Mètre-étalon d’une génération, la radio libre de Difool sur Skyrock répondait aux questions amour et sexualité d’autrices et auditeurs en toute franchise, mais regorgeait (entre autres) de biais sexistes. En fait, il a peut-être toujours manqué d’une version plus instruite, inclusive, tout en restant impertinente, de cette vieille émission. Heureusement, depuis juin 2021, une équipe de chroniqueuses anime le podcast natif « Hot Line » qui défriche nos tourments d’amour et de cul contemporains. Et ce, avec énormément d’humour, mais aussi d’informations précises et éclairantes, y compris du côté des sujets moins joyeux comme le fléau des violences sexistes et sexuelles.
Ce podcast natif Original Spotify, en association avec Nouvelles Écoutes, foisonne ainsi de bons conseils qui répondent à toutes les questions que vous vous posez peut-être sans forcément oser les poser. Chaque épisode dure deux heures. Durant la première moitié, les chroniqueuses échangent autour d’un thème. Durant la deuxième, elles répondent aux questions de leur audience, via des appels en direct ou des notes vocales.
Le tout donne un résultat explosif de rires, de bons tuyaux, et d’informations précieuses en matière de sexualité et de santé, sans tomber dans l’injonction au sexe. Pour mieux comprendre cette éducation sentimentale d’un nouveau genre qui ferait rougir Flaubert, on a donc posé quelques questions à Naya Ali, la présentatrice culottée d’« Hot Line ».
Interview de Naya Ali, présentatrice du podcast « Hot Line »
Madmoizelle. Comment et pourquoi est venue l’idée de créer le podcast « Hot Line » ?
Naya Ali. Spotify et Nouvelles Écoutes cherchaient des femmes qui parlaient ouvertement de sexualité sur internet pour former une équipe. Je tiens un compte Twitter qui s’appelle Mauvaise Fille, dans lequel je raconte des histoires de cul et je tente de déconstruire sur les dynamiques amoureuses. Ils sont venus me chercher pour être présentatrice, j’ai passé des essais et ça a fonctionné ! Puis on a fait des enregistrements test avec les chroniqueuses.
Qui sont les autres chroniqueuses, justement ?
Rosa Bursztein est comédienne, humoriste, créatrice du podcast « Les mecs que je veux Ken » et autrice du livre du même nom. Claude-Emmanuelle Gajan-Maull est mannequin et artiste. Laetitia Reboulleau est journaliste culture, société et sexo. Léa Toussaint est créatrice du compte Instagram Merci Beaucul. Elvire Duvelle-Charles est créatrice du compte Clit Revolution, réalisatrice du documentaire du même nom, fondatrice du ciné-club féministe Tonnerre, et autrice de l’essai Féminisme et réseaux sociaux. Clarisse Luiz est créatrice du compte Twitter Clarification et créatrice des soirées La Bringue. Manon est créatrice du compte Instagram Le cul nu, autrice du livre du même nom, et créatrice du jeu Le Cul-iz. Anissa est influenceuse et créatrice de #MeToo Animation. Et Camille est créatrice du compte Tiktok Camille Te Signe. Durant la première saison, il y avait Chloé Lemn, influenceuse et youtubeuse.
Dans le podcast, elles n’en sont pas toutes au même degré de déconstruction, ce qui est donné à entendre : en quoi c’est important et peut-être décomplexant pour l’audience ?
Même si on parle toutes de thématiques liées au sexe et à l’amour sur les réseaux, on est une équipe de filles avec des profils très différents. C’était important d’avoir une parole déconstruite à différents niveaux. Je pense que c’est moins culpabilisant pour les personnes qui nous écoutent d’entendre des discours qui ne sont pas déconstruits à 100 %, d’entendre des femmes qui se confient sur leurs expériences et qui disent : moi aussi je me suis trompée, je me trompe, et c’est ok.
Je trouve qu’on met beaucoup de pression aux femmes à se déconstruire des injonctions, avec la nouvelle parole libérée sur le sexe. Ce qui est génial, c’est qu’on a réuni des femmes de milieux différents, d’ethnicités différentes, et avec des sexualités différentes. Je suis une femme noire, qui présente le programme, et je trouve ça super, parce qu’en tant que journaliste, j’ai beaucoup entendu que les personnes noires devaient obligatoirement être chroniqueuses, on ne nous considère pas comme assez accessible au public à cause de notre couleur de peau.
