— Article initialement publié le 3 décembre 2012
Nous avons déjà discuté ensemble de certaines expériences marquantes de la psychologie.
Nous avons réalisé que nous étions tou•tes des bourreaux potentiels avec l’expérience de Milgram, que nous étions tou•tes les fous et folles de quelqu’un avec celle de Rosenhan, que les élèves pouvaient subir un effet Pygmalion avec l’étude de Rosenthal, ou encore qu’il n’en fallait pas beaucoup pour que étudiants se transforment en tortionnaires …
Aujourd’hui, attaquons-nous à l’une des expériences les plus célèbres en psychologie comportementale et cognitive : l’histoire du Petit Albert.
Nous sommes en 1920 et depuis quelques années, le « behaviorisme » se développe en réaction aux méthodes mentalistes et introspectives.
Les psychologues dits « behavioristes » ou « comportementalistes » se concentrent les comportements observables de l’individu et considèrent celui-ci comme une « boîte noire », sans s’intéresser à sa conscience.
Pour les adeptes de ce courant, l’individu est envisagé sous l’angle de réponses comportementales à des stimuli extérieurs, et les différences interindividuelles s’expliquent par « les conditionnements provenant du milieu dans lequel chacun évolue ».
Le behaviorisme a été largement critiqué (l’individu ne peut être envisagé sous le seul angle de l’apprentissage, sans prendre en compte la complexité des relations entre un individu, son environnement, le contexte, les autres…) et peu à peu abandonné.
Il a néanmoins contribué au développement du cognitivisme — qui décompose la pensée en processus mentaux (étudiés par des expériences où le comportement est une variable expérimentale).
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L’expérience « le petit Albert » consiste à créer une phobie chez un enfant
En 1920 donc, John B. Watson, l’un des pères du behaviorisme, souhaite observer comment l’aversion et les émotions négatives peuvent naître d’un processus de conditionnement.
Avec Rosalie Rayner, Watson entreprend « l’expérience le Petit Albert » : les psychologues veulent susciter volontairement la phobie des rats chez un enfant de moins d’un an afin de prouver qu’une phobie peut être acquise suite à un processus de conditionnement.
OUAIS, on ne s’enquiquinait pas trop avec la déontologie, à l’époque. Vous vous souvenez, dans American Horror Story, lorsque le psychiatre tente de détruire l’homosexualité de Lana par un conditionnement hyper subtil ? On est dans l’ambiance !
Le petit Albert, arrivé entre les mains de Watson à l’âge de 9 mois, fréquente le laboratoire pendant deux mois, durant lesquels les chercheurs et chercheuses lui présentent des rats blancs et des objets à fourrure blanche.
L’enfant ne manifeste aucune crainte particulière – ce qui, selon Watson et Rayner, prouve que les rats sont pour Albert des « stimuli neutres » (qui n’apportent aucune réaction spécifique).
Afin de lui apprendre à avoir peur de ces rats, les psychologues lui présentent à nouveau un rat, et lorsque l’enfant va le prendre, un chercheur fait retentir un bruit violent et très fort. Albert, assis sur un matelas, tombe à la renverse et se met à pleurer. L’équipe répète ce procédé plusieurs fois : Albert pleure et se met à trembler à la simple vue du rat.
Enfin, Watson et Rayner lui tendent le rat sans faire retentir le bruit : Albert tombe, pleure et s’enfuit à quatre pattes.
Le rat est devenu un stimulus conditionnel qui déclenche la peur ; la seule présence du rat, et plus généralement d’objet à fourrure blanche, suffisent à faire peur à l’enfant… Le petit Albert est même effrayé à la vue du masque du père Noël.
Encore un à qui le pauvre Albert n’aurait pas pu faire de papouilles.
Le truc, c’est que Watson et Rayner n’ont pas jamais inversé le conditionnement de l’enfant, et le petit Albert a quitté le laboratoire avec sa phobie sous le bras – pas de bol.
En revanche, Watson et Mary Cover Jones (1924) sont parvenus plus tard à inverser la phobie des lapins d’un enfant de 3 ans, prénommé Peter.
Cette fois, ils ont éliminé la peur avec un « contre-conditionnement », en associant le lapin à des sensations agréables (boire du lait et manger des biscuits). La première fois, le lapin est tenu à bonne distance lorsque Peter ingère le lait et les biscuits.
En quelques jours, Watson et Jones rapprochent le lapin, jusqu’à ce que Peter l’ait sur ses genoux en mangeant…
Qu’est devenu le petit Albert ?
L’expérience du petit Albert a marqué l’histoire de la psychologie, et de nombreux•ses chercheurs et chercheuses se sont interrogé•es à son sujet : quelle est la véritable identité du petit Albert ? Qu’est-il devenu ?
Il y a quelques années, une équipe de chercheur•ses et étudiant•es, menée par Hall. P. Beck, s’est attelée à la tâche, a fouillé les dossiers historiques, interrogé des descendants des protagonistes, effectué des comparaisons faciales…
Finalement, après des années de recherche, en 2010, ils et elles pensent avoir trouvé la véritable identité du petit Albert : il s’agirait de Douglas Merrite, qui serait décédé à l’âge de 6 ans d’hydrocéphalie contractée à la suite d’une méningite… Nous ne saurons donc jamais si sa phobie a tenu bon.
Pour Beck, la démarche de son équipe a été un succès. À la fois parce qu’elle a permis de répondre à la question initiale, mais aussi parce qu’elle a fait passer ses élèves par des procédés de recherche très riches – et formateurs pour ses étudiant•es.
Si je laissais le lyrisme m’emporter, je dirais même que parfois, le chemin est aussi – voire plus — important que l’arrivée.
Un twist dans l’histoire du petit Albert !
