« Féministes et anticarcérales tant qu’il le faudra. »
Pour les membres du Groupement étudiant national d’enseignement aux personnes incarcérées (Genepi), ce sont les mots de la fin. L’association d’aide aux détenus créée en 1976 a décidé de s’auto-dissoudre lundi 2 août.
« Nous refusons de faire perdurer une association qui n’a pas été pensée comme un outil de lutte contre l’enfermement et n’a jamais servi l’intérêt des prisonnier-es », peut-on lire dans le communiqué qui l’annonce. Les membres de l’association ont précisé vouloir « penser par la suite d’autres moyens de lutte réellement féministes et anticarcéraux ».
Si l’annonce a suscité la surprise pour beaucoup, elle intervient après de nombreux changements d’orientation de la part de l’organisme — depuis 2019, le Genepi avait déjà cessé son activité historique de cours et d’ateliers dans les prisons et avait rompu avec l’administration pénitentiaire.
À l’origine du Genepi, des interventions d’étudiants et étudiantes
Pour mieux comprendre les raisons de cette annonce, il faut revenir en arrière.
L’association a vu le jour dans les années 1970, marquées par de nombreuses mutineries dans les prisons françaises. Les mouvements de contestation des prisonniers revendiquaient, entre autres, un accès à l’éducation au sein des établissements pénitentiaires.
Dans ce contexte, Lionel Stoléru, alors conseiller à la présidence de la République, organise des rencontres entre des étudiants et l’administration pénitentiaire. Le Groupement étudiant national d’enseignement aux personnes incarcérés (GENEPI) est créé et devient officiellement une association le 26 mai 1976.
Dès lors, des centaines d’étudiants de grandes écoles franchissent les portes des prisons pour proposer aux détenus des ateliers scolaires. Pourquoi de grandes écoles ? « L’objectif était de sensibiliser les futurs employeurs et chefs d’entreprises à la réinsertion sociale des prisonnier.e.s. », précise l’association sur son site Internet. Quarante ans plus tard, tous les étudiants peuvent y participer, mais les nouveaux militants dénoncent quand même une instrumentalisation de leur action :
« Le Genepi est alors devenu un outil permettant à l’État de faire croire qu’il garantit l’accès à l’éducation en taule, mais sans rien investir puisque comptant sur la philanthropie des étudiant.e.s bourgeois.e.s des grandes écoles. »
Entre Genepi et prisons, une histoire de luttes
Au fil des adhésions, l’association — qui a pu compter jusqu’à 850 bénévoles au début des années 2000 — évolue et change de cap. Le nom « Genepi » est préféré à l’acronyme en 2011 et ses membres décident de ne plus restreindre leurs actions aux seuls ateliers en détention.
C’est le début d’une prise de position plus radicale envers les politiques pénales et l’administration pénitentiaire.
Les génépistes multiplient les critiques sur l’enfermement et établissent, en 2017, des « limites basses » constituant un cadre minimum pour leurs interventions. Parmi ces lignes à ne pas franchir : la présence de dispositifs d’écoute et de vidéosurveillance dans les salles d’ateliers ou la pratique de fouilles à nu. En réalité, il a été très difficile pour les membres de les faire respecter.
En 2018, le contrecoup survient : l’administration pénitentiaire ne renouvelle pas la convention triannuelle qui assurait à l’association ses subventions. Le Genepi y voit « une sanction politique » tandis que l’administration lui reproche une baisse du nombre d’heure d’ateliers dispensés et ses critiques envers les politiques pénitentiaires.
L’année suivante, l’association cesse son activité historique d’interventions et de cours en détention ; l’anticarcéralisme devient sa principale ligne politique.
Le féminisme anticarcéral sinon rien
À l’époque, la fin des interventions en prison suscitait déjà des tensions en interne. À tel point que l’Association des anciens du Genepi, créée en 2009, se distancie de cette nouvelle ligne.
De son côté, le Genepi affine sa politique notamment sur l’antisexisme : « Si la lutte contre le sexisme ne correspond pas à l’objet social du Genepi, elle n’en est cependant pas déconnectée, puisque par notre lutte pour le décloisonnement carcéral, nous nous opposons à toute forme d’oppression systémique », détaille un communiqué de l’association en 2018. Devenue plus tard non-mixte, l’association avait organisé début 2021 des ateliers sur le féminisme anticarcéral, dont elle se revendiquait sur la fin.
La nostalgie d’anciens militants du Genepi
L’annonce de la dissolution du Genepi a suscité des réactions contrastées. Emmanuelle Wargon, ministre déléguée chargée du Logement et fille de Lionel Stoléru, a exprimé son « immense tristesse ».
D’anciens personnes ont fait part de leur nostalgie tandis que certains regrettent la destruction d’un « travail collectif de 43 ans ». Au-delà du regret ou de la déception, la plupart des internautes semblent surtout surpris par l’annonce que certains qualifient de « lunaire ».
D’autres organismes viennent toujours en aide aux détenus, comme La Cimade, association de soutien aux migrants et aux réfugiés qui intervient auprès des personnes de nationalité étrangère, l’Association nationale des visiteurs de prison ou encore le Club Informatique Pénitentiaire qui place « l’informatique au cœur de la réinsertion ».
Beaucoup espèrent déjà que de nouveaux mouvements verront le jour pour succéder au Genepi, alors que Dominique Simonnot, la nouvelle contrôleuse générale des lieux de privation de liberté (CGLPL) a récemment alerté sur les conditions de détention « épouvantables » en France.
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Crédit photo : Hédi Benyounes / Unsplash
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Les Commentaires
Genepi : comment des militantes anticarcérales ont dissous l’association d’aide aux détenus
Le communiqué le laissait entendre mais je tombe des nuées d'apprendre que l'association, qui travaille avec des détenus donc à 95% des hommes était devenue une asso féministe en non mixité de genre????
Et le récit de l'AG me rappelle un peu mes années étudiantes où les syndicats étudiants faisaient revoter 10 fois les blocages au cours d'une même journée jusqu'à ce qu'ils obtiennent le vote qu'ils voulaient quand le premier vote les satisfaisaient pas (parce que quand l'AG avait commencé à 14h et que les votes étaient refaits sans cesse jusqu'à 19h30, bah forcément y'avait une partie des opposants qui en avaient eu marre et s'étaient barrés, notamment parce qu'ils devaient aller travailler).
(et à l'époque où j'étais au Genepi, je ne me souviens plus si les procurations étaient possibles mais notre transport et hébergement était payés (il y avait un bus d'affrété en gros et un centre avec des dortoirs où on logeait pour le weekend) vers le lieu de l'AG ou de la formation pour éviter les disparités et inégalités!)