Après le merveilleux Dernier des Mohicans, la collection Noctambule part en Allemagne, dans la ville imaginaire de Roulettenbourg avec l’adaptation plus que réussie du Joueur, de Dostoïevski par Stéphane Miquel et Loïc Godart.
Alexeï Ivanovitch est amoureux, très amoureux. D’un amour qui le pousse à accomplir toutes les folies. Mais avec le temps, la vie, ses épreuves, la passion qu’il éprouve pour la femme de ses rêves va glisser vers celle, non moins dangereuse, du jeu . Amoureux fou, joueur fou. Alexeï mise sa vie avec la même ferveur entre les mains de celle qu’il aime et entre celles du destin, qui régit la roulette. C’est l’histoire d’un homme, et des démons qui l’habite. Se perdre, sans aucune chance de se retrouver.
Je n’ai pas lu l’œuvre de Dostoïevski, mais je peux dire que ce Joueur là est une merveille. Violent, brutal, mais surtout beau et prenant. Le dessin de Loïc Godart est magnifique, et prend clairement aux tripes.
Stéphane Miquel, le scénariste, a accepté de répondre à quelques unes de mes questions…
Pouvez-vous vous présenter ?
C’est bien difficile finalement de se présenter… Par quoi commencer ? Nom, prénom, âge, signes particuliers… Méthode un peu trop policière pour moi. Alors disons simplement que je suis journaliste, depuis 20 ans (déjà !), notamment dans la presse de voyage, et que j’ai plongé dans l’écriture scénaristique depuis une petite dizaine d’années. Écrire, lire, voyager : mes trois seuls vices déclarés. Ou avouables.
Pourquoi avoir choisi d’adapter ce titre ?
Clotilde Vu directrice de la collection Noctambule nous a proposés, à Loïc et à moi, de nous réunir autour d’un projet commun. Loïc a suggéré que nous adaptions Le Joueur, de Dostoïevski. Et j’ai immédiatement dit oui. J’ai beaucoup lu Dostoïevski quand j’étais plus jeune, certains de ses romans, comme « Crimes et Châtiments », » l’Idiot « ou Les « Karamazov » ont même beaucoup influencé mes choix et mes questionnements. En me replongeant, avec Le Joueur, dans son œuvre tourmentée, j’ai pu mesurer à quel point il était un de nos maîtres littéraires les plus contemporains. C’est un peu banal de le dire – on le dit de tous les auteurs « classiques » – mais ici, c’est fondamentalement vrai ! L’époque, et nos sociétés occidentales, n’ont jamais été plus dostoïevskiennes. L’homme occidental – comme Alexeï, le héros du Joueur, par exemple – est de plus en plus égocentrique, individualiste, tourmenté par ses désirs contraires et contrariés, par sa soif de possession, par son immaturité… Le Joueur traite également un sujet qui nous occupe tous : la passion. La passion amoureuse d’abord, ce combat perdu d’avance, où l’on croit brûler d’amour pour l’autre, alors que l’on n’aime que soi et pour soi. Et la passion du jeu, ensuite, ce vertige, vécu ici comme un défi au destin, au sort. Le jeu, voilà un thème excessivement d’actualité : il suffit de voir, avec la légalisation des paris en ligne notamment, à quel point jouer, tout miser sur la chance, résonne comme un appel au salut. Temps troublés, temps de crise : misez et vous serez sauvés…
Comment s’est passé le travail d’adaptation de l’œuvre ?
Sur le plan du scénario, il s’est déroulé en trois temps. D’abord, lire l’œuvre (!) Au fur et à mesure de cette lecture (ou plutôt de ces lectures, car il faut s’immerger plusieurs fois dans le livre avant de pouvoir en tirer quoi que ce soit), la structure du scénario apparaît. On met de côté ce qui semble superflu. Et l’on organise les séquences en suivant la trame choisie. Ici, nous avons décidé d’être le plus fidèle possible au livre. Après la lecture, le deuxième temps est celui de la construction. A l’exception de trois modifications structurelles (le choix des prologues et épilogues, la destinée de Polina, l’héroïne du livre, et le découpage en trois grands chapitres), notre adaptation et le livre suivent la même progression narrative. C’est une volonté affichée : car, en relisant Le Joueur, j’ai été très étonné de constater que la partie Jeu, proprement dite, celle où le héros Alexeï tombe vraiment dans l’addiction, ne représente que le dernier tiers du livre. Tout ce qui vient avant évoque surtout la passion amoureuse. Nous avons voulu respecter cela : montrer que le héros glisse lentement d’une passion, folle et destructrice pour une femme, vers une passion plus grande encore pour la roulette. La seconde passion se substitue à la première. L’efface.
Enfin, un dernier point crucial se posait pour l’adaptation : fallait-il l’actualiser ou non ? C’est-à-dire, fallait-il choisir de traiter cette histoire dans notre monde contemporain, en recréant les décors et le style, ou la laisser, plus classiquement, au 19e siècle, telle que Dostoïevski l’a créée. Nous avons assez vite pris le parti de la fidélité. Le dessin de Loïc est si suggestif, expressionniste, et avec une si forte personnalité, qu’il créé à lui seul l’originalité, l’étrange et la modernité. Inutile de vouloir déconstruire, ou d’essayer de casser les codes narratifs classiques de la BD. Au contraire, toute l’idée consistait à faire une adaptation de facture classique (découpage case à case, six ou sept cases par planches, décors historiques…) en travaillant sur les cadrages, l’organisation des plans, la force visuelle, presque cinématographique, pour rendre sensible le tourment des personnages. J’avais souvent en tête Scorcese ou le Tess de Polanski au moment d’écrire. Nous ne sommes évidemment pas à ce niveau-là, mais le livre est dans cet esprit : s’attacher à faire vivre, dans un cadre classique, la folie des sentiments.
Si l’on vous donnait à nouveau l’opportunité d’adapter librement une œuvre qui vous est chère, laquelle choisiriez-vous ?
Il y en a trop pour les citer ! Mais s’il fallait en choisir deux, je dirais Le Baron Perché d’Italo Calvino et Un Roi sans divertissement de Jean Giono. Ou Le Faiseur de pluie de Saul Bellow… Ou Tristram Shandy… Ou Candide… Ou… Ou…
Quels sont vos projets ?
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