sommes pas là pour assouvir la sexualité de Bond ». Elle s’interroge :
« Ce qu’on oublie, c’est que James Bond aussi est un objet sexuel. Il est totalement un objet sexuel. Il est l’un des rares, peut-être l’un des seuls personnages masculins à être sexualisés.
Je pense que les femmes aiment regarder Bond, non ? Voir son corps. Non ? Vous ne pensez pas ? »
Léa Seydoux, le féminisme et #MeToo
Léa Seydoux exprime sa chance de vivre dans un pays où, selon elle, rien ne lui a jamais fait sentir qu’elle était inférieure à un homme, rien ne lui a paru impossible parce qu’elle était une femme.
Elle revient sur une tribune qu’elle a publiée dans le Guardian en pleine vague #MeToo, et intitulée « J’ai dû me défendre » : la nuit où Harvey Weinstein s’est jeté sur moi.
À présent, Seydoux regrette ce titre. Qui a tout faux, selon elle.
« Je voulais dire que je ne me victimise pas, que je suis consciente… je ne suis pas naïve, c’est tout. »
Seydoux est suspicieuse face à la mentalité de victimisation qui semble avoir gagné en puissance depuis le mouvement #MeToo.
« Il y a beaucoup d’hypocrisie », affirme-t-elle avec véhémence. « Parce que les gens savaient ! Et ils en tirent avantage, maintenant, disent « Oui, j’ai été une victime », et deviennent des héros. Allons ! À mes yeux, un héros pardonnerait. »
Pardonner les hommes qui ont abusé de leurs positions, qui ont abusé de tant de femmes ?
« Eh bien quoi ? Parce qu’ils ont fait ce qu’ils ont fait ? Ils sont morts ? »
Seydoux semble perplexe.
« Nous avons besoin de pardon, pas vrai ? »
L’actrice continue :
« Je pense que c’est formidable que les femmes prennent la parole. Dans tellement de pays, la condition des femmes est terrible, terrible. Et je comprends aussi que pour les générations passées, ce fut une vraie lutte. […]
J’aimerais simplement que ça [pas juste #MeToo, mais tout le discours, NDLR] soit moins violent. Et nous devrions être capables de pardonner. »
Dans l’interview, Léa Seydoux parle aussi du fait d’être hypersensible, d’avoir été une enfant « très timide. Presque autiste. Presque. J’étais complètement, complètement dans mon monde ».
Elle évoque également son rôle de mère (elle a un enfant de 3 ans), son rapport à l’art et sa passion pour la rénovation de vieux bâtiments.
Léa Seydoux fait polémique en parlant féminisme et #MeToo
Tu ne seras pas surprise d’apprendre que ces propos n’ont pas été très bien accueillis par tout le monde. Quelques féministes ont critiqué le discours de Léa Seydoux.
Illana Weizman, qui se décrit comme « féministe intersectionnelle et inclusive », a par exemple consacré un court thread à ce que Léa Seydoux déclare au sujet des victimes :
D’autres ont été moins pédagogues — j’ai vu passer des « connasse », des « Léa Seydoux is trash
», des gens souhaitant qu’elle ne prenne plus la parole publiquement.
La réception des propos de Léa Seydoux est d’ailleurs abordée dès l’interview. Après ses propos sur le « masculinisme », la journaliste écrit, par exemple :
C’est une façon de voir les choses typique de Seydoux : nuancée, réfractaire à toute réduction « en noir et blanc » qui vise à créer des gentils et des méchants.
Ce n’est pas le genre d’opinion qui passerait bien sur les réseaux sociaux, et ça risque d’être mal compris, mais je ne suis pas sûre que ça dérangerait Seydoux.
Dans une culture où les messages que les gens envoient sont si mesurés, où tout le monde s’inquiète de dire la bonne chose de la bonne façon, elle est résolument indépendante.
