C’est ce qui s’appelle demander des comptes. Dans un communiqué de presse officiel diffusé le 28 mai 2021, la ministre de la culture Alejandra Frausto Guerrero s’est exprimée au nom du gouvernement mexicain pour épingler publiquement Zara, Anthropologie, et Patowl.
« Sur quelle base se permettre de privatiser une propriété collective ? »
Plus précisément, elle demande « une explication publique de la base sur laquelle ils se fondent pour se permettre de privatiser une propriété collective. » D’après le ministère, Zara utilise un motif propre à la communauté indigène des Mixtèques de San Juan Colorado dans le sud de l’État d’Oaxaca.
Le groupe propriétaire de Zara, Inditex, a répondu publiquement dans un communiqué transmis à l’agence de presse Reuters :
« Le design en question n’a en aucun cas été intentionnellement emprunté ou influencé par l’art du peuple mixtèque du Mexique. »
Toujours selon le ministère de la culture mexicain, Anthropologie aurait utilisé un dessin propre à la communauté indigène mixe de Santa Maria Tlahuitoltepec, tandis que Patowl se serait approprié un modèle de la communauté indigène zapotèque de San Antonino Castillo Velasco. Ces deux autres marques d’envergure internationale ne se sont pas encore exprimé publiquement sur le sujet.
Ce n’est pas la première fois que le Mexique demande des comptes à des marques de mode. Déjà, en 2019, c’est la griffe Carolina Herrera qui avait été épinglée. Ce qui montre combien cet État prend au sérieux ce genre de questions souvent mal comprises en Occident.
Qu’est-ce que l’appropriation culturelle ?
Il ne s’agit pas d’interdire les échanges culturels
, ni les tendances mode inspirées d’autres cultures et pays, mais de comprendre dans quelles dynamiques historiques, politiques, et économiques elles s’inscrivent.
On parle d’appropriation culturelle pour désigner comment une entité dominante peut s’approprier le produit d’une culture marginalisée, en se positionnant comme son auteur et en jouissant des bénéfices socio-économiques qui peuvent en découler.
Par exemple, quand Kim Kardashian prétend avoir inventé les nattes collées et gagne de l’argent de ses tutos pour apprendre à reproduire un concept qu’elle n’a en réalité pas inventé. Ou qu’elle tente de déposer le mot « Kimono » pour en faire le nom de la marque de ses gaines. Ou quand une puissante marque de mode s’approprie et met en vente un design traditionnel d’une culture marginalisée, ce qui entraîne forcément des enjeux de propriété intellectuelle.
De manière absurde et injuste, la communauté d’origine d’un concept peut alors se retrouver interdite d’utiliser et/ou vendre le fruit de sa propre culture, car elle pourrait être accusée de contrefaçon, parce qu’il aura été déposé par une entité plus puissante et dominante.
C’est parce qu’il y a rapport de force inégalitaire qu’une situation d’appropriation culturelle devient possible. Une chaîne de boulangerie américaine ne pourrait pas prétendre inventer le croissant aujourd’hui (mais on leur laisse l’invention du cronut, qui n’est rien d’autre qu’un croissant-donut). En revanche, elle pourrait le faire d’une pâtisserie venue d’une petite communauté d’un pays méconnu, en toute impunité… Et en ignorant totalement l’histoire culturelle qui a amené à produire ce genre de pâtisserie.
« L’appropriation culturelle, c’est une escroquerie »
Maboula Soumahoro, docteure en civilisation américaine et autrice de l’ouvrage Le Triangle et l’Hexagone, en résume bien les enjeux de l’appropriation culturelle dans un épisode dédié du podcast Kiffe Ta Race, avec les activistes Rokhaya Diallo et Grace Ly :
« On veut quelque chose que tu as, mais on ne te veut pas toi. […] L’appropriation culturelle, c’est ne pas reconnaître la source de son savoir et en générer des revenus. C’est une escroquerie. »
À l’heure actuelle, l’appropriation culturelle n’est pas (encore ?) illégale. En 2017, des représentants de 189 pays différents se sont retrouvés à Genève pour demander aux Nations Unies d’interdire l’appropriation culturelle, auprès du comité spécial international de l’Organisation mondiale de la propriété intellectuelle (OMPI). Ce qui n’a pas encore abouti officiellement. En attendant, générer des profits, à partir de cultures marginalisées, tout en invisibilisant leurs origines, continue d’être tendance.
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Les Commentaires
Je pense que pas seulement dans le sens où il y a aussi un aspect 'reconnaissance' de la culture à part entière et ne pas prendre seulement ce qui nous intéresse et être de gros racistes ensuite envers les personnes appartenant à cette culture (phrase de CM2 mais on a l'idée).
Mais même si ce n'était qu'un enjeu économique, je ne vois pas le problème. D'une part c'est un enjeu économique parce que les marques se font du blé sur le dos de ces cultures, donc elles en font un enjeu économique. D'autre part parce que souvent, les cultures méprisées (j'ai envie de dire tout le temps mais j'imagine qu'il y a des contre exemples) sont aussi des pays exploités par les gros mastodontes économiques. Dans la définition de l'appropriation culturelle, l'aspect économique est à mon sens essentiel d'ailleurs puisqu'il détermine cette in-équité dans le rapport de force entre les deux pays/cultures/organisations en cause.