Ces personnages sont des esquisses tout en légèreté ou en pesanteur.
Ils ont beau n’être que des contours sans visage, difficile de ne pas se reconnaitre au moins un peu dans leurs humeurs, leurs pensées, leurs émotions que Léa met en images de manière aussi brute que détonante ou amusante sur Instagram.
Du sentiment de vide ou à la colère qui donne envie de tout brûler, en passant par le feu du désir, de l’inspiration ou de l’envie furieuse de s’aimer et d’être aimée, l’illustratrice de 26 ans nous partage ce journal intime incandescent aux puissantes résonances poétiques et politiques. Quand on l’a rencontrée, Léa nous a parlé de son besoin viscéral d’exprimer de manière brute ce qu’elle a sur le cœur, du fait d’aimer vieillir, d’être une illustratrice qui ne sait pas dessiner et de son féminisme, qui évolue avec elle.
Madmoizelle. Quel est ton parcours ?
Léa Mkl. J’ai un parcours assez chaotique. Après un bac d’arts appliqués, j’ai commencé des études de design, que j’ai complètement arrêté parce que ça ne me plaisait pas. J’ai fait une pause, puis un an de fac de cinéma et en parallèle, j’ai commencé à bosser dans la musique. Pendant le confinement, je me suis rendu compte que j’étais en plein burn out donc j’ai tout arrêté Là, je me suis demandé « qu’est ce que j’ai vraiment envie de faire ? » .
J’avais envie de dessiner des griboullis. C’est ce que j’ai fait et maintenant, c’est mon métier.
As-tu toujours eu cette esthétique assez brute, minimaliste, presque enfantine ou tu l’as plutôt cherchée et travaillée ?
C’était là depuis le tout début. Dès que je me suis intéressée à l’art, les courants de l’art brut, de l’art naïf étaient ceux qui me parlaient le plus. L’écriture automatique aussi. Que je dessine ou écrive, c’est toujours lié à ce truc brut, alternatif. Je suis retombée récemment sur mon Pinterest du collège et je n’ai trouvé que ce genre d’esthétiques.
Pour moi, il y a vraiment de l’urgence dans ce que je fais, dans mon trait. Par exemple, tu ne me verras jamais retravailler un dessin. Si ça ne marche pas, c’est qu’il faut en faire un autre. C’est ce qui donne cet aspect un peu chaotique, mignon parfois, un peu maladroit.
Et au-delà de ça, une autre donnée importante est que je ne sais pas dessiner ! Je suis nulle en dessin.
Parfois, je reçois des messages de personnes qui me remercient et me disent que mon travail les a décomplexées, qu’elles se sont senties capables de s’exprimer même sans savoir dessiner. Parfois aussi, je reçois des messages où on me dit « ah oui, toi c’est plus le fond que la forme…« (rires).
Ton travail est traversé par le thème de la santé mentale. Pour toi, est-ce le cœur de ton art ?
Je n’emploie pas du tout le terme santé mentale. Pour moi, il ne se reflète pas dans mes intentions alors que, évidemment, par extension, il y a une part de santé mentale dans ce que je fais. En fait, pour moi, mon travail est tout simplement venu d’une urgence de m’exprimer sur ce que j’ai au fond de moi. C’est exactement comme quand il y a un crush qui t’énerve de ouf et que tu as besoin de lui envoyer un pavé de 50 lignes pour lui dire tout ce que tu penses.
Je suis toujours dans cette urgence de devoir dégueuler tout ce que j’ai sur le cœur et tout ce que je pense.
On m’a vite assimilée à un travail sur la santé mentale parce que comme je parle de moi, je parle de santé mentale, mais je ne pense pas parler de santé mentale en général. Je ne me sens pas légitime de le faire. J’ai déjà reçu des messages de professionnels de santé me disant qu’ils utilisaient certaines de mes planches pour parler d’un sujet avec leur patient, pour les aider à mettre des mots sur ce qu’ils ressentent. J’en suis très honorée.
