Les parents ont beau nous répéter qu’ils aiment tous leurs enfants de la même façon et qu’ils ne font aucune différence entre eux, nous sommes probablement tous et toutes d’accord que cela relève d’une douce utopie.
La preuve avec le « syndrome de la grande sœur », aussi appelé sur les réseaux sociaux « syndrome de la fille aînée ». Complètement officieux, ce syndrome parle en tout cas à beaucoup de femmes, si l’on en croit une vidéo postée en février dernier sur TikTok par la thérapeute américaine Kati Morton.
Selon elle, il s’agit d’un « terme inventé pour décrire les pressions et les responsabilités uniques imposées à la fille aînée de la famille ». Plus souvent sollicitée pour les tâches domestiques que ses frères et sœurs cadets, la fille aînée est aussi celle sur qui pèsent le plus de responsabilités en matière de soin et de travail émotionnel.
C’est à elle qu’incombe, par exemple, le soin de s’occuper des plus petits qu’elle, de prendre en charge les tâches administratives, de servir de support émotionnel à ses parents… Si cela leur permet d’acquérir rapidement une grande maturité, leur faire peser dès l’enfance une telle responsabilité sur les épaules a aussi ses travers puisque ce rôle de grande sœur façonne non seulement leur personnalité, mais aussi leur comportement, leurs relations aux autres et leur santé mentale.
Comment expliquer le syndrome de la fille aînée ?
Comme l’explique au site VeryWellMind le Dr Avigail Lev, thérapeute basée à San Francisco, les parents confient généralement des attentes beaucoup plus élevées envers leurs aînés en matière de réalisations, de comportement et de responsabilités.
« La fille aînée ou les frères et sœurs aînés, en général, sont un peu comme les frères et sœurs ‘tests’ car ils sont le premier enfant. L’enfant suivant reçoit un meilleur traitement, bénéficiant des apprentissages du premier enfant », explique le Dr Lev.
Ce double standard est encore accentué lorsque le premier enfant est une fille. Parce qu’elle est censée répondre aux stéréotypes de genre la voulant « douce », « calme », « docile » et « responsable », la sœur aînée de la fratrie a, de manière implicite ou non, le devoir de donner l’exemple à ses frères et sœurs. Assumant même parfois le rôle de parent quand ces derniers ne sont pas là. On attend beaucoup plus d’elle que si elle était la deuxième née, mais aussi si elle était le premier enfant garçon.
Comment reconnaître le syndrome de la fille aînée ?
Être responsabilisée dès le plus jeune âge n’est pas sans conséquences sur la santé mentale. Si l’on en croit Kati Morton, il existe huit indices qui prouvent que vous souffrez du syndrome de la fille aînée :
- « Vous avez un intense sentiment de responsabilité. »
- « Vous êtes une surperformante, de type A* et très motivée. »
- « Vous vous inquiétez beaucoup et souffrez probablement d’anxiété. »
- « Vous avez du mal à adopter des comportements qui plaisent aux gens. »
- « Vous avez du mal à fixer et à respecter des limites. »
- « Vous en voulez à vos frères et sœurs et à votre famille. »
- « Vous luttez contre des sentiments de culpabilité. »
- « Vous traversez une période difficile dans vos relations d’adulte. »
*Le type A est défini comme une personnalité hyperactive, vivant sans cesse dans l’urgence pouvant s’énerver facilement mais aussi en étant dans l’hyper-investissement professionnel. Il aurait besoin de tout contrôler et serait particulièrement exigeant
Comme le syndrome de la fille aînée n’est pas inscrit dans le Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux officiel (DSM-5-TR), on pourrait croire que cela est purement fantaisiste. Mais (et c’est là que je revêts ma casquette de journaliste d’investigation) après en avoir parlé avec à la rédaction, au moins deux de mes collègues se reconnaissent dans ce syndrome de la grande sœur.
Ariane, qui travaille chez Madmoizelle, et qui est l’aînée d’une fratrie composée de trois filles, explique :
« Je suis la référente en cas de problème : pour une raison que j’ignore, je suis celle vers laquelle la famille se tourne lorsqu’elle rencontre un problème ou une difficulté (notamment administrative). Dimanche dernier par exemple, j’ai passé trois heures à changer les forfaits téléphoniques et la box Internet d’une maison dans laquelle je ne vis plus. Si ma mère doit faire passer un ouvrier à l’appartement, c’est moi qu’elle va appeler pour me demander de faire du télétravail chez elle (alors que mes sœurs ne travaillent pas).
