Attention : cet épisode mentionne des violences conjugales.
Ça commence quand, la violence dans un couple ? Quand on sent une pression, de la part de l’autre, à agir d’une certaine façon ? Quand on se voit s’isoler, progressivement, jusqu’à ne plus avoir de point de chute ? Quand les mots agressent, autant que les coups ?
Dans l’histoire de Charline, tout s’est enchaîné progressivement. Aujourd’hui, elle veut dire à son ex qu’elle s’en est sortie, sans lui.
Ce que Charline aurait dû dire à son ex
Cher ex,
Tu as bouleversé ma vie et je t’en remercie.
Issue d’une famille sans démonstration d’affection, j’ai découvert la tienne très proche et soudée. Je t’avoue que je suis vite tombée amoureuse, de toi comme d’elle. Ta mère coiffeuse me coupait les cheveux gratuitement, ton beau-père m’aidait dans l’entretien de ma voiture et ton frère m’agaçait prodigieusement, m’apprenant par la même occasion la tolérance.
Étudiante en langues étrangères et toi salarié, tu m’as attendue quand je suis partie à plusieurs reprises en stage à l’étranger. En Espagne, en Belgique ou aux États-Unis. Tu as contribué à faire naître ce mal du pays qui faisait qu’il m’était de plus en plus difficile de quitter la France.
Je passais mes week-ends avec tes amis et mes soirées avec ta famille, oubliant souvent que j’avais moi-même des amis et une famille compliquée. J’étais là quand tu faisais tes crises d’épilepsie la nuit, dormant de plus en plus mal à l’idée que tes crises s’aggravent.
J’étais aussi là à t’attendre quand tu ne l’étais pas, travaillant de nuit ou en déplacement professionnel. J’étais là pour toi quand tu es revenu un jour à 6 heures, blême, en m’annonçant que ton père venait de décéder d’une crise cardiaque.
J’ai appelé ta famille, et j’ai passé la journée avec ta grand-mère pleurant son fils pendant que tu essayais de dormir pour éviter une autre crise d’épilepsie. Tu m’as de nouveau suivie lorsque je t’ai annoncé à la fin de mes études que je quittais Caen pour travailler à Lille. Et je t’en remercie car tu étais mon seul repère dans cette nouvelle vie.
Depuis le début de cette lettre, tu auras peut-être remarqué que je ne dis pas une seule fois nous.
On peut être sincèrement convaincu d’aimer, mais aimer mal, ou seulement une partie de l’autre. Je crois que chacun de nous deux aimait une image de l’autre et qu’en réalité, il n’y a jamais eu de connexion véritable entre nous. On s’est connus à 21 ans et nos différences ne nous ont pas rapprochés.
Ta mère a mal vécu ton départ sur Lille et m’a tout de suite trouvée moins sympathique. Lorsqu’elle m’a accusée à tort d’avoir dit du mal de ta grand-mère, tu as préféré la croire malgré nos six ans de vie commune.
J’ai été prise en CDI dans une start-up comme cheffe de projet junior, tu me voyais déjà réussir professionnellement, et ramener un salaire de cadre à la hauteur de tes ambitions sociales. Je n’oublierai jamais mon état de honte, de sentiment d’injustice et d’échec quand six mois plus tard, je suis rentrée à l’appartement en t’annonçant que j’avais été licenciée pour motif économique : la boîte déposait le bilan.
Ce jour-là, tu ne m’as pas prise dans tes bras, pas réconfortée. Non, tu m’as incendiée en me demandant comment nous allions faire financièrement.
J’avais mon prêt étudiant à rembourser et plus de proches vers qui me tourner en cas d’insolvabilité.
J’ai donc essuyé tes reproches et interrogations sur ma recherche d’emploi pendant un mois, jusqu’à obtenir le premier poste voulant bien de moi : conseillère en épanouissement personnel en librairie.
Mal intégrée dans l’équipe car je n’avais pas fait d’études dans ce domaine, je serrais les dents jusqu’au soir où la désillusion apparaissait dans tes yeux : j’étais vendeuse. Tes ambitions personnelles étaient compromises et c’était ma faute.
L’argent devenait un problème récurrent quand avec mon smic, je n’arrivais pas à payer la moitié du loyer — représentant la moitié de mon salaire — en plus de mon prêt à rembourser et des charges communes. J’avais la boule au ventre quand arrivait le moment de devoir payer le loyer et de devoir réaborder le sujet avec toi.
N’ayant plus de relation avec mes parents, ma grand-mère représentait un pilier pour moi. Nous nous appelions une fois par semaine, et ses encouragements me rendaient fière et aimée.
