– Article publié initialement en juillet 2020
Dans la vie, il y a deux types de personnes. Celles qui te regardent d’un air navré quand tu leur demandes quelle est leur émission de télévision préférée avant de te répondre que : « – Euh… Je ne regarde pas la télévision… Je préfère lire … » et ceux qui récitent par cœur les dialogues des publicités des années 90. Je fais partie de cette deuxième catégorie.
Si j’ai toujours beaucoup aimé regarder la télévision, ma passion s’est développée à la fin de l’adolescence, au moment de prendre mon premier appartement. Ce jour-là, j’ai allumé mon poste et je ne l’ai jamais éteint depuis.
La télévision s’est transformée en ordinateur muni d’un compte Netflix, mais le principe reste le même. Moi aussi, j’ai longtemps vécu en collocation avec Monica, Rachel, Ted, Marshall, Sheldon et Leonard. Comme il y a un décalage horaire certain entre Amsterdam et Los Angeles, la télévision restait allumée la nuit.
Un jour, j’ai rencontré monsieur Papa qui n’avait jamais regardé la télévision de sa vie et … Non, je plaisante. Monsieur Papa, c’est le type qui est capable de jouer à Dragon Ball Z sur son téléphone et de suivre le film suédois sous-titré en anglais. C’est te dire l’entraînement en matière d’écran du garçon.
Si je n’avais pas vraiment d’opinion sur mes penchants télévisuels ardents et passionnés, j’ai pris toute la mesure de ma pratique honteuse quand l’enfant s’est présentée et que j’ai découvert, effarée, les règles hygiénistes à appliquer pour ne pas altérer son développement.
Le zéro écran si tu ne veux pas que ton enfant devienne un imbécile
Si j’avais eu la charge de rédiger les recommandations concernant les écrans, je n’aurais érigé qu’une seule règle : interdiction absolue de passer plus d’un mois sans regarder Dragons et Shrek.
Il semblerait malheureusement que les spécialistes ne partagent pas mon point de vue pourtant si raisonnable. Même si je te l’accorde (comme en témoigne un futur troublé où j’en viendrai à jeter des cacahuètes industrielles et des morceaux de mini pizzas pour nourrir mon trésor), il est préférable que je n’intervienne pas pour donner mon avis sur les choses de la petite enfance.
Je me suis quand même renseignée pour voir si je pouvais tricher : ok la télévision, c’est non mais quid de l’ordinateur et du téléphone ? Ce n’est pas la même chose du tout, on peut sélectionner un contenu de qualité, par exemple cette vidéo où l’on peut voir des adultes très visiblement drogués jusqu’aux yeux et déguisés en requin chanter « Baby Shark » avec enthousiasme.
Les gens très bien de la puériculture ont prévu le coup, ces fourbes ! Télévision, tablette, téléphone, miroir, tout ce qui ressemble de prêt ou de loin à un écran doit être brûlé.
Il ne s’agit bien entendu que de conseils, mais il est important que le parent qui sacrifie son enfant sur l’autel de l’image en technicolor, sous le prétexte fallacieux que cela va lui dégager trois minutes pour aller aux toilettes ou sortir deux assiettes du lave-vaisselle, sache qu’il engendre un rebut de la société.
C’est-à-dire quelqu’un comme moi qui s’exprime exclusivement en répliques de séries et pleure quand une mère de famille célibataire atteinte de sclérose en plaque gagne 500 $ pour avoir confectionné le meilleur hachis parmentier.
Le problème du zéro écran pour les parents
Cette histoire d’écran m’a posé plusieurs soucis, de ceux que l’on n’avoue pas sous peine de dévoiler son incompétence crasse et risquer de relancer le débat sur la stérilisation imposée.
Tout d’abord, je me suis demandé comment j’allais bien pouvoir distraire mon petit amour. Si tu ne comprends pas du tout, MAIS ALORS MÊME PAS UN PEU, ce que je veux dire quand je m’interroge sur les moyens d’occuper un enfant, c’est que tu n’as jamais été confrontée à un humain de moins de dix ans.
Je ne te parle pas d’une heure ou deux de baby-sitting charmant, après lesquelles tu pourras revenir à ta vie normale en soupirant que non, décidément, « tu n’es pas prête pour ça » ou qu’au contraire « ça te donne vraiment envie ».
Je te parle d’une journée type, c’est-à-dire une journée où tu te lèves à 6 heures du matin, que dehors, il pleut à verse, et que la petite plaisanterie a de grandes chances de s’éterniser jusqu’à 20 heures (avec une ou deux heures de sieste au milieu pour celles et ceux dont les bonnes actions ont été suffisamment nombreuses pour leur assurer un karma correct).
Si je suis tout de même parvenue à puiser en moi des ressources insoupçonnées pour me réinventer auxiliaire de puériculture les soirs et les week-ends, le manque de sitcoms et de
téléréalité américaine me consume au quotidien.