Qu’est-ce qui distingue également Hot Line de toutes les émissions sexo d’antenne libre, à ton avis ?
En France, il n’y a pas de libre antenne avec un casting composé exclusivement de femmes. On a eu, à l’époque, la radio libre de Difool sur Skyrock, c’était marrant et bon enfant, mais avec le recul, on s’aperçoit que les sujets sur la sexualité des femmes n’étaient pas hyper bien abordés.
Quand tu es une femme et que tu parles de sexe, aujourd’hui encore, tu peux te faire insulter, c’est pour ça que la création de comptes sexo sur Internet, par des femmes, c’était une libération de la parole. Il existe beaucoup de boys club : personne ne trouve ça anormal, que les hommes se réunissent entre eux pour parler de plein de sujets. Nous, on voulait réunir des femmes pour parler de sexe, de façon intime, mais aussi sérieuse.
Avant tout, « Hot Line », c’est une émission drôle. Toutes les chroniqueuses et moi, on s’entend hyper bien, il y a une dynamique incroyable qui fait qu’on se taquine, qu’on s’écoute, qu’on rigole bien. On peut raconter notre première sodomie, nos pires plans cul, notre plus belle histoire d’amour et se sentir en sécurité les unes avec les autres.
Dans « Hot Line », on parle de nos expériences personnelles, mais on traite aussi de sujets plus sérieux comme les violences sexuelles. On invite parfois des professionnelles de la santé qui viennent pour donner de précieux conseils aux hotties (c’est le nom de nos auditeurs et auditrices).
C’est une émission qui brille aussi par la richesse de la diversité de son casting de chroniqueuses, où les désaccords sont assumés, plutôt que d’être fuis ou édulcorés : en quoi c’est important de donner à entendre que vous n’êtes pas toujours du même avis, de donner des conseils différents, parfois opposés ?
Au départ, on avait des remarques de mecs qui nous disaient : « c’est dommage que vous n’invitiez pas d’homme, pour avoir des avis contradictoires. » Comme si, en tant que femmes on était une entité unique avec une seule façon de penser. On n’est souvent pas du tout d’accord sur des questions.
Par exemple, on a un débat éternel sur : « Est-ce que c’est au mec de payer l’addition au premier date ? » Ou alors, sur la question des poils, certaines de l’équipe ne supportent pas d’en avoir ou d’en voir sur leur partenaire, d’autres filles disent s’être déconstruites sur ce sujet, et être très à l’aise avec la pilosité.
Et je trouve ça cool d’avoir des avis qui représentent réellement la pensée de la société à différents niveaux. Des hotties m’ont écrit pour m’avouer que c’était déculpabilisant pour elles et pour eux, de ne pas juste avoir un seul avis déconstruit sur une question. Ainsi, ils et elles se sentaient moins coupables de ne pas être irréprochable d’un point de vue féministe.
Vous recevez souvent des témoignages d’auditeurs et auditrices qui racontent que vous avez changé leur approche du sexe : est-ce que ça t’étonne ? Qu’est-ce que ça raconte du manque d’éducation intime et sexuelle proposée aujourd’hui en France, selon toi ?
Ça ne m’étonne pas car il n’y a pas tant de personnes qui parlent de sexe sur Internet. Aujourd’hui, la loi rend obligatoire des cours d’éducation sexuelle dès l’école primaire [Il s’agit de l’article L312-16 : « Une information et une éducation à la sexualité sont dispensées dans les écoles, les collèges et les lycées à raison d’au moins trois séances annuelles et par groupes d’âge homogène. »]. Mais cette loi n’est pas du tout appliquée.
Je crois que la France est très frileuse à l’idée de donner des cours d’éducation sexuelle aux enfants et aux adolescents, à cause de l’idée reçue selon laquelle cela consisterait en visionnage de porno en classe alors que ça n’a rien à voir. Selon moi, l’éducation au consentement est une base qui devrait être apprise dès la primaire.
Je pense que l’engouement pour Hot Line témoigne du fait qu’il y a assez peu de femmes qui parlent de sexe et d’amour librement. Je l’ai remarqué avec mon compte Twitter Mauvaise fille. Pour moi, ce n’était pas grand-chose, mais ça choquait beaucoup les gens. La société demande aux femmes de faire semblant de ne rien comprendre à propos du sexe, tout en étant des expertes au moment de passer à l’acte. C’est hyper contradictoire ! Alors écouter des femmes qui assument complètement leur sexualité, c’est surprenant.
