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"Convictions féministes"
Vie quotidienne

Le jour où j’ai renié mes convictions féministes… à mon insu

Clémence a joué un spectacle d’improvisation le mois dernier, et en sortant de scène, elle a réalisé qu’elle avait allègrement piétiné ses convictions féministes.

Depuis huit ans, je fais du théâtre d’improvisation. C’est une discipline que j’adore et qui me permet d’inventer des histoires et d’incarner des personnages sur scène. Tous les mois, je monte sur scène pour jouer un spectacle qui se passe dans une laverie. Nous incarnons toute une palette de personnages, créés avec les suggestions du public, qui vont vivre des aventures pendant une journée dans le décor de cette laverie.

Lors de notre dernière représentation, j’ai inventé le personnage de Martine Laplace, 58 ans, femme au foyer, qui vit mal le fait que ses enfants lui aient suggéré, sur le ton de la blague, de rédiger son testament. Soudain, un homme sort d’un lave-linge et menace Martine.

Aborder le sujet des violences faites aux femmes sur scène

C’est Dimitri, un prisonnier en cavale, incarné par l’un de mes partenaires de scène. Il commence par être agressif, et par menacer Martine avec un canif (fictif, c’est de l’impro) puis finit par se calmer et par raconter son histoire et demander de l’aide.

Il explique à Martine qu’il a été condamné à 12 années de prison pour avoir tué une femme (il ne dit pas si c’est la sienne). Il précise ensuite que c’était un accident. Qu’il l’a giflée, et qu’elle s’est tuée en tombant.

Il commence ensuite à passer sur un autre registre, plus proche de la séduction. Puis la scène se termine sur lui disant : « ça fait longtemps que je n’ai pas été avec une femme » et me traînant hors de scène par la main, tandis que mon personnage regarde le public d’un air inquiet.

Plus tard dans le spectacle, nos deux personnages reviennent. À plusieurs reprises, Martine tente d’échapper à l’emprise de Dimitri, mais elle est tiraillée entre son envie de l’aider parce qu’il lui fait de la peine, et la peur que lui inspire le prisonnier (qui l’a, rappelons-le, menacé avec un canif et continue de surveiller ses moindres faits et gestes).

Dans la scène finale, Martine et Dimitri se retrouvent dans la laverie. Il lui annonce qu’il va se rendre, parce qu’il a trop peur. Il doit de l’argent à pas mal de gens qui le poursuivent et il n’a personne sur qui compter dehors. Il est amoureux de Martine mais il voit bien qu’elle ne l’aime pas.

Et là, je ne sais pas vraiment pourquoi (enfin, si, j’ai deux-trois idées sur la question que je t’expose ensuite…). Martine (moi, donc) finit par lui faire une déclaration d’amour et le spectacle se termine sur un happy end.

Je n’ai pas agi en accord avec mes convictions féministes

En sortant de scène, je n’ai pas particulièrement été gênée par l’histoire que nous venions de jouer, même si j’avais bien conscience qu’elle ne tenait pas trop debout. Une femme bourgeoise qui quitte sa vie bien rangée pour partir avec un type violent et menaçant ? Bon, ça peut arriver hein, mais probablement pas en l’espace de 24h.

En discutant avec des spectateurs après la représentation, j’ai toutefois commencé à ressentir un certain malaise. Plusieurs d’entre eux m’ont dit que la première scène pouvait être interprétée comme le prélude d’un viol, même si on ne le voit pas sur scène et qu’il n’est ensuite jamais dit explicitement si le personnage a violé ou tenté de violer Martine.

Je pense que mon partenaire de scène a tenté de faire rire le public en jouant sur le cliché du mec qui sort de prison, en manque de relations sexuelles. Son personnage avait-il l’intention de violer le mien ? Était-ce une tentative maladroite de séduction ? Deux questions que j’ai bien l’intention de lui poser.

De mon côté, j’ai compris que je n’avais pas su comment faire réagir mon personnage à ce moment là. Martine n’a pas dit non, elle ne l’a pas repoussé, elle s’est contentée de jeter un regard inquiet au public… Et ensuite, elle se met à protéger celui qui l’a menacé et finit par tomber amoureuse de lui.

Se libérer des clichés sexistes

Woh. Attendez, on a pas un bon petit cliché là ?! Le mauvais garçon qui obtient l’absolution grâce à l’amour ? La femme qui résiste mais en fait, si on insiste un peu (voire qu’on la menace, allons-y gaiement) elle finit par dire oui et même par tomber amoureuse ?

