De novembre à mars, le Mucem accueille Les Procès du Siècle ! Au programme : un cycle de passionnants débats autour des évolutions de la société, des luttes et des minorités, notamment de genres. Des thématiques au cœur de la ligne éditoriale de Madmoizelle, qui est partenaire de l’événement.
Ces débats s’appuient à chaque fois sur des « pièces à convictions », des objets tirés des collections du Mucem. La rédaction de Madmoizelle s’est associée aux conservatrices du musée pour vous décrypter six de ces pièces à conviction : des objets qui, comme dans un véritable procès, sont bien plus bavards qu’il n’y paraît… Aujourd’hui, penchons-nous sur un objet intriguant, le manuscrit d’accouchée !
De tout temps, les femmes ont subi le joug du patriarcat. Mais certaines périodes ont été plus violentes que d’autres, comme en témoignent de (trop) nombreuses légendes, dans lesquelles se réfugiaient pourtant un grand nombre de femmes, intériorisant inconsciemment la violence des hommes sous ses multiples formes. C’est en partie ce que révèle cette nouvelle pièce à conviction, un petit objet mystérieux au nom tout aussi intrigant : « le manuscrit d’accouchée ».
Une amulette pour protéger les femmes lors de l’accouchement
C’est un petit objet que l’on s’efforçait, passé un temps, de garder loin des yeux d’autrui. Sa seule existence lui conférait un pouvoir magique, et surtout, son utilité relevait d’une étape de la vie que l’homme ne voulait pas voir, et lors de laquelle les femmes allaient souvent se cacher : l’accouchement. C’est un objet discret, et pourtant si puissant, une sorte d’amulette censée protéger les femmes durant l’accouchement. Ça fait rêver, non ? Contenue dans un coffret en cuir doré, ce « manuscrit », sorte de parchemin composé de nombreux petits carrés, raconte une histoire qui, sur le principe, n’a pourtant rien pour rassurer les femmes sur le point de donner la vie.
L’histoire de Sainte-Marguerite, martyrisée pour avoir refusé les avances d’un homme
Le « manuscrit d’accouchée » raconte l’histoire de Sainte-Marguerite, martyrisée vers l’an 305 pour avoir refusé d’abjurer sa foi chrétienne. La légende raconte que Marguerite s’est convertie au christianisme avant d’être bannie par son père, un prêtre païen. Une histoire déjà marquée par le joug du patriarcat (qui, contrairement à la religion, n’était pas vraiment une option à l’époque). Une histoire qui aurait bien pu s’arrêter là, si le préfet de la ville d’Antioche, en Syrie, dont la Sainte était originaire, ne s’était pas entiché d’elle, insistant lourdement pour qu’elle devienne son épouse, ou sa maitresse (quitte à lui laisser le choix…). Après avoir affronté son père lors de sa conversion, celle-ci refuse les avances du préfet, qui, non content de cette réponse négative, ordonne qu’on l’arrête, qu’on la fouette, qu’on la torture et enfin qu’on la décapite. Une violence parfaitement institutionnalisée qui, à l’époque, ne choquait pas grand monde. Une vie gangrénée par les oppressions et les violences patriarcales pour cette Sainte-Marguerite qui n’avait pourtant rien demandé à personne.
Mais vous pensez sans doute : ok, mais quel rapport avec l’accouchement ? Sainte-Marguerite a longtemps été considérée comme la Sainte capable de sauver et d’aider celles et ceux qui en ont besoin, et plus particulièrement dans l’accouchement. Un rôle qui lui a été attribué depuis qu’un épisode romanesque est venu compléter le récit de sa vie. En effet, la légende a été modifiée et enrichie d’une anecdote qui change la donne : Marguerite aurait été avalée par un dragon dont elle aurait réussi à se départir à l’aide d’une croix lui ayant permis de s’extraire du ventre du dragon, retrouvé mort à côté d’elle (l’histoire ne dit pas si cet épisode mythique a eu lieu avant ou après sa décapitation… mais après tout, les légendes n’ont pas forcément à être logiques !). C’est cet épisode de l’expulsion du ventre du dragon qui justifie qu’elle a, par la suite, été considérée comme la sainte qui accompagne les mères sur le point d’accoucher.
Les femmes peuvent créer leurs propres récits… et se sauver elles-mêmes
L’histoire ne fait pourtant pas rêver, et on peut logiquement se demander comment cette légende a rassuré, pendant des siècles, des mères sur le point d’accoucher. Reste que ce récit a été construit de toutes pièces par des hommes, pressés de contrôler les femmes et leurs corps (comme à peu près le reste du monde ?). Les femmes ne pouvaient-elles pas se sauver elles-mêmes, et avaient-elles réellement besoin d’une amulette pour réussir ce qu’elles parvenaient à faire depuis la nuit des temps : donner la vie ?
Finalement, on peut aussi choisir d’interpréter le récit saint de Marguerite comme la libération ultime du joug patriarcal qui reposait sur elle : en transperçant le ventre du dragon, et en réussissant à s’en extraire, c’est la domination des hommes, dont ceux qui ont tenté de la contrôler, qui est à terre.
Cette pièce à conviction est présentée dans le cadre de la conférence « Les femmes peuvent-elles sauver le monde ? », qui a eu lieu le samedi 21 janvier 2023 au Mucem, dans le cadre du Procès du Siècle.
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Les Commentaires
Pas de rapport direct avec le sujet, mais des ouvrages d’obstétrique, bien pratiques et théoriques ceux-là, ont été utilisés assez tôt par les médecins pour s’aider lors des accouchements, j’en ai notamment croisé un il y a quelques années, un traité d’obstétrique du début 17e (peut-être François Mauriceau mais pas sure), dont la couverture de vélin jauni était complètement cabossée de traces de doigts et ruinée de flux qu’on devinait corporels, l’ouvrage ayant dû être bien utile au cœur de l’action pour certains médecins de l’époque !