Parfois, quand on parle de nos expériences personnelles, on raconte : « J’ai vécu telle chose, ce n’était absolument pas normal et j’ai détesté ». Eh bien, je pense que pour des personnes qui ont vécu une chose similaire, s’en sentaient mal, sans pouvoir mettre le doigt ou le mot dessus, ça peut faire beaucoup de bien d’entendre quelqu’un d’autre partager son ressenti.
Pourquoi rigolez-vous souvent du fait que les hommes témoignent de moins en moins dans le podcast de peur d’être engueulés ?
Dans le programme de deux heures qu’est Hot Line, les chroniqueuses échangent autour d’un sujet durant la première moitié (les orgasmes, la sodomie, la drague, les fantasmes, la contraception, etc). La deuxième moitié consiste à répondre aux questions des auditeurs et auditrices, que ce soit en appel en direct ou notes vocales.
Et pour cette deuxième partie d’émission, on recevait beaucoup de vocaux d’hommes qui voulaient imposer quelque chose à leur partenaire « Comment dire à ma copine de faire ceci ? », tandis que beaucoup de vocaux des femmes pouvaient se résumer à « Comment faire pour plaire ? » Or, on ne pouvait pas faire de podcast de cul sans prendre en compte cette dynamique de genre. Patriarcat oblige, les hommes cis hétéro sont privilégiés dans les relations sexuelles et amoureuses.
Alors quand on recevait ce genre de vocaux de la part de mecs, on les engueulait à l’antenne. À force, ils ont pris peur. J’ai dû leur faire un message pour leur dire « Revenez ! » Mais on continuera de mettre les points sur les i à chaque fois que ce sera nécessaire.
C’est quoi ton meilleur conseil pour amorcer un flirt sur une appli de rencontres ?
Je pars du principe que ça ne peut pas être sexy sur une appli (rires). Il faut toujours croire ses premières impressions : si on ne sent pas trop la personne, il ne faut pas aller plus loin. Si on le sent bien, je recommande de passer sur un autre canal de conversation, comme Whatsapp par exemple. Et là, on peut exprimer davantage ses intentions.
Je suis dans la team : dire les termes explicitement, plutôt que de passer par quatre chemins. Trop d’insinuations peuvent créer des malentendus ! Mieux vaut dire ce qu’on veut, dans le respect et la courtoisie. C’est le meilleur moyen de se faire comprendre, et de stopper la conversation si l’on n’a pas les mêmes intentions.
Et ton meilleur conseil pour déterminer rapidement si on est dans la friendzone ou non ?
On le répète tout le temps dans l’émission : la friendzone n’existe pas ! Si vous vous considérez dans la friendzone, c’est sûrement parce que vous l’êtes, et c’est ok. C’est important de considérer l’amitié à part entière, et non comme du sous-amour. Bien sûr, je sais bien que ça peut faire mal d’espérer une relation amoureuse avec quelqu’un qui vous considère comme une amie, mais il faut l’accepter, soit en s’en contentant, soit en s’éloignant (sans la ghoster, bien sûr).
Croire en la friendzone sous-entend qu’il existerait des techniques pour en sortir, comme si l’amitié était quelque chose de négatif. C’est d’ailleurs un terme beaucoup utilisé par les incels qui croient qu’être gentils avec les femmes conduit à la friendzone et donc qu’il vaudrait mieux se la jouer bad boy.
Quelle est la question qu’on ne te pose pas assez autour de Hot Line ?
Les auditeurs et auditrices d’« Hot Line » nous posent déjà une multitude de questions passionnantes, c’est super ! Après, les questions des hommes straight et celles des gays diffèrent totalement et c’est révélateur d’une interrogation qu’expriment peu les hétéros : ils nous demandent peu comment aimer, comment faire du bien, comment prendre soin. Les hommes apprennent comment baiser, mais peu à aimer les femmes. Je pense qu’ils devraient se poser plus de questions sur l’amour. Plutôt que d’écouter des coachs en séduction bidon, écouter les femmes permet de mieux les satisfaire et de se rapprocher d’un rapport plus égalitaire.
Écoutez le podcast Hot Line, disponible en exclusivité sur Spotify
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Crédit photo de Une : Les chroniqueuses du podcast sexo « Hot Line », photographiées par Adeline Rapon.
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