Après avoir sué sang et eau pendant une décennie sur Game of Thrones, David Benioff et D.B. Weiss reviennent sur Netflix avec un projet au moins aussi complexe : l’adaptation en série de la trilogie littéraire Le Problème à trois corps. Ils sont accompagnés dans leur tâche par Alexander Woo, scénariste sur True Blood et co-créateur de la série The Terror. Publiés entre 2016 et 2018, les romans de Liu Cixin sont considérés comme un monument contemporain de SF. Les résumer tient de la gageure, mais on va quand même essayer, et sans spoilers !
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De quoi parlent les livres « Le problème à trois corps » ? Le résumé, sans spoilers
À la fin des années 60, en Chine, la jeune Ye Wenjie assiste au meurtre de son père sur la place publique par les Gardes Rouges, en pleine révolution culturelle. Exilée sur la mystérieuse base militaire de La Côte Rouge, cette astrophysicienne de génie va prendre une décision qui impactera l’histoire de l’humanité. La timeline principale a lieu en 2007, à Pékin, alors que la communauté scientifique fait face à une inquiétante vague de suicides inexpliqués. Wang Miao, un chercheur en nanotechnologie, se retrouve mêlé à l’enquête. Il découvre l’existence d’un jeu virtuel, “Le Problème à 3 corps”, fondé sur un problème de physique avancée.
Ces trois mystères sont liés au futur de l’humanité, menacé. Ce roman passionnant, qui vulgarise avec brio des concepts scientifiques complexes, a déjà fait l’objet d’une série chinoise, diffusée en 2023 sur CCTV. David Benioff, D.B. Weiss et Alexander Woo planchent depuis 2020 sur cette version internationale, qui prend des libertés avec le matériau d’origine.
Le problème de l’occidentalisation forcée
Alors que la quasi-totalité des personnages humains du Problème à 3 Corps sont chinois, et que le roman explore l’histoire du pays, les showrunners ont opté pour une anglicisation de plusieurs personnages, déplaçant une grande partie de l’action en Angleterre, le groupe de scientifiques étant dans la série composé d’ancien·nes étudiant·es d’Oxford. On retrouve des personnages présents dans les trois tomes du roman, mais aussi de nouveaux venus, comme le millionnaire Jack Rooney, incarné par John Bradley-West, inoubliable Samwell Tarly dans Game of Thrones, ou encore des protagonistes basés sur les romans, dont les genres ou la nationalité ont été modifiés.
David Benioff a expliqué :
“On voulait représenter, autant que faire se peut, toute l’humanité. On voulait des gens du monde entier. On a essayé de composer une distribution très diverse et internationale pour véhiculer l’idée qu’il ne s’agissait pas de la guerre d’un pays contre une menace extraterrestre, mais de l’effort du monde entier pour survivre.”
Soit, mais le choix de centrer l’action à Oxford était-il vraiment nécessaire et ne trahit-il pas plutôt une vision “anglo-saxonne centrée” que véritablement internationale ?
Et puis, à l’heure où des œuvres de pop culture, comme la sud-coréenne Squid Game, sont capables de toucher un public mondial, on peut s’interroger sur la pertinence de transformer des personnages à l’origine asiatiques, et le risque pris de dénaturer le récit. Ce choix du melting pot s’entend mais son exécution laisse à désirer.
Personnages féminins : les leçons de Game of Thrones ont-elles été retenues ?
Le personnage de Wang Miao, central dans le premier tome du roman, devient une physicienne idéaliste d’origine sud-américaine, Auggie Salazar (Eiza González). Un choix qui permet d’insister sur la place des femmes dans le milieu scientifique. Dans la première scène qui l’introduit, avec son amie Jin Cheng (Jess Hong), un gros lourd les aborde dans un bar. Il est bouche bée d’apprendre qu’elles sont de brillantes scientifiques. Voilà pour le niveau de féminisme – très mainstream – de la série. Dans une scène plus réaliste de flashback en Chine, Ye Wenjie voit son travail approprié par un collègue masculin.