Parfois, si je trouve le bon angle, j’arrive à voir le téléviseur allumé de mes voisins d’en face dans le reflet de ma fenêtre. Les gars sont fans de télé achat, je m’en fiche, j’en veux encore.
Mon enfant est devenue accro aux dessins animés
La perspective que mon enfant devienne une imbécile ramollie et hagarde ne m’a jamais enchantée, mais je sais que c’est un risque que l’on prend quand on décide de se reproduire. L’idée que ce soit ma faute m’est cependant insupportable, évidemment.
Alors pendant deux ans, j’ai lutté. J’ai proposé des dessins, de la pâtisserie, de la bibliothèque, n’importe quoi pour remplir les week-ends pluvieux et j’ai béni les 5 jours de crèche par semaine de prendre le relai et de lui proposer des activités d’éveil digne de ce nom.
Et puis est arrivé mars 2020 et des événements très fâcheux se sont enchaînés. Peut-être te souviens-tu de ce virus venu de Chine, dont on parlait pas mal en début d’année et qui a contraint de nombreux enfants à rester à la maison avec leurs parents ?
Les uns exprimant bruyamment leur ennui et leur insatisfaction de devoir se cogner leurs vieux toute la journée, les autres essayant de gérer les velléités belliqueuses des premiers, tout en faisant croire à un patron peu compatissant qu’ils géraient sans problème alors qu’en secret, un psoriasis agressif envahissait peu à peu leur corps tout entier.
Je crois qu’on a tous suivi le même cheminement : décidant de mettre momentanément sur pause nos convictions sociales et écologiques, nous avons dévalisé le rayon activités manuelles d’Amazon.
Puis nous avons dressé un planning précis incluant des plages horaires déterminées à l’avance pour l’habillage du matin, les heures de sieste et la préparation des repas. Repas qui allaient s’avérer chauds, bios et végétariens.
Ensuite, nous avons réalisé qu’il était midi, que nous étions encore en pyjama et que malgré tous les fonds investis, le coloriage n’intéressait que très brièvement notre enfant qui préférait de loin utiliser ses feutres pour décorer le mur de salon.
« – Oh allez juste un petit peu… », c’est avec cette phrase que commencent la plupart des déchéances. Juste un petit peu de dessins animés pour avoir la paix pendant cette réunion où l’on me reproche mon inefficacité de ces dernières semaines.
Tout est calme, tranquille, apaisé. L’enfant, dont le regard est absolument vide de toute substance, semble soudain détendue. Ce n’est pas arrivé depuis des semaines. Sa voix ne raisonne plus en écho dans toute la maison, je peux avancer sur mes tâches de la journée.
Pour la première fois, mon superviseur cesse de me harceler pour me rappeler que je ne suis pas suffisamment rapide dans l’exécution de mes tâches.
« – Oh allez un peu plus, juste aujourd’hui, demain j’arrête. » Et c’est ainsi que sans l’avoir vu venir, je suis me suis retrouvée flanquée d’une enfant qui regardait les dessins animés 8 heures par jour.
Je me suis rapidement sentie honteuse et si sale. Autour de moi les autres parents regrettaient d’avoir accepté 30 minutes d’écran alors que j’avais confié ma fille à la garde exclusive de Maman Pig, la mère de Peppa, qui s’en occupait d’ailleurs bien mieux que moi.
Le début de la fin, ou l’acceptation de mon échec du zéro écran
Je me suis dit que le 11 mai, ce serait fini. La crèche allait gérer les crises de manque de ma petite junkie à l’aide d’activités Montessori et d’ici peu nous pourrions prétendre que ce moment noir de notre histoire familiale n’avait même jamais eu lieu.
C’était sans compter les choses de la nature puisque c’est aussi le 11 mai que, mue par une intuition certaine, j’ai décidé de faire un test de grossesse qui s’est avéré positif. Cette fois-ci, le bébé était attendu, c’était une excellente nouvelle.
Mais au confinement s’est enchaîné un premier trimestre de grossesse épuisant où j’ai immédiatement replongé dans mes travers et ai embrassé avec une résignation totale notre destin familial de gros consommateurs de télévision.
À nous les dessins animés sous la couette, à nous les films sur l’ordinateur dans mon lit le soir avant d’aller dormir. Je ne regrette presque plus rien, ayant décidé de continuer à vivre dans un déni qui se raccroche désespérément au fait que l’enfant concernée n’affiche aucun signe de défaillance quelconque et semble même bien partie pour devenir le parfait sosie de Libby Nicolson*, rôle modèle absolu de la population bambine.
*petite sœur de Georgia Nicolson dans la série de livres « Le journal intime de Georgia Nicolson » de Louise Rennison.
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