Est-ce que je ne suis pas en train de participer malgré moi à une longue lignée d’œuvres culturelles qui glamourisent les violences faites aux femmes ? (Genre,

La Belle et la Bête…)

Pourquoi en tant que comédienne, je n’ai pas su réagir sur le moment pour me défendre ou échapper à l’emprise de ce personnage ? Et si je ne suis pas capable de le faire sur scène, est-ce que je serai capable de le faire dans la vraie vie ? (Mais cette pensée là est bien angoissante, et j’ai préféré faire l’autruche).

Rappelons qu’on est en impro, qu’il faut réagir vite et créer de toute pièce des personnages et une histoire. Nous ne jouons par une pièce de théâtre écrite à l’avance et qu’on répète plein de fois. Cette histoire est éphémère, inventée sur le moment, et jamais rejouée.

Dans ces conditions, les comédiens ont souvent tendance, inconsciemment, à s’appuyer sur des clichés pour construire leurs histoires. Ce n’est donc pas si étonnant qu’on ressorte tous les deux les schémas narratifs dont la pop culture nous a abreuvés.

Mes convictions féministes et la réalité

J’ai beau être féministe et bien informée sur les violences sexuelles, la culture du viol, le mécanisme de l’emprise, etc, cela ne suffit pas. Certains clichés et automatismes sont ancrés bien profondément dans mon cerveau.

Sur scène, j’ai laissé mon personnage se faire embarquer dans une histoire en désaccord flagrant avec mes convictions, jusqu’à un happy end qui aujourd’hui m’écœure un peu. Je n’ai capté à aucun moment ce qui était en train de se jouer et je n’ai jamais signalé au public que ce qui arrivait à Martine n’était PAS OK.

Pourquoi n’aie-je pas réagi ? Pourquoi Martine n’a-t-elle pas repoussé Dimitri ? Pourquoi Martine n’est-elle pas partie vivre sa vie de femme libre en guise de happy end ? Voilà les questions qui tournent dans ma tête depuis et pour lesquelles j’ai cherché des pistes de réponses.

Mes convictions féministes… et ma peur du conflit

Avant de rentrer sur la dernière scène, mon partenaire de jeu m’a glissé dans les coulisses : « bon, Martine, tu ne veux pas être amoureuse de moi un peu ? ».

Avec du recul, je me dis que si je n’ai pas réussi à m’imposer (en impro on dit « prendre le lead ») pour faire partir l’histoire dans la direction opposée, c’est peut-être parce que je n’aime pas le conflit. J’aime bien jouer avec ce comédien. Je le trouve doué et souvent drôle, du coup, j’ai tendance à écouter ses idées. Je crois que ma peur de ne pas être aimée si je m’oppose à quelqu’un me pousse parfois à faire des choses avec lesquelles je ne suis fondamentalement pas d’accord.

En plus, j’ai été biberonnée aux contes de fée et autres happy end en mode « ils se marièrent, eurent beaucoup d’enfants et vécurent heureux pour toujours ». J’ai donc  tendance à aller vers ce type de dénouement pour les histoires que je crée et je ne pense pas être la seule.

J’avais le sentiment que le public avait aussi envie de ça. Alors quand le musicien de la troupe s’est installé au piano et a commencé à jouer une mélodie, face au public ému qui retient son souffle, je me suis dit : « allez, je vais chanter la chanson d’amour improvisée qu’ils attendent ».

Mes convictions féministes et la culpabilité

Mon premier réflexe après avoir pris conscience du problème, a d’abord été de ressentir de la culpabilité. Je m’en voulais de ne pas avoir été une bonne féministe, au comportement toujours irréprochable.

Et puis, en en discutant avec une amie, j’ai décidé de faire preuve de plus de bienveillance envers moi-même. Je suis féministe, et pourtant, parfois, je dis ou fais des trucs sexistes. Je n’en suis pas fière, mais je fais parfois l’autruche par confort, peur du conflit ou ignorance.

Et si je pense qu’il est important d’apprendre de ses erreurs, il est aussi essentiel de ne pas consacrer trop d’énergie à la culpabilité, pour pouvoir avancer justement.

Suite à ce spectacle, j’ai donc décidé de bosser sur mes peurs pour apprendre à m’affirmer sur scène. J’ai hâte de raconter de nouvelles histoires de femmes, fortes et déterminées, qui bottent les fesses du sexisme et du patriarcat. (Et qui parfois, se plantent, comme moi, parce qu’on est juste des humaines).

Toi aussi, tu as parfois du mal à agir en accord avec tes convictions féministes ? Viens, on en parle dans les commentaires…

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