Toute la semaine je l’ai rabâché : « je vais à un défilé samedi, je vais à un défilé samedi, je vais à un défilé samedi ».
-Tu fais quoi samedi ?
– Moi ? (rires et jeté de frange)…. Je vais à un défilé !
Heureuse propriétaire d’un carton intitulé « TU ES INVITE », je me prépare donc à me rendre au défilé très hype de Dévastée, marque de deux jeunes créateurs français encensés par Mademoiselle Agnès et un certain nombre de modeux que je ne citerai pas (la liste est longue). Attention, tranche de vie.
Coaching pré-Fashion Week
Des années que j’attends ça. Une vraie folle de fringues. Jusqu’ici, je m’instruisais de FT (Fashion TV, pas Financial Times), de Paris Modes (à la s’maine prochaine, Marie-Christiane !), du Elle Top-Model (quand ça existait encore), et de tous ces magazines qu’on dit lire chez le coiffeur.
Je les entends déjà, les boum-boum des basses de la bande-son et les clac-clac des talons des mannequins, je la sens déjà, l’effluve d’Elnett et ce doux parfum de cosmétiques bien connu du rez-de-chaussée des galeries Lafayette. Et surtout, j’ai pris soin de bien travailler mon tourné de tête, de la gauche vers la droite au passage des modèles, et j’ai potassé, au cas où, la moue outragée de la rédactrice de mode à la Devil Wears Prada.
Encore fallait-il trouver la bonne tenue. Oui je sais, j’y vais pour regarder les fringues des autres, pas pour qu’on regarde les miennes. Novice en la matière et ne sachant pas du tout à quoi m’attendre, je prends la décision de suivre les préceptes de ma grand-mère bien-aimée, grande mondaine et journaliste de mode, il fut un temps, pour Jours de France : « Il vaut mieux être over-sized que under-sized, et under-dressed que over-dressed ». Comprends : il vaut mieux être trop décontractée que trop sophistiquée.
Cette règle d’or marchant à tous les coups (et collant parfaitement à ce milieu où le faux négligé est légion), s’est traduit par le choix d’un jean un peu taille haute mais pas trop, un peu pattes d’eph’ mais pas trop, un peu loose mais pas trop (le slim devenant « out of fashion », ça tombe bien ça ne me va pas). Des petites bottines rétro en cuir noir et une chemise ivoire mal repassée feront l’affaire. La Birkin attitioude, avec 10 kilos de plus, mais bon. Un make-up nude, un chignon flou, et me voilà fin prête à débarquer au défilé avec un air las… « oui… jé suis veniou… jé no pensais pas and then, à le dernier minut I changed my mind en sortant dé la Procure. Pout-être ce tea Mariages Frères que j’ai biou tout à l’hour, mélangié à my fragrance L’Artisan Perfioumeur, ça provoque des reactions inattendioues ».
Mince ! Voilà que je ne parle que de moi. Le temps passe vite, non ? (re-jeté de frange).
Highway to Hell
Dans le métro (ben oui je n’ai pas encore de chauffeur. Et alors ?), j’ai l’impression que tout le monde sait où je vais. Ayant retrouvé une copine plutôt détachée de ce genre de mondanités mais curieuse de voir quand même, je respire à fond et entre dans les lieux de La Représentation.
Un grand hall blanc immaculé avec des canapés design et des dizaines d’escarpins à plateforme vernis surplombés par de plus ou moins jeunes filles, mignonnes mais avec un drôle de look : slim en stretch vert pomme avec blouse transparente de grand-mère agrémentée d’un bombers sans manche en fourrure camel et d’une grosse paire de lunettes aviateur, le tout balayé par une épaisse frange brune. L’air est blasé mais néanmoins satisfait, ce type de personnes paraissant très habitué à l’événement. Là, pour le coup, je me sens très under-dressed.
Après avoir dit bonjour aux attachées de presse (« puis-je vous renseigner ? » = « êtes vous journaliste ? »), on nous fait patienter une bonne demi-heure, voyant de temps en temps quelques couples très hype nous doubler et monter en VIP. Qu’importe. Tout le monde se regarde (je me sens super à l’aise, là), et nous finissons enfin par monter, à l’heure où le défilé aurait dû commencer.
Une jolie brune, 1m80, 40 kilos, et des cheveux à la « parce que je le vaux bien » regarde nos invitations : « Alors vous, vous êtes en standing. Vous pourrez vous asseoir s’il reste des places sur les bancs tout à l’heure ». En standing ? Ce qui jusqu’ici sonnait plutôt comme un compliment (immeuble de standing), m’a paru tout d’un coup beaucoup plus cheap. Bon. Assise sur le rebord d’une fenêtre, la chevelure prête à subir une permanente sous les panneaux-spots, j’attends patiemment et pose par terre mon petit sac rempli de cadeaux cosmétiques offert par la marque sponsorisant le défilé, qui le vaut bien.
