« Les rapporteures dénoncent sans détour une industrie qui génère des violences systémiques envers les femmes de façon générale. »
Ainsi débute le premier rapport parlementaire sur la pornographie en France. Aux commandes, quatre sénatrices de bords politiques très différents : Annick Billon (UDI), Alexandra Borchio Fontimp (LR), Laurence Cohen (PCF) et Laurence Rossignol (PS) pour la délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances du Sénat.
Malgré la banalité de son usage, c’est la première fois que l’institution parlementaire française s’empare du sujet de la pornographie. Le rapport de presque 200 pages vise à dresser un état des lieux de cette industrie en France, à établir des recommandations quant à son usage par les mineurs, mais aussi à mettre en lumière la mécanique de l’industrie, et les liens entre les images véhiculées par la pornographie en ligne et les violences faites aux femmes.
Alors que pour la première fois dans l’Hexagone, la justice pénale juge de violences commises dans le cadre de l’industrie pornographique, voici les éléments clés de cet inventaire.
La France, 4e consommateur de pornographie dans le monde
Si ce rapport est nécessaire, c’est notamment parce que la France consomme de la pornographie — au sens de pornographie mainstream, diffusée gratuitement sur les plateformes —, et en grande quantité. Le pays de Voltaire est le quatrième plus gros consommateur de pornographie dans le monde : au sein des 25 sites les plus consultés de France, quatre sont des sites pornographiques.
Or, parmi les 19,3 millions de visiteurs uniques qui consultent du porno chaque mois, on compte 2,3 millions de mineurs. Bien que le code l’interdise, 70 % des mineurs de moins de 15 ans ont déjà vu de la pornographie : la faute à la démocratisation des smartphones, mais aussi de l’absence de régulation et de vérification de l’âge de la part des plateformes.
Un chiffre qui rappelle les enjeux sociaux, pédagogiques et sanitaires liés à la question : de l’usage de préservatifs au respect du consentement, on peut sans exagérer douter que les collégiens qui consultent de la pornographie aient l’éducation sexuelle nécessaire pour posséder un recul critique vis-à-vis de ce qu’ils voient.
La violence de l’industrie pornographique mainstream
Que voient-ils, justement, sur ces plateformes de porno mainstream ? Principalement de la violence, soutient le rapport. Citant une étude de 2010 sur un échantillon de 50 films pornographiques les plus loués, les rapporteures affirment que :
La majorité des scènes […] contiennent des abus physiques et verbaux à l’encontre des exécutantes. 88 % des scènes en question présentent des agressions physiques, dont des fessées, des gifles, des « gaggings ». 48 % présentent des agressions verbales. Les chercheurs concluent qu’en combinant les agressions physiques et verbales, près de 90 % de ces scènes présentent au moins un acte agressif, avec en moyenne près de douze mauvais traitements par scène ».
Des chiffres choquants, mais imprécis puisqu’ils ne précisent pas si ces gestes sont mis en scène comme consentis — et consentis pendant le tournage, par les actrices.
Car la violence ne commence pas au visionnage, mais au moment du tournage, et ce que soutient la délégation, c’est que la production de porno mainstream est un terreau propice à la violence. Conditions de tournage précaires, non-respect du consentement des actrices, mensonges et manipulation… Les témoignages cités rapportent des faits d’une grande violence lors de la production des films, et peu de leviers juridiques pour les victimes.
Le rapport auditionne par ailleurs des représentants des deux grands groupes de diffusion de films X en France, Dorcel et ARES (détenteur de Jacquie et Michel), en parallèle de leur mise en cause au sein d’une procédure pénale pour viols en réunion et traite d’être humain, entre autres.
Si les deux entreprises argumentent qu’elles ne feraient que diffuser certains contenus violents et n’en sont donc pas responsables, cet argument est refusé par la délégation : la diffusion porte une responsabilité dans la propagation de contenu pornographique violent.
Une industrie récente et extrêmement lucrative
Car les diffuseurs de pornographie, qu’ils soient en France ou à l’international, ne sont pas étrangers à cette violence dans la pornographie mainstream. En effet, l’industrie du film pour adulte a évolué de manière rapide et radicale, à partir du milieu des années 2000.
C’est à cette période que le rapport place l’avènement des plateformes de diffusion gratuite, massive et sans contrôle a priori des vidéos. Sur le modèle de YouTube, des sites tels que Pornhub ou Xvideos démocratisent un porno massif, et accessible avec une connexion internet, un ordinateur ou un smartphone.
Jusque-là, la consommation de pornographie était relativement encadrée (sur des chaînes spécifiques, ou dans certains cinémas) et elle était payante. Les productions de films X, peu nombreuses, fonctionnaient sur le modèle de celle des films « classiques » : quelques acteurs et actrices rémunérés, des tournages relativement encadrés par la loi et des profits qui revenaient à la production.