Le jour de son décès, tu n’étais pas là. Il y avait la Coupe du monde de football, et tu n’allais pas rater le match pour ça. Quand je t’ai dit par téléphone que j’avais vraiment besoin de toi dans cette épreuve, ton seul geste a été de m’emmener assister au match avec toi « pour me changer les idées ».
Ce jour-là, quelque chose s’est brisé définitivement en moi, j’ai perdu foi en toi.
Les problèmes d’argent nous empêchaient d’envisager quoi que ce soit ensemble et la pression se faisait de plus en plus sentir à voir tes amis acheter une maison, se marier et avoir des enfants. Et plus j’essayais de me projeter, moins j’y arrivais.
Voulais-je seulement être mère ? Ce n’était même pas un sujet de discussion pour toi mais une évidence.
Déjà sur la sellette dans notre couple, émotionnellement et financièrement, je n’ai pas réussi à dire non quand tes amis nous ont proposé de partir à quatre au Canada. J’en rêvais mais pas comme ça, pas dans ces conditions-là.
Je comprendrais par la suite que je n’avais été invitée que pour mes compétences en anglais…
J’espérais que ce voyage nous rapprocherait mais, sans surprise, ça a été le contraire. Les problèmes s’accumulant, le moindre souci était prétexte à râler. Un jour, j’ai surpris tes amis se moquer de mon physique. J’avais le ventre gonflé dû au changement alimentaire et ce jour-là tu ne m’as pas défendue, tu as eu honte d’être avec moi.
À notre retour, la goutte de trop a finalement fait déborder le vase. Ma carte était encore une fois bloquée et je n’avais pas fait les courses pour ton retour de déplacement.
Tu m’as éjectée violemment contre le mur en hurlant que j’étais une bonne à rien. Ce soir-là, je suis partie en voiture avec l’objectif de ne pas revenir. Puis, naïvement, j’ai eu peur que tu t’en prennes à mon chat.
Je suis revenue sans un mot deux heures après. Le lendemain, ma décision était prise. Une collègue a accepté de m’héberger chez elle le soir même, le temps que je retrouve un appart.
Quand je t’ai annoncé le soir que c’était fini, tu ne me croyais pas. Tu as voulu t’expliquer, j’ai refusé, craignant que cela ne dégénère à nouveau et te disant que je préférais qu’on se sépare sans engueulades.
J’ai pleuré ensuite pendant une semaine car tu n’avais rien fait pour me retenir. Puis j’ai compris que plus rien ne pouvait me retenir.
Tous les livres d’épanouissement personnel ingurgités pendant mon poste de vendeuse étaient en train d’infuser leurs idées en moi : je m’aimais plus que je ne t’aimais. Et j’avais le droit de vivre une autre vie.
Quelques mois plus tard, j’ai rencontré mon âme sœur. Doux, attentionné et drôle, on était loin de la masculinité toxique à laquelle tu m’avais habituée.
Il m’a encouragée à démissionner, et me soutient depuis deux ans dans ma création d’entreprise.
Il ne frappait pas les chats mais les accueillait et soignait le temps qu’ils soient adoptés. Nous sommes maintenant les heureux parents de huit chats qui font notre bonheur.
Bien sûr tout n’est pas rose, je suis rentrée un soir en pleurant pour lui annoncer que j’étais atteinte d’endométriose au stade 3 et que je ne pourrais probablement pas avoir d’enfants.
Sa seule réponse a été de me prendre dans ses bras et me dire que nous étions déjà une famille, et qu’elle évoluerait ou non comme nous le déciderions.
Cher ex, j’ai appris que tu étais papa. Je te souhaite le meilleur, et de ne pas refaire les mêmes erreurs avec celle qui partage ta vie aujourd’hui.
Pour ma part, je suis devenue la meilleure version de moi-même et je serai probablement passée à côté des qualités de mon cher et tendre sans ces six années avec toi.
Nous nous marions à la fin de l’année, tu comprendras que je ne t’invite pas… mais merci pour tout ce que tu as initié.
Bien à toi ou plutôt plus à toi,
Charline
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Ce que j’aurais dû dire à mon ex est un podcast de Madmoizelle édité et présenté par Aïda Djoupa. Réalisation, musique et édition : Mathis Grosos. Rédaction en chef : Mymy Haegel. Direction de la rédaction : Mélanie Wanga. Direction générale : Marine Normand.
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Les Commentaires
Bonne vie a la mad qui a témoigné, "un mal pour un bien" comme on dit.