Le temps est un peu long, alors inévitablement, pour tuer l’ennui, je me mets à cracher sur tout ce qui bouge autour de moi. « Tu as vu celle là, ses chaussures et sa robe ne sont pas du tout du même bleu, quel mauvais goût ! Et lui, franchement, avec son tee-shirt Mickey, il a l’air de quoi ? ». Ca y est. Je suis devenue comme celles que je critique : superficielle et peau de vache. (Juste le temps du défilé, promis).
Le défilé (où j’essaie de me la jouer Mademoiselle Agnès)
Roulement de tambour électro, on nous dit de nous asseoir. Lancement de musique pop US / Hard Rock Metal. Une fille entre avec une démarche négligée, à la fois douce et saccadée. Toute de noir vêtue, la bouche pourpre, la peau diaphane, ce n’est pas un revival EMO Goth mais bien le défilé de la collection Automne/Hiver 2008 de Dévastée, la griffe créateurs un peu barrée qui-monte-qui-monte-qui-monte. Avec sa drôle de petite tête joufflue mais cernée, fraîche mais cynique, l’égérie des créateurs, comédienne de son état, défile comme une poupée maudite et arbore un sourire à la Mona Lisa.
Les lignes sont structurées et graphiques : jupes courtes, matières lourdes, jeu de fluidité, empiècements géométriques, collants opaques rouges… Et du noir, du noir, du noir, parfois cassé de brique et de blanc. On s’amuse de quelques pièces inattendues, comme cette veste très « Lady Di(ed) fait de l’équitation » en drap de laine rouge. Enfin, on retrouve deux repères de la collection d’été : zips argentés le long des jupes et un noir un peu brillant. La différence : des coiffures presque baroques qui se heurtent à la pureté nude de la précédente collection. Pour celle-ci, les mannequins arborent ce qu’on pourrait assimiler à une choucroute trash. Je m’explique : les cheveux sont ultra crêpés et laissés libres ou relevés en chignon fou. Mention spéciale à l’accessoire « chapeau pointu » en carton, le même que ceux qu’on trouve au rayon farces et attrapes. Les têtes sont parsemées de confettis, très raccord avec le catwalk.
Le tout donne une allure générale étrange, presque glauque. Si on a souvent dit de ces créateurs qu’ils mettaient « la dépression à la mode », cette fois on peut dire que la dépression est une fête (idée RP : pourquoi ne pas organiser une garden party VIP au Père Lachaise le jour de la fête des morts ?)
Le détail people (qui donne un vrai repère aux filles de la rue d’en bas) : Charlie, la très frangée mais perdante de l’émission Top Model 2007 (M6), faisait partie du casting (et était la seule à sourire en sortant du podium).
Je rentre (mon ventre)
Le défilé s’achève sur les applaudissements enclenchés par le retour des mannequins en file indienne. Ophélie et François, notre jeune couple de créateurs, leur emboîte le pas avec un sourire timide mais néanmoins satisfait, vêtus très sobrement d’un jean droit et d’une chemise (on en serait presque déçus). Une tripotée de « gens de la mode » se jette sur eux pour leur parler. Il est temps pour moi de partir.
Je prends le métro avec néanmoins une objection, que je lance dans le vent (je ne suis pas assez naïve pour croire que je pourrai changer le système). CERTAINS mannequins, leurs 18 ans aux joues creuses, aux articulations plus larges que leurs cuisses, à la peau abîmée, aux yeux cernés et à l’air éthéré (effectivement exagéré pour l’image intentionnellement morbide de la marque, ndlr) sont bien loin de l’idée qu’on s’en fait en regardant les pubs très « photoshopées » de nos magazines féminins, même en ayant conscience qu’elles sont retouchées. Tout passe mieux sur « support ». Certes, je ne t’apprends rien, mais franchement je parle en connaissance de cause (étant comme beaucoup de madmoiZelles une pro du « chuitrogrosse ») : c’est pas beau !
Une bonne thérapie à suivre une fois dans sa vie.
Néanmoins, je suis assez contente de ma fin d’après-midi et je confirme que la « fringomanie » est une maladie incurable. Quant à Dévastée, j’attends impatiemment leur première robe de mariée… Et son bouquet de chrysanthèmes ?
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