Un énième drame mettant en lumière les défaillances du système hospitalier français ? Le 20 août 2020, Yolande Gabriel, une Martiniquaise de 65 ans souffre de violentes douleurs thoraciques. Ce n’est pas récent : depuis deux mois, elle réalise de nombreux examens médicaux. Elle est même hospitalisée 15 jours au mois de juillet à l’hôpital de Meaux (Seine-et-Marne). Les médecins lui diagnostiquent une myocardite, une embolie pulmonaire et une pneumonie.
Elle quitte les urgences alors que ses résultats sont mauvais
Ce fameux 20 août, les douleurs thoraciques de Yolande deviennent plus intenses. Elle décide alors de se rendre elle-même aux urgences de Meaux. Alors que les résultats des examens réalisés sont mauvais, le médecin de garde l’autorise à quitter l’hôpital dans la nuit du 21 août à 3h30 du matin, comme l’explique sa fille, Marie-Laure, auprès de Mediapart :
« lIs l’ont laissée partir malgré un électrocardiogramme “anormal” et des examens sanguins mauvais. Je n’ai pas compris pourquoi mais je l’ai attendue pour lui ouvrir la porte de la maison. »
Yolande souffre quelques heures chez elle… Mais face aux douleurs thoraciques qui reprennent de plus belle, elle décide d’appeler le 15, à 7h32. D’après les enregistrements de l’appel de dix minutes, diffusés le 31 mai par Mediapart, elle parle à l’assistante de régulation médicale (ARM) du Samu de Seine-et-Marne rapidement des douleurs thoraciques qu’elle ressent et qui l’ont conduites la veille aux urgences de Meaux. L’ARM lui pose une multitude de questions et semble s’impatienter en attendant ses réponses :
« Bon madame, madame, madaaaame ! OK, on va se calmer […]. Et donc là, madame, je vais vous poser des questions. Il va falloir que vous me répondiez maintenant. Je vous ai entendue parler maintenant, il faut me répondre. »
L’ARM finit par transférer l’appel au médecin régulateur qui fait preuve d’une grande impatience lorsque Yolande, essoufflée, n’arrive pas à lister immédiatement le nom de ses traitements :
« Madame, faut vous calmer, vous ne prenez pas 36 000 médicaments. Et vous ne savez pas quels médicaments vous prenez ? (…) Vous n’avez pas votre ordonnance avec vous ? »
Yolande essaie d’expliquer au médecin régulateur qu’elle ne veut pas être renvoyée aux urgences de Meaux car ils n’ont pas voulu la garder la veille. Le professionnel de santé s’agace et décèle en ce souhait un caprice :
« Alors, madame, on ne va pas faire ce que vous voulez, d’accord ? Si vous voulez aller à Jossigny, vous y allez. Mais si vous appelez les services de secours en période de garde, vous irez là où le système est organisé. (…) Madame, arrêtez ! »
Les secours présents 1h30 après le premier appel au Samu
Au fil de l’appel, le régulateur ne dissimule ni sa colère ni son exaspération et va même jusqu’à lui crier dessus, lorsque haletante, Yolande ne parvient plus à parler dans le combiné : « Mais putain, parlez dans le téléphone ! » Le médecin clôt la discussion en annonçant qu’il lui envoie une ambulance privée afin de la conduire à l’hôpital de Meaux.
Après avoir raccroché avec le Samu, Yolande fait un malaise. Ses deux filles tentent de la rassurer, persuadées que l’ambulance n’est pas loin. Quarante-cinq minutes plus tard, leur mère « semble agoniser ». Une des filles de Yolande, Marie-Laure s’empresse de rappeler le 15 pour alerter de l’urgence de la situation. L’ARM répond que « l’ambulance ne devrait pas tarder ». La jeune femme précise que sa mère ne respire plus : une nouvelle doctoresse du Samu, annonce cette fois-ci qu’elle va « envoyer des secours plus rapides » et une « équipe médicale ».
Lorsque l’ambulance privée finit par arriver, 15 minutes après le deuxième appel, soit plus d’une heure après avoir été missionnée par le premier médecin régulateur, les secouristes sont incapables de réanimer Yolande car ils n’en ont ni les moyens ni les compétences. À 9h02, le Smur puis un véhicule de pompiers arrivent en renfort, soit plus d’une heure trente après le premier appel de la victime. Il est malheureusement trop tard : malgré le massage cardiaque avec injection d’adrénaline durant une heure, les médecins déclarent le décès de Yolande Gabriel à 10h10.
Les deux filles de Yolande vont très vite réaliser que les choses ne se passent pas comme elles le devraient. Et elles ne sont pas au bout de leur surprise, comme le confie Marie-Laure :
« D’abord, lorsqu’il a fallu remplir le certificat de décès, le médecin a balayé les hypothèses sans trop savoir quoi écrire. Il était dans le flou, estimait que cela ne pouvait pas être une embolie car ses artères étaient saines. Il a pourtant dit : “On va mettre embolie, en sachant que c’est peu probable” »
Des défaillances à plusieurs niveaux de la chaine médicale
Dès septembre dernier, la famille entame les démarches auprès de l’hôpital de Meaux pour récupérer le dossier médical, ainsi que les enregistrements des conversations avec le Samu. Pourtant d’après les recommandations professionnelles des Samu-Urgences de France, il est obligé de les fournir dans un délai de huit jours pour les dossiers médicaux de moins de cinq ans. L’avocat des deux jeunes filles a dû aller jusqu’à faire une demande à la commission d’accès aux documents administratifs (Cada) pour que le Samu accepte de transmettre les bandes-son en décembre.