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Tu sembles avoir une inspiration continue. Tes planches les plus récentes paraissent raconter des choses aussi nouvelles et originales que celles d’il y a six mois.
C’est fou, je me faisais la même réflexion cette semaine en regardant mon feed. Ça m’a permis de me rendre compte à quel point mon mood change, ou de tout simplement me replonger dans une période, en me disant par exemple « oh mais oui je me souviens de cette période où il m’avait bien cassé les ovaires et je lui avais bien fait passer mille messages par BD… »
Une de tes dernières planches m’a particulièrement marquée. Un mec annonce à la meuf dans son lit qu’il n’est pas disponible et qu’il a peur de la faire souffrir… C’est alors qu’elle éclate de rire. Cette planche a quelque chose de révolutionnaire : au lieu de pleurer à cause d’un homme, ton personnage féminin se met à rire au nez du patriarcat, dont elle a compris tous les mécanismes.
Ça, c’est parce que j’ai dessiné des planches le lundi et que le dimanche, j’ai eu cette conversation avec un mec et que j’ai explosé de rire. J’ai dit à mes potes « c’est pas possible, c’est trop drôle, je suis obligée d’en faire une planche », alors qu’il y a six mois, j’aurais probablement pleuré pour ça.
C’est aussi pour cette raison que j’adore vieillir. J’adore me prendre des leçons dans la gueule et avancer. Grâce à ce côté journal intime de mon compte, je suis heureuse de voir à quel point j’avance vite. C’est trop important d’exprimer d’une manière ou d’une autre ce qu’on a sur le cœur et d’en avoir des archives. Tu peux tellement voir qu’il y a deux semaines tu n’étais déjà pas la même personne, alors il y a deux mois ou deux ans…
Ton compte n’est pas seulement ton journal intime : il a aussi une portée féministe. Les questions qui le traversent en font un témoin précieux de l’intériorité, l’intimité et le quotidien d’une jeune femme aujourd’hui.
Ce qui transparaît dans mon travail, c’est mon expérience personnelle : celui d’une meuf de 26 ans, qui évolue dans la société, qui lit, qui écrit, qui se remet en question 365 jours par an. Mon féminisme aujourd’hui, n’est pas celui d’hier et n’est pas non plus celui de demain. Bien sûr, certaines choses ne sont pas négociables mais mes opinions évoluent, ça transparaît dans mon travail et je pense que c’est aussi ce qui fait qu’on peut s’y reconnaître.
Chaque jour j’ai l’impression de rajouter une petite pierre à ma maison du féminisme. En revanche si mon travail est féministe, je ne considère pas qu’il est militant. Je pense qu’il est plus du côté des questions que des réponses. J’ai tellement de respect pour les meufs qui elles, sont militantes. Je pense que grâce à elles, on a notamment compris que le féminisme n’était pas qu’un seul courant de pensée. Il y a des formes de « féminisme » dans lesquelles je ne me reconnais pas, que je trouve injustes, transphobes, pas intersectionnels…
Que trouve-t-on dans Chroniques, ton premier livre ?
À l’origine, ça devait être un petit fanzine auto-édité. Finalement, avec un ami éditeur, on s’est rendu compte qu’il devait sortir comme un livre. Il s’appelle Chroniques et c’est un peu une reprise de ce que je fais sur Instagram, des petites planches d’humeurs, de sensations, que j’ai un peu classées comme dans un journal intime, avec une chronologie dans le désordre. Beaucoup de planches sont inédites. Il y a des histoires où je rentre beaucoup plus dans mon intimité. Je parle de choses qui m’ont vraiment heurtée et touchée, que je ne voulais pas mettre sur les réseaux sociaux parce que c’est trop intime.
Et si le film que vous alliez voir ce soir était une bouse ? Chaque semaine, Kalindi Ramphul vous offre son avis sur LE film à voir (ou pas) dans l’émission Le seul avis qui compte.
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