Or, les plateformes gratuites de diffusion de masse de la pornographie ont transformé cet écosystème économique. Le rapport précise d’ailleurs qu’elles « ne sont pas détenues par des professionnels de l’industrie pornographique, mais par des spécialistes de la circulation de l’argent » : des sociétés aux profits titanesques, qui ne bénéficient pas de ce que montrent ces vidéos, mais de leur quantité démesurée qui permet d’afficher de la publicité à foison. Au prix de faire apparaître en ligne des vidéos de violences sexuelles, parfois sur des mineures, comme plusieurs enquêtes en ont attesté.
Dans cette nouvelle économie de la pornographie, les plateformes de diffusions sont toutes-puissantes. Multinationales peu scrupuleuses, elles échappent souvent aux législations des États dans la lutte contre le revenge porn ou la diffusion de vidéos volées.
Les recommandations du rapport
C’est donc toute une mécanique que met en lumière L’enfer du décor : des conditions de travail précarisées à l’extrême pour les actrices, des violences devant la caméra, et une industrie qui s’enrichit sur la consommation de masse de ces vidéos accessibles et gratuites. En France, spécifiquement :
Les travaux de la délégation ainsi que les récentes recherches et enquêtes sur le milieu de la pornographie ont mis en évidence le caractère systémique et massif des violences envers les femmes perpétrées dans ce milieu, qui plus est sur des femmes souvent dans des situations de précarité et de vulnérabilité économiques et psychologiques extrêmes.
Le rapport souligne aussi la division sexuée, raciste et lesbophobe des rôles dans les rapports sexuels affirmée par le porno mainstream, ainsi que l’érotisation de pratiques illicites.
Des constats qui méritent d’être posés par les institutions, et qui appellent à une question : et maintenant, on fait quoi ?
La délégation propose 23 recommandations, certaines plus précises que d’autres. Pour sensibiliser le grand public, elle propose d’imposer aux sites pornographiques des messages d’avertissement « précisant qu’il s’agit d’actes sexuels non simulés, pouvant constituer des infractions criminelles ou délictuelles », mais aussi de promouvoir l’éducation sexuelle à l’école (désignation d’un délégué académique à l’éducation à l’égalité et à la sexualité, aborder la pornographie dans le cadre des séances d’éducation à la vie sexuelle, recrutement de professionnels de santé…) et à la maison, en sensibilisant les parents.
Le rapport enjoint aussi à mieux accompagner les victimes de violences sexuelles dans le cadre de la pornographie. Pour cela, il est recommandé de former les forces de l’ordre au recueil de leurs plaintes, d’adapter l’accueil des victimes sur la ligne d’écoute 3919, ainsi que de donner une priorité politique, traduite dans les effectifs et moyens des services d’enquête et des magistrats, à la lutte contre les violences commises dans un contexte de pornographie.
Enfin, les recommandations touchent les plateformes de diffusion de plusieurs manières : d’abord, en imposant une responsabilité légale aux diffuseurs de contenus et en les punissant d’amende pour toute diffusion illicite, mais aussi en facilitant les signalements. Ensuite, en imposant aux plateformes de satisfaire gratuitement aux demandes de retraits vidéos formulées par les personnes filmées. Mais aussi, et surtout, en interdisant l’accès à ces plateformes aux mineurs.
Ce point est central au sein des recommandations. Nouveaux systèmes pour vérifier l’âge des internautes, sanctions « aux montants dissuasifs », contrôle parental : autant de pistes plus ou moins viables, analysées par nos confrères de Numerama.
Sur certains points, le rapport interroge : quelques passages entretiennent une confusion entre l’industrie de la pornographie, la production indépendante de contenu sur Onlyfans et la prostitution ; d’autres minimisent le travail de création d’une pornographie alternative et féministe. Toutefois, on peut se réjouir que l’institution parlementaire se saisisse de la question des violences sexistes et sexuelles au sein de l’industrie pornographique et de l’éducation sexuelle à l’école, et l’on espère que ces recommandations seront suivies avec les moyens nécessaires.
À lire aussi : Porno en ligne : la justice propose une médiation pour trouver des moyens de bloquer l’accès aux mineurs
Crédit photo : Charles Deluvio / Unsplash
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Les Commentaires
Un des liens posté plus haut l'explique très bien je trouve, c'est que sur la consommation vidéopornographique des femmes (notamment des contenus ultra violents), il n'y a pas de données sur leurs motivations derrière le visionnage de ce genre de contenu, ce qui n'est pas le cas pour les hommes.
(*je pense que les écrits ou les podcasts érotiques, qui sont très populaires chez les femmes, sont plus à visée masturbatoire pour le coup, mais je n'ai pas d'études sur le sujet)