Je pense que mon père ne s’étant jamais investi au sein de la famille, il a fallu trouver une autre figure de référence, et j’ai parfois l’impression d’avoir pris sa place depuis que mes parents sont divorcés. Cela se fait aussi ressentir dans mes autres relations. Je suis toujours prête à me sacrifier pour aider, j’aime me sentir utile et j’y trouve une grande satisfaction. Lorsque je ne parviens pas à aider l’autre, j’éprouve un sentiment d’échec. Mais ce trait de ma personnalité a aussi un versant négatif : je parviens très peu à laisser les autres faire. J’aime avoir le contrôle pour que tout soit fait comme je l’entends, et je dois me forcer pour déléguer.
Je suis aussi l’organisatrice de la famille : j’achète les cadeaux, je crée les cagnottes, j’organise les anniversaires. Ma mère a toujours adoré les cadeaux, et mon père était nul et ne faisait aucun effort d’originalité. Alors dès que j’ai été suffisamment âgée, j’ai eu les cadeaux en charge. Encore aujourd’hui, j’adore faire des cadeaux. Je tiens une liste pour chaque personne de mon entourage, que j’étaye dès qu’elle mentionne quelque chose qui lui manque ou qui lui ferait plaisir.
Les attentes de mes parents, notamment en matière de scolarité et de « comportement » à l’adolescence étaient extrêmement hautes, surtout par rapport à mes petites sœurs. Mon éducation a été très stricte : j’ai été punie au moindre ‘écart’, mes notes devaient être au-dessus de 16 pour être acceptables, mes parents contrôlaient mes fréquentations à l’excès. À l’adolescence, toutes ces interdictions parfois infondées m’ont poussée à me mettre en danger (forte consommation de drogues, rapports sexuels à risque, etc) pour me placer en opposition à mes parents.
Aujourd’hui, à 25 ans, je sens que j’ai toujours besoin de la validation de ma maman parce que c’est comme ça que j’ai appris à gagner son amour. Parfois, je fais les choses en pensant uniquement au moment où ma mère va me féliciter, et c’est ce qui me pousse à continuer d’avancer. »
Moi-même, en tant que grande sœur (mon frère a cinq ans de moins que moi), je me reconnais parfaitement dans ce fameux syndrome de la fille aînée. Alors que mon frère a toujours été quelqu’un de très extraverti et d’insouciant (je ne l’ai, par exemple, jamais vu stresser pour un examen), je me suis toujours considérée comme celle qui devait bosser deux fois plus dur pour y arriver. Très studieuse à l’adolescence, je n’ai jamais fait de crise d’ado, mais ai par exemple développé très tôt un trouble anxieux.
Encore aujourd’hui, je suis quelqu’un de stressée pour à peu près tout, il m’arrive très souvent de me sentir dépassée malgré la to do list gravée dans mon cerveau. Je me sens instruite d’une mission de tout réussir parfaitement, sous peine de ressentir non seulement de la déception, mais aussi de la culpabilité. Bref, être la fille aînée m’a complètement fucked up.
Comment en finir avec le syndrome de la fille aînée ?
Pour le Dr Avigail Lev, il est avant tout nécessaire de poser des limites envers les autres et de prendre en compte ses propres besoins. Être l’aînée ne signifie pas que vous avez à tout assumer seule et laisser les autres membres de votre famille se reposer sur vous.
N’hésitez pas non plus à demander de l’aide quand vous en ressentez le besoin : être indépendante ne veut pas dire que vous n’avez pas le droit, vous aussi, de solliciter vos proches si vous ne pouvez pas tout assumer seule.
Il est aussi important de faire preuve d’auto-compassion : soyez bienveillante envers vous-même, et assumez vos failles. Personne ne vous en voudra de montrer que vous n’êtes pas une machine.
Enfin, conclut le Dr Lev, si vous souffrez trop des conséquences du syndrome de la fille aînée dans votre vie quotidienne et dans vos relations, peut-être devriez-vous envisager d’en parler avec un professionnel de santé mentale. Selon elle, la psychothérapie peut être un excellent moyen de traiter vos expériences et de développer de nouvelles capacités d’adaptation pour améliorer vos comportements, votre réflexion, vos émotions et vos relations. « Apprendre les outils de la thérapie des schémas pour se reparenter et guérir son enfant intérieur implique de se donner ce qui ne lui a pas été donné lorsqu’elle était enfant et d’apprendre à répondre aux besoins qui n’ont pas été satisfaits. »
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