Selon Mediapart qui a eu accès à l’historique du centre de secours, l’appel de la victime a été classé P2, ce qui est le dernier niveau sur l’échelle des priorités mises en place par le 15. Dans ce même compte-rendu, le médecin a écrit que Yolande « larmoie » durant la conversation. Il a aussi préféré envoyer une simple ambulance privée incapable de gérer un arrêt respiratoire, malgré les antécédents inquiétants de la victime qu’un véhicule de Smur ou une équipe de pompiers. De nombreuses preuves démontrent que la souffrance de Yolande a été minimisée.
Les défaillances ici sont multiples : l’hôpital de Meaux est également mis en cause. Pourquoi Yolande a-t-elle quitté les urgences à 3h30 du matin alors que ses examens étaient inquiétants ? D’après son dossier médical, récupéré par Mediapart, un électrocardiogramme réalisé à 22h53 constate un « possible infarctus étendu ».
Pour Charles de Menaca, directeur adjoint du Grand Hôpital de l’Est francilien (Ghef) dans les colonnes de France-Antilles, aucune faute n’est à déplorer de la part des médecins aux urgences de Meaux :
« Aux urgences, suivant le flux, il arrive que des patients sortent la nuit. Sur le diagnostic, et concernant ce jour où la patiente s’est présentée pour la dernière fois aux urgences, elle a été vue par un urgentiste de Ghef qui, pour davantage de sûreté dans son diagnostic, a demandé l’avis d’un de ses confrères. En l’occurrence, un cardiologue du Ghef. Ce dernier l’a assuré que l’état de la patiente était compatible avec la sortie de cette dernière. »
Même son de cloche de la part du Samu de Seine-et-Marne qui réfute toute faute de la part du médecin régulateur :
« La prise en charge téléphonique par l’ARM puis le médecin a permis un interrogatoire minutieux et prolongé. Malgré quelques signes exprimés d’exaspération injustifiée du médecin, qu’il regrette, la continuité de la prise en charge n’en a pas été affectée. Les process de décisions et la prise en charge de Mme Yolande Gabriel semblent cohérents et présentent une vraie continuité. »
Une nouvelle victime du « syndrome méditerranéen » ?
En octobre 2021, les filles de Yolande Gabriel ont décidé de déposer plainte pour « omission de porter secours » et « homicide involontaire » contre l’hôpital de Meaux et le Samu de Seine-et-Marne. Elles s’interrogent aussi sur d’éventuels préjugés racistes de la part du médecin régulateur, comme l’explique Marie-Laure :
« Maman, c’était une Française martiniquaise, elle avait un accent, donc je ne sais pas dans quelle mesure cet accent a été décelable et dans quelle mesure le syndrome méditerranéen est entré en compte dans la réaction complètement inadaptée de ce médecin. Il ne faut pas se voiler la face, il y a quelque chose qui s’appelle le syndrome méditerranéen : certains médecins pensent que dès qu’on est d’origine africaine, caribéenne ou maghrébine, on a tendance à exagérer la douleur. Si madame Gabriel, qui est de la Martinique, vous dit qu’elle a 10 sur l’échelle de la douleur, ne la croyez pas car elle a 5. »
Cette idée du « syndrome méditerranéen » ne date pas d’hier et s’est même manifestée à travers les découvertes médicale de personnalités qui ont participé à l’évolution de la médecine, comme le rappelle le BondyBlog. Par exemple, James Marion, que l’on considère comme le « père de la gynécologie » n’hésitait pas en son temps à réaliser des expériences gynécologiques douloureuses, sans anesthésie, sur des esclaves noires. Aujourd’hui, cet héritage des époques esclavagistes et coloniales, reste très présent dans la manière dont sont perçus les corps racisés par le corps médical, comme le confirme la politologue féministe et anti-raciste Françoise Vergès dans son livre Le ventre des femmes :
« Vous ne pouvez pas avoir été une puissance esclavagiste pendant quatre siècles puis une puissance colonisatrice pendant plus d’un siècle sans que cela s’insinue dans les mentalités et les consciences…»
Le drame vécu par Yolande Gabriel n’est pas sans rappeler celui de Naomi Musenga, en 2017. Alors que cette dernière souffrait et agonisait en ligne avec le Samu, les ARM ne l’ont pas prises au sérieux et ont enchainé les moqueries à son encontre. Cinq heures plus tard après cet appel au Samu de Strasbourg, Naomi Musenga est décédée d’un accident vasculaire abdominal, selon le dernier rapport d’expertise dévoilé en novembre 2021, et relayé par France Bleu. Encore une fois, des préjugés racistes avaient parasité la ligne du 15…
À lire aussi : Les femmes sont prises en charge plus tardivement que les hommes aux urgences
Image en Une : © Mat Napo – Unsplash
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Les Commentaires
Mais écrire texto "les médecins renvoient les patients de plus de 60 ans chez eux et refusent de les soigner" sur un forum public comme une vérité générale absolue, sans nuance aucune, c'est pas possible.