La vie n’étant manifestement pas un long fleuve tranquille pour les chercheurs et chercheuses en psychologie, une nouvelle à propos du petit Albert a fait le buzz en janvier dernier (nous sommes d’accord : un buzz relatif).
En 2012, dans le journal History of Psychology, Alan Fridlund est ainsi revenu sur l’histoire du petit Albert, en suggérant que l’enfant aurait peut-être été atteint de troubles neurologiques… Ce qui discrédite l’expérience entière de Watson et Rayner.
Si effectivement l’enfant présentait un déficit cognitif sérieux, ses réactions n’ont pas pu être « typiques » (c’est-à-dire correspondre aux réactions d’autres enfants sans troubles).
Dans ce cas l’expérience ne montre rien… à part des chercheurs terrorisant un bébé malade sans aucune raison valable (ce qui ne signifie pas que terroriser un enfant avec des raisons valables soit plus glorieux, hein).
Torturer les bébés, c’est vraiment pas très très gentil.
Comment Fridlund en est arrivée à cette conclusion ? D’une part, le chercheur s’est penché sur le film de l’expérience. Selon lui, les réactions d’Albert étaient clairement alarmantes : son absence de réactions serait caractéristique d’un enfant atteint de troubles neurologiques et avec une mauvaise vision.
Fridlund a alors demandé à Goldie, professeur de neurologie, de visionner ce film — sans qu’il sache que l’enfant était le petit Albert — qui confirme une atteinte neurologique.
D’autre part, Fridlund, secondé par le neveu de Douglas Merritte, a continué à fouiller les archives et a trouvé d’autres indices confirmant que le petit Albert était bien Douglas (leurs histoires, apparences et les dates concordent).
Dans un même temps, ils ont lu des notes expliquant qu’à 6 semaines, Douglas présentait une expression « fixe », pleurait constamment… Selon leurs preuves, l’hydrocéphalie dont est mort le garçon était congénitale et non « acquise » à la suite d’une méningite (même si Merritte aurait effectivement contracté une méningite en 1919, soit avant l’expérience de Watson).
L’enfant était malade, ne voyait pas bien et, selon les témoignages, n’aurait jamais appris à marcher ni à parler.
Toutes ces observations mèneraient ainsi à penser que le petit Albert était atteint de troubles neurologiques… et que Watson connaissait sa condition.
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Pourquoi choisir un enfant malade ? Selon le papier d’History of Psychology, Watson et Rayner expliqueraient avoir choisi Albert parce qu’il semblait impassible et imperturbable et qu’ainsi la peur induite lui causerait peut-être moins de mal. Ça, c’est la version officielle.
D’autres raisons, plus sombres et moins officielles, pourraient être envisagées.
Watson aurait pu être obnubilé par la finalité de son expérience, faisant fi des « coûts » engendrés (selon lui, « [les expériences] vaudront ce qu’elles coûtent si à travers elles, nous pouvons trouver une méthode qui nous aide à supprimer la peur ») ; d’autant plus qu’à l’époque, il était plutôt commun d’utiliser des enfants pauvres et malades comme sujets expérimentaux.
Autrement dit, si les résultats d’une expérience peuvent potentiellement contribuer à aider des gens plus tard, tout est permis et c’est la foire à la saucisse.
Par ailleurs, la mère de Douglas, nourrice à l’hôpital, n’aurait peut-être pas « pu » refuser que son enfant soit utilisé dans l’expérience de l’hôpital qui l’employait – parce qu’elle était dépendante de son employeur, à la fois pour son emploi et pour les soins médicaux de son bébé malade.
En conclusion, en ayant parfaitement connaissance de la condition du petit Albert (mais sans la mentionner officiellement), Watson et Rayner ont conditionné un nourrisson à avoir peur et n’ont même pas tenté de le suivre ensuite et de s’assurer de son bien-être…
L’expérience du petit Albert a été largement décriée et a notamment conduit à mener des réflexions sur l’éthique des expériences. Aujourd’hui, selon Fridlund, elle force aussi les chercheurs et chercheuses à se confronter à des questions majeures sur la fraude scientifique, sur la protection des personnes présentant des handicaps divers, sur la cruauté médicale…
Jusqu’où peut-on aller au nom de la recherche ?
Pour aller plus loin :
- Quelques mots de l’APA (American Psychology Association) à propos de la recherche de l’identité du petit Albert et de dernières recherches sur la santé du petit Albert
- Retour sur la saga « qui est le petit Albert »
- Pour les intéressé•es, des ouvrages plus généraux (ici et là)
À lire aussi : Pourquoi a-t-on peur des mathématiques et comment y remédier ?
Écoutez l’Apéro des Daronnes, l’émission de Madmoizelle qui veut faire tomber les tabous autour de la parentalité.
Les Commentaires
Effectivement, les TCC fonctionne très bien dans ce genre de domaine ! Après le but d'une TCC n'est pas de supprimer une phobie mais d'apprendre à vivre avec, d'atténué sa peur.
En psycho il existe divers courant. C'est ce qui fait la richesse de la psychologie ! J'pense pas qu'il y ai un courant mieux qu'un autre ! Dans un commentaire une personne (je sais plus qui !) disait que les TCC était mieux que l'analytique pour ce genre de trouble. Je suis pas d'accord !! Le courant analytique a aussi toute ces chances "d’apaiser" une phobie !! Tout dépend de la personne et comment elle aborde sa thérapie ! Un individu peut très bien avoir envie de passer du temps, de réfléchir sur le pourquoi du comment cette phobie c'est développé. Et au contraire une autre personne va vouloir "régler" ça en quelques séance, elle aura pas envie de trop réfléchir sur l'origine de sa phobie elle veut juste s'en débarrasser.