Lentement mais sûrement Judd Apatow, avec l’aide de toute une bande, a construit un petit royaume de la comédie. Tout n’était pas gagné d’avance : il fait ses débuts en produisant une série créée par Paul Feig en 1999 qui rencontre si peu de succès lors de sa diffusion qu’elle s’arrête après une saison et dix-huit épisodes. S’ils remettent ça plus tard avec une autre série, Undeclared, c’est encore raté.
Avant ces séries, qui le lancent aussi sur la voie de l’écriture et de la réalisation, il commence en tant que producteur : entre autres de Disjoncté (The Cable Guy) de Ben Stiller en 1996. Et surtout, il crée des liens : avec Will Ferrell, Jim Carey, et par-dessus tout la bande de jeunes acteurs (et déjà scénaristes, pour certains) qui l’accompagne dans Freaks & Geeks (la première série) et s’apprête, avec lui, à monter très haut.
Puis il réalise son premier long-métrage et donne dans le mille tout en continuant à produire. Avec Steve Carrel le puceau, l’improbable couple d’une starlette de la télé et d’un gros lourdingue, McLovin, la pineapple express et Sarah Marshall, ils se sont fait un nom : celui de Judd Apatow et sa bande.
L’AMI DE MON AMI
Et voilà qu’Apatow et sa clique entrent au royaume de la comédie, occupé jusqu’alors par toutes ces bandes auxquelles ils se greffent rapidement (frères Farelly, Wes Anderson, Jim Carey, Jack Black, Ben Stiller, Bill Murray, Owen Wilson, Vince Vaughn). L’espace de la comédie américaine est comme fait de constellations qui s’unissent les unes aux autres par le lien d’un acteur, d’un scénariste, d’un réalisateur. Ensemble, elles forment ce joyeux cercle.
Premier point impressionnant : découvrir la quantité d’acteurs qui circulent dans la première œuvre du producteur, la série Freaks & Geeks, incroyable vivier de talents qui semblent avoir tout appris à McKinley High School. On y retrouve James Franco, Busy Philipps, Jason Segel, Seth Rogen, Jason Schwartzmann, Ben Stiller ; et même d’autres acteurs qui se sont plus tard éloignés de la troupe. La comédie à l’américaine apparaît déjà comme une grande famille, alors en construction. S’y ajoutent Jonah Hill, Michael Cera (les petits jeunes), Bill Hader, Martin Starr, Paul Rudd, Leslie Mann (la femme d’Apatow), Steve Carell, Carla Gallo… C’est une famille grandie presque toujours avec le Saturday Night Live.
Je te renvoie à un tableau qui recense l’apparition de la troupe dans les films (réalisations, productions…) de Judd Apatow. C’est clair : la comédie est une histoire d’amis.
LE STYLE APATOW
La comédie selon Apatow et sa bande retrouve, film après film, épisode de série après épisode de série, des motifs et constantes. Au premier rang desquels une définition du comique qu’on pourrait appliquer à toutes ses réalisations un productions : un comique doux, un comique de la déconne, qui passe avant tout par le jeu et les dialogues – plus que par les situations, les gags, les excès ou les gadgets comiques qu’on retrouve par exemple plus facilement chez les frères Farelly. Le monde que nous déroulent les films de chez Apatow est agrémenté d’un délicieux humour centré sur le DECALAGE. C’est-à-dire l’inadéquation apparente entre l’attitude des personnages et les situations, entre le ton et les propos, entre un personnage et un autre. Bien sûr il y a du ridicule, des situations qui sont drôles en soi. Mais c’est globalement ce comique-là qui est le plus séduisant chez Apatow (comme par exemple chez Wes Anderson), parce que c’est lui qui tient les commandes de l’intrigue et du traitement des thèmes importants.
Ces thèmes, ce sont presque des obsessions tant ils sont récurrents. Il s’agit entre autres de l’amitié entre mecs à toute épreuve, de la difficulté de grandir et de laisser tomber les blagues d’ados attardés, des relations entre générations, de la difficulté de l’engagement.
Ils ne cessent de se retrouver, de Freaks & Geeks à Sans Sarah, rien ne va ! en passant par la série Undeclared – toutefois encore centrée sur des ados, comme SuperGrave mais à l’inverse des films réalisés par Apatow lui-même. La preuve que le clan gère mal avec le gag à gogo, c’est Délire express (The Pineapple Express), réalisé par David Gordon Green, qui donne très fort dans l’action et les excès… à ses dépens. La meilleure scène du film, dans laquelle on retrouve la touche comique évoquée plus haut, est la dernière dans laquelle, après la tempête, les trois potes escamotés se retrouvent autour d’un café et déconnent.
A noter aussi, concernant les personnages, deux constantes : l’intérêt accordé aux seconds rôles, toujours très bons ; mais aussi la faiblesse des personnages féminins, dont la première série est sauvée grâce à Paul Feig et aux autres scénaristes probablement.
Ce qui est le plus délicieux dans toutes ces comédies, c’est sans doute la capacité de renversement dont font preuve les scénarios vis-à-vis des personnages. Entendre par-là la façon dont jamais aucun personnage n’est enfermé dans un rôle, surtout pas un mauvais rôle – qui serait bêtement faire valoir des autres. La scène la plus caractéristique de ce motif inégalé, qui libère les personnages de rôles univoques, est celle d’En cloque dans laquelle les deux jeunes femmes vont en boîte et, alors qu’elles s’engueulent avec le videur qui refuse de les faire passer devant tout le monde, lui permettent littéralement de faire PEAU NEUVE, à l’écart, sortant de son rôle de méchant. Personne n’est cantonné à rien : les scènes de ce genre sont nombreuses (surtout dans la série Freaks & Geeks) et parsèment le style Apatow de leur éclat.
Pour terminer ce tour d’horizon du style Apatow, dont on redoute un peu la nouvelle réalisation (réussiront-ils à se tirer du gros risque qu’il y a à faire de la mort une comédie ? Funny People ne fait pas bon score pour le moment aux Etats-Unis), voilà le début de l’épisode 7 de Freaks & Geeks, qui est écrit et réalisé par Judd Apatow him-self.
http://www.youtube.com/watch?v=-FSkUGdXQ9A
Écoutez l’Apéro des Daronnes, l’émission de Madmoizelle qui veut faire tomber les tabous autour de la parentalité.
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