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« Le Parfum », de Patrick Süskind : une histoire d’infâmes jolies choses

le-parfum-patrick-suskindJe suis aisément écœurée par le noir, le sale, l’indécent. Ce qui ronge et putréfie m’effraie. A vue de nez, ce livre n’aurait donc dû me laisser que des taches de laideur et de crasse vulgairement accrochées aux rétines, toute envie pressante de faire pleurer la douche. Une nausée persistante dans le fond.

Pourtant, lorsque les derniers mots me sont arrivés, je n’ai eu que l’envie d’expirer d’un coup sec -enfin- et d’écrire, écrire à n’en plus finir. Raconter encore de ces infâmes jolies choses qui suintent des pavés de Paris et de la peau des vieilles femmes trop poudrées.

En somme, Le Parfum est une expérience, une histoire de sens. Au-delà de l’odeur des pages blanches et de l’encre se dégage en effet l’excessif des arômes sans nuances, tout un tas de petits « trop » bouleversant les narines.

Le mauvais :

A l’époque dont nous parlons […] les rues puaient le fumier, les arrière-cours puaient l’urine, les cages d’escalier puaient le bois moisi et les crottes de rats […], les chambres à coucher puaient les draps graisseux, les courtepointes moites et le remugle âcre des pots de chambre. Les gens puaient la sueur et les vêtements non lavés ; leurs bouches puaient les dents gâtées et leurs corps, dès qu’ils n’étaient plus tout jeunes, puaient le lait aigre des vieilles tumeurs éruptives.

Comme le bon :

Ce parfum n’était pas un parfum comme on en connaissait jusque là. Ce n’était un pas un parfum qui vous donne une meilleure odeur, pas un sent-bon, pas un produit de toilette. C’était une chose entièrement nouvelle, capable de créer par elle-même tout un univers, un univers luxuriant et enchanté, et l’on oubliait d’un coup tout ce que le monde alentour avait de dégoûtant, et l’on se sentait si riche, si bien, si libre, si bon…

Mais ne vous méprenez pas, car ce livre n’est pas de ces discours insensés destinés à parler pour parler : sans début et sans fin, sans fil rouge conducteur.

Ce dernier débute au XVIIIème siècle sous la puanteur toute sanglante d’un étal à poissons, lieu de naissance dévolu de Jean-Baptiste Grenouille. Un nom mou et visqueux pour une ébauche d’homme en forme de paradoxe, un croquis dessiné en trois coups de crayon et une face couturée de cicatrices. Or, toute la singularité de ce personnage réside en son essence même : celle d’un être hors de tout et surtout du commun, né sans odeur propre mais capable de les sentir toutes. Des plus alléchantes aux plus rejetées, des nues aux bas-fonds, du sol au plafond. Un être tout autant dénué de cœur que dépourvu de tendresse, ballotté par misère et finalement voué au Mal.

Lorsqu’il l’eut sentie au point de la faner, il demeura encore un moment accroupi auprès d’elle pour se ressaisir, car il était plein d’elle à n’en plus pouvoir. Il entendait ne rien renverser de ce parfum. Il fallait d’abord qu’il referme en lui toutes les cloisons étanches. Puis il se leva et souffla les bougies.
C’était l’heure où les premiers badauds rentraient chez eux, remontant la rue de la Seine en chantant et en lançant des vivats. Grenouille, dans le noir, s’orienta à l’odeur jusqu’à la ruelle, puis jusqu’à la rue des Petits Augustins […].
Peu après, on découvrait la morte.

Car à l’égal des bêtes les plus primaires, Jean-Baptiste Grenouille se fie tout autant à son nez qu’à son instinct. Sans réelle conscience de la vie et des mœurs, de la justice et du Bien, il n’est en somme qu’un réceptacle d’effluves éparses collectées au hasard de la rue et du temps. Partout, souvent et sur tous.

Ainsi, lorsqu’il découvre un jour l’arôme incroyable de la jeune fille aux mirabelles, l’homme ne peut s’empêcher de vouloir la contenir tout entière et la conserver à jamais. Et croyez bien que dans cette animalité là, le principe même du meurtre n’importe pas.

Tout ne s’arrête pas ici cependant, car tout serait presque trop simple.

La plupart des gens ne savaient pas qu’ils avaient une odeur personnelle, et du reste, ils faisaient tout pour la dissimuler sous leurs vêtements ou bien sous des senteurs artificielles à la mode.
Il n’y avait que cette odeur fondamentale, cette fragrance primitive d’humanité qui leur fût familière, ils vivaient dedans et s’y sentaient bien à l’abri, et il suffisait d’exhaler cette répugnante odeur universelle pour être reconnu comme l’un des leurs.

Car là est la clef de l’histoire, les prémices, la clôture : Grenouille est aussi imperceptible à son nez qu’à tout autre. Désespérément fade et sans empreinte, il perd toute conscience d’exister dès lors que ses pas ne laissent plus de trace, son sillage un néant. Et la vague conscience d’humanité qu’il possédait alors disparaît sans effluves.
En conséquence, l’homme recherche le Parfum, le beau du titre, l’alliance d’essences uniques qui lui permettra enfin d’être ressenti dans les formes.

Et aimé, finalement.

Je suis aisément écœurée par le noir, le sale, l’indécent. Ce qui ronge et putréfie m’effraie. Mais certains maux s’infiltrent parfois en nous avec la délicatesse du sucre roux, la souplesse d’une friandise. Les sens tout entiers dilatés et les narines ouvertes, nous nous laissons ainsi submerger par ces vagues effluves, la vague d’arômes.

Mais lorsqu’ils s’y risquèrent ensuite, d’abord à la dérobée, puis tout à fait franchement, ils ne purent s’empêcher de sourire. Ils étaient extraordinairement fiers. Pour la première fois, ils avaient fait quelque chose par amour.

Et tout s’achève ici.

> Le Parfum, de Patrick Süskind, Le Livre de Poche, 5,20 € sur Amazon


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Les Commentaires

15
Avatar de Bol 2 Riz
19 août 2010 à 13h08
Bol 2 Riz
Ayant vu le film, j'ai décidé de lire le livre il y a déjà quelques mois de ça. Il est long, c'est écrit en tout petit mais le style de Suskind est tellement entrainant qu'on ne s'en lasse pas. A travers ses descriptions d'odeurs, on (res)sent vraiment tous les parfums présents dans le bouquin. Un petit bijou que je conseille à tout le monde !
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