Sophie Elmhirst écrit aussi :
Seydoux ne dit pas toujours ce qu’on s’attend à ce qu’elle dise, ni, peut-être, ce qu’elle devrait dire.
« Je ne suis pas politiquement correcte », dit-elle — sur un ton informatif, pas défiant.
Léa Seydoux, une victime du patriarcat différente
Je me sens un peu ambivalente face aux propos de Léa Seydoux, mais aussi aux réactions qu’ils provoquent.
Bien sûr, il est bon de pouvoir débattre et réagir à une interview, tant que c’est fait dans le respect — exit donc les « connasse », pour ma part.
Je t’offre donc mes réflexions.
Léa Seydoux n’est probablement pas « masculiniste »
Quand Léa Seydoux parle de la nécessité pour les femmes ET les hommes d’avancer vers l’égalité, elle parle de « masculinisme ». Avec DES GUILLEMETS. C’est important.
Car le terme « masculinisme », comme tu le sais peut-être, ne décrit pas « la lutte contre les stéréotypes de genre pesant sur les hommes afin d’atteindre l’égalité » : ce n’est pas « un féminisme au masculin ».
Au contraire, selon le sociologue Francis Dupuis-Déri :
« Du côté anglophone, le mot est employé le plus souvent pour désigner l’idéologie patriarcale ou une perspective masculine androcentrée.
Du côté francophone, à partir des années 90, le mot est de plus en plus fréquemment employé pour désigner un courant antiféministe. »
En effet, le terme a été trusté par des personnes qui ne défendent pas l’égalité. Mais il me semble évident que Léa Seydoux ne se réclame pas des mouvements masculinistes misogynes — d’où les guillemets !
C’est simplement qu’il n’y a pas de mot désignant le fait de s’intéresser à la façon, bien réelle, dont le patriarcat fait aussi du mal aux hommes. C’est un manque auquel je suis régulièrement confrontée quand je me penche sur le sujet des masculinités.
Enfin, c’est comme ça que je comprends le propos de Léa Seydoux, peut-être que j’ai tort, mais je pense qu’il faut quand même lui laisser le bénéfice du doute.
Léa Seydoux, une « mauvaise victime » ?
Au-delà de ce passage sur le « masculinisme », ce qui m’emmerde c’est que je trouve que certaines semblent détacher Léa Seydoux des « victimes » (de violences sexuelles, de violences sexistes, bref, du patriarcat).
Le thread que j’ai mentionné plus haut finit ainsi :
« Les victimes veulent la justice », assène Illana Weizman — contrairement à Seydoux, qui appelle plutôt au pardon.
Mais pourquoi détacher les deux ? Léa Seydoux aussi a été victime de violences sexistes ; certaines, ayant eu lieu dans le cadre de son travail, sont rappelées dans l’interview, d’autres sont probablement inconnues du grand public.
Être riche et célèbre ne protège pas du patriarcat : comme toutes les femmes, l’actrice a vécu le sexisme. Elle est une victime.
Elle est simplement une victime avec un avis différent sur la résilience, avec une façon différente de vivre malgré les violences subies.
Le pardon, le viol, et la résilience
Cette polémique me rappelle celle ayant suivi la parution, sur madmoiZelle, d’un article relayant une conférence tenue par une victime de viol et par son agresseur.
Des années après avoir été violée, la femme, prénommée Thordis, écrivait au coupable, Tom :
J’ai écrit : « Je veux trouver un pardon » et ça m’a surprise. Mais j’ai réalisé que c’était mon moyen de mettre fin à cette souffrance, qu’importe s’il méritait ou pas mon pardon, je méritais de retrouver la paix.
Cette ère de honte était terminée.
On retrouve cette idée de pardon invoquée par Léa Seydoux, et on retrouve aussi la même crispation dans certaines réactions face à cette démarche.
Beaucoup de femmes avaient jugé qu’il était « mal » de pardonner à son violeur, que cette conférence était « une honte ».
