« La guerre, qui dure depuis maintenant trente ans, a montré la valeur et la place de la femme dans la communauté ». Justine Masika Bihamba accompagne depuis deux décennies les femmes victimes de violences sexuelles dans la région du Nord-Kivu, en République démocratique du Congo. Militante pour la paix et la défense des droits des femmes, elle raconte, dans un livre intitulé « Femmes debout face à la guerre » (éditions de l’Aube) comment l’association dont elle est cofondatrice, La Synergie des Femmes pour les Victimes de Violence Sexuelle, accompagne les victimes de viols de guerre dans la région. Madmoizelle l’a rencontrée pour une interview vidéo.
Le viol comme arme de guerre
Pour comprendre la situation au Nord-Kivu, il faut remonter aux années 1990. En 1994, la République Démocratique du Congo, frontalière du Rwanda, se retrouve face à l’afflux de plus d’un million de réfugiés hutus. Ces derniers fuient le Rwanda, craignant des représailles après le génocide perpétré sur les populations tutsis. La RDC n’est pas préparée. Dans la ville de Goma, à l’est du pays, l’eau potable est une denrée rare, le choléra fait rage et les logements manquent.
Plusieurs groupes armés s’implantent sur le territoire, les tueries se multiplient, et le corps des femmes devient un outil de pression stratégique pour dominer la région. Le viol est utilisé comme arme de guerre. « Ce n’est pas pour un plaisir sexuel, c’est pour détruire » martèle Justine Masika Bihamba, qui a dédié sa vie à l’accompagnement des victimes du conflit.
Selon certains chefs de groupes armés avec qui la militante a pu échanger, « la femme est sacrée. Le soldat trouve sa force et sa valeur à travers son épouse. C’est pour cela qu’on viole les femmes, pour détruire les hommes qui ne peuvent plus combattre puisque leurs femmes ont été déshonorées ».
Cependant, précise Justine Masika Bihamba, les auteurs de ces atrocités ne sont pas uniquement issus des groupes armés. On les trouve aussi dans les rangs de l’armée nationale, parmi les Casques bleus censés protéger la région, ou encore dans la confidence des foyers où les viols intrafamiliaux sont légion. Les hauts gradés n’écopent que très rarement de peines lourdes.
La Synergie des Femmes pour les Victimes des Violences Sexuelles.
C’est dans ce contexte qu’a vu le jour, en 2002, la Synergie des Femmes pour les Victimes des Violences Sexuelles. Sur son site, l’organisme se définit comme « une complémentarité de force, moyens et compétences de 35 organisations à majorités féminines qui se sont mises ensemble pour réfléchir sur la manière d’aider les femmes et les filles abusées, humiliées et rejetées par la société ».
Au départ, les actions de la Synergie ont rencontré une certaine résistance dans la région, se remémore Justine Masika Bihamba. Notamment en raison du tabou qui demeure autour du sujet des violences sexuelles aujourd’hui. La militante raconte dans son ouvrage les pressions subies par ses équipes. Aujourd’hui, l’association a su convaincre, et applique ce que Justine Masika Bihamba nomme la masculinité positive. L’objectif ? Changer les coutumes et les traditions qui enferment la femme, notamment rurale, dans un rôle de subalterne. « Nous travaillons avec un groupe d’hommes pendant 10 mois pour voir comment ces hommes doivent vivre la promotion des droits des femmes », explique la militante. À l’issue de cette période, ce sont leurs épouses et leurs voisins qui viennent témoigner des changements opérés – ou non – par ces hommes.
Outre ces groupes de travail, la synergie mène diverses missions auprès des victimes : prise en charge médicale, accompagnement psycho-social, aide à la réinsertion socioéconomique, accompagnement juridique et judiciaire pour les victimes de violences sexuelles qui ont connu leur agresseur.
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Les femmes dans les négociations de paix
Si les femmes sont en première ligne du conflit, celles-ci sont rarement consultées dans les négociations de paix, déplore Justine Masika Bihamba. « Elles savent ce qu’elles doivent demander pour qu’une paix soit durable, et pourtant, on les oublie toujours ». La militante se rappelle sa participation exceptionnelle au processus de Nairobi III pour le retour de la paix dans l’est de la RDC, en novembre 2022. « Nous étions présentes pour la première fois. Mais est-ce qu’on a pris en compte ce que nous avons dit ? Je ne crois pas ».
Dans ce contexte, le combat de Justine Masika Bihamba est étroitement lié à sa vision du féminisme : « Pour moi, parler de féminisme c’est parler des compétences qu’ont les femmes pour changer les choses. Ça ne sert à rien de demander seulement que nous puissions être là. Montrons ce que nous sommes capables de faire, ce que nous pouvons changer. Partout, on aura besoin de nous. Et c’est ça que moi, j’appelle le féminisme ».
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Les Commentaires
Je recommande cette lecture d’ailleurs, on comprends vraiment mieux les dynamiques et comment cette situation perdure (Mukwege a reçu des menacés jusqu’au plus haut sommet de l’Etat), et il aborde aussi les viols comme crimes de guerre dans d’autres pays à travers ses rencontres avec des militantes (ukrainiennes, syriennes, etc).
La place est beaucoup laissée aussi aux témoignages des femmes et à toutes les actions mises en place au fur et à mesure autre que juste « réparer les femmes » sur un plan chirurgical (parce que ce sont souvent des viols avec acte de barbarie qui créent des séquelles invalidantes définitives), mesures psychologiques et de réinsertion, d’éducation, etc.
Le livre de Justine Masika Bihamba me semble un bon complément !
Et c’est important de dire qu’à notre échelle on peut agir un tout petit peu en aidant financièrement ces associations.