Au premier abord, David Benioff et D.B. Weiss semblent avoir tiré des leçons des critiques féministes sur Game of Thrones : les personnages féminins ne sont pas réduits à des stéréotypes. Le personnage de Ye Wenjie (jouée à différentes époques par Zine Tseng et Rosalind Chao, toutes deux excellentes), à la fois attachante et complexe, témoigne de ce soin apporté à l’écriture. La plupart ne sont pas sexualisées, à l’exception d’une scène dispensable où Auggie se prend une cuite en sous-vêtements sexy (soupirs).
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On loue souvent leur intelligence dans les dialogues, histoire de bien rappeler que les femmes en ont dans le ciboulot ! Mais ces moments sonnent artificiellement et plusieurs personnages masculins – Wade, Will, Saul ou Da Shi incarnés par Liam Cunningham, Alex Sharp, Jovan Adepo et Benedict Wong – se taillent la part du lion en termes de développement de personnages et d’importance narrative. Ils détiennent aussi davantage le pouvoir – militaire, financier, décisionnaire ou sur l’avenir de l’humanité.
Une série pour réconcilier le grand public avec la SF
La bonne idée de la série, c’est d’insister sur l’amitié qui lie les “5 d’Oxford”. On aurait aimé que ces liens soient moins parasités par des romances bancales (Will et Jin, Auggie et Saul). Comme nombre d’œuvres ambitieuses de SF (cf la récente Foundation), les showrunners font face à un risque : que les enjeux complexes d’un récit sur l’histoire de l’humanité écrase tout le reste. Cette première saison du problème à 3 corps souffre immanquablement de quelques incohérences et de personnages inégaux.
On salue en revanche l’ambition de cette adaptation, esthétiquement très réussie. Entre le monde virtuel convaincant (chapeau aux département décors et costumes) et les prouesses technologiques dans le monde réel (le mystère du compte à rebours est par exemple joliment mis en scène), la partie effets spéciaux se devait de nous impressionner et c’est le cas. Séduisant mélange entre un Lost et un Battlestar Galactica, Le Problème à 3 corps ne laissera pas les fans de SF indifférents et pourrait motiver les novices du genre à s’y passionner, comme Game of Thrones a pu le faire dans le passé avec le genre de la fantasy.
Côté thématiques, le parallèle avec notre société est évident. Alors que les gouvernements s’organisent pour faire face à une menace attendue dans 400 ans, certains protagonistes se foutent un peu d’enjeux si lointains. La série nous montre les différentes réactions que l’humanité peut avoir face à une menace d’extinction.
Entre la pandémie de Covid, l’urgence climatique et la montée des extrêmes, les menaces ne manquent pas dans notre société. La série soulève aussi tout ce qui fait la beauté du genre de la SF : les mystères de l’univers, la grande question de l’existence d’autres formes de vie, le sens que l’on veut donner à nos existences humaines… Autant de sujets philosophiques étourdissants qui nous font espérer que la série, malgré ses faiblesses, recevra un accueil assez chaleureux pour avoir droit à une deuxième saison.
Les Commentaires
J'ai pas encore regardé car trop fatiguée par le travail en ce moment, mais je regarderai quand j'aurai le temps... Il paraît que c'est bien, en tout cas.
Par contre,
"“On voulait représenter, autant que faire se peut, toute l’humanité. On voulait des gens du monde entier. On a essayé de composer une distribution très diverse et internationale pour véhiculer l’idée qu’il ne s’agissait pas de la guerre d’un pays contre une menace extraterrestre, mais de l’effort du monde entier pour survivre.”
Quelle hypocrisie.....
C'est surtout le fait que s'il n'y a pas d'Américains dedans, ça part du principe que ça ne va pas intéresser. Quelle bande d'hypocrites...