Mais de quel droit peut-on asséner à une victime de viol qu’elle gère « mal » sa résilience, qu’elle devrait avoir « honte » d’avoir trouvé une forme de paix en pardonnant à celui qui l’a agressée ?
Quand j’ai recroisé l’homme qui m’a violentée, j’étais déjà soulagée de ne plus avoir peur de lui. J’aurais été fière de sentir, dans mon cœur, que j’étais capable de le pardonner.
Peut-être que ça te choque, mais c’est ainsi que je vis les choses, c’est ainsi que je dépasse cette violence. Et personnellement, je n’aime pas qu’on dise « Les victimes veulent ceci, les victimes veulent cela ».
Les victimes sont multiples. Ce sont des personnes, pas juste des victimes. Je ne veux pas me définir en tant que victime, je pense que Léa Seydoux non plus, et je sais qu’il y a parmi les lectrices de madmoiZelles d’autres femmes qui partagent ce sentiment.
Je n’approuve pas qu’elle juge « hypocrite » la démarche d’autres femmes, car justement, j’en ai marre qu’on juge comment les femmes agissent par rapport à des violences sexistes qu’elles n’ont jamais demandé à subir.
Mais ça va dans les deux sens : je ne juge pas certaines victimes hypocrites de s’être longtemps tues, et je ne juge pas Léa Seydoux quand elle dit que pour elle, l’héroïsme, c’est pardonner.
Certaines victimes réclameront justice, trop peu l’obtiendront, et c’est un problème contre lequel le féminisme lutte quotidiennement.
D’autres ne voudront ni porter plainte, ni se venger, ni justice. Elles voudront pardonner. Et c’est leur droit.
On passe notre temps à réfuter l’idée de la « bonne » victime de viol, qui serait assez « digne » pour que sa parole soit respectée, pour que son témoignage ne soit pas remis en question.
Je tiens aussi à réfuter l’idée qu’il y a une « bonne » façon de réagir, de ressentir après avoir été la cible de violences sexistes.
Je ne serai peut-être jamais une « bonne » victime, que ce soit aux yeux de la société (je n’ai pas porté plainte, par exemple) ou aux yeux de mes consœurs féministes.
Eh bien tant pis. Je n’avais déjà pas envie d’être une victime tout court.
C’est un sujet incroyablement délicat que je manie, tu le remarques peut-être, avec mille pincettes car je sais la douleur qu’il peut provoquer.
Au sein même de l’équipe de madmoiZelle, avec laquelle j’ai longuement discuté de cet article avant de le publier, il n’y a pas « unanimité ».
Apporter de la nuance, c’est la mission que je me suis donnée, en tant que rédac chef, et je pense que les propos de Léa Seydoux sont un bon support pour explorer la thématique de la résilience face aux violences sexuelles.
À lire aussi : L’action de Natalie Portman aux Oscars fait-elle d’elle une mauvaise féministe ?
Le 27 avril 2020
Je t’informe qu’Illana Weizman, citée dans cet article, a clarifié ses propos ; tu peux lire sa réaction sur son Instagram, puis retrouver nos échanges à ce sujet dans les commentaires du post (je suis @mymyhgl).
J’en profite pour réaffirmer, car il faut le réaffirmer, qu’en aucun cas cet article ne vise à « valider » tous les propos de Léa Seydoux, notamment son accusation d’« hypocrisie » envers les victimes de Weinstein et d’autres.
Je suis contre le fait de juger la façon dont une victime réagit à ce qu’elle a vécu, que cette réaction soit tournée vers la colère, la recherche de justice, ou le pardon. Chacune a sa façon d’avancer et de faire preuve de résilience, comme je l’ai écrit.
Merci pour vos nombreuses réactions passionnantes à cet article ! La capacité de débattre sainement, ça fait partie de ce qui me rend fière de travailler pour madmoiZelle.
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