« Ça me pose beaucoup de questions : si l’enfant veut me contacter qu’est-ce que je dis ? Oui ou non ? »
Lucile, 27 ans, envisage depuis un certain temps de franchir le pas du don d’ovocytes. Mais récemment, le passage de la loi de bioéthique l’a interrogée sur les nouvelles modalités du processus et a quelque peu freiné son élan.
Avec la révision de la loi votée à l’Assemblée nationale le 29 juin 2021, le don de gamètes va être soumis à quelques changements.
Le don va rester anonyme pour les futurs parents, qui n’auront toujours pas accès à des informations identifiantes et ne pourront toujours pas choisir la personne qui a donné ses spermatozoïdes ou ses ovocytes.
Mais concernant l’accès aux origines, il y a du changement et pas des moindres : les enfants issus d’un don de gamètes pourront désormais avoir accès à leurs origines s’ils le souhaitent. Cette possibilité leur sera ouverte à la majorité.
Ce qui justifie cette évolution de la loi, c’est notamment les demandes d’organismes comme PMAnonyme. Depuis 2004, cette association défend les droits des personnes nées d’un don de gamètes, notamment leur droit d’accéder à leurs origines, « le droit de connaître la vérité », comme le précise à Madmoizelle Camille Chapin-Derennes, présidente de PMAnonyme :
« On attendait ça depuis longtemps, on a le sentiment d’avoir été entendues au sein des débats, qu’il y a eu une prise en compte de l’enfant, de la personne née du don, de ses besoins, de sa quête en ce qui concerne son identité. »
L’accès aux origines est selon elle une solution qui « protège les donneurs et les donneuses » :
« Les personnes feront don de leurs gamètes en connaissance de cause, elles ne seront pas lésées. »
Donner ou ne pas donner ?
En France, les couples hétérosexuels qui avaient déjà recours au don d’ovocytes s’exposaient à de longues années d’attente, tant le nombre de donneuses est bas. Et c’est encore pire lorsque l’on est demandeuse noire, comme l’expliquait notre enquête sur le manque d’ovocytes pour les personnes racisées en France.
Maintenant que les futurs donneurs et donneuses de gamètes ne seront plus totalement placés sous le régime de l’anonymat, y aura-t-il des répercussions sur celles qui veulent faire un don ?
Certaines, comme Lucile, se posent beaucoup de questions sur cette évolution et se projettent dans le moment où elles rencontreraient la personne née grâce à elle :
« Quelle est l’attente de la personne en face ? Est-ce qu’elle voudrait tisser une relation avec moi ou juste boire un café une fois pour discuter ? Est-ce qu’elle considérerait que je suis un peu sa “famille”, ce qui n’est pas du tout ma manière d’envisager la chose ? »
D’autres ne sont pas refroidies : « Ça ne me donne ni plus ni moins envie de donner », explique Claire, 28 ans.
« De par mon histoire familiale, avec beaucoup d’adoptions, je suis peu sensible au corollaire “sang/gènes = famille”. Du coup, même si un enfant issu de ce don voulait me retrouver, ça ne me poserait pas de problèmes. Je ne serais de toute façon pas sa famille, juste un bout d’ADN commun.
Après, je peux comprendre le besoin de retracer son histoire, y compris son histoire de gamètes, donc je trouve ça plutôt bien qu’ils en aient la possibilité. »
Zoé et Clémence, en couple, ont raconté en BD les débuts de leur démarche en 2020 pour donner leurs ovocytes… et comment elles ont finalement renoncé. « La levée de l’anonymat a fini de me convaincre d’abandonner le processus de don », affirme Clémence.
« L’hypocrisie que je trouve à cette mesure, un genre de filiation forcée idéologique, m’a découragée. Quand à l’époque on ne me laissait pas avoir le choix de pouvoir ou non avoir mon propre enfant, l’idée qu’un autre puisse demander des informations et que l’on les lui accorde sans mon consentement, c’était trop.
À l’époque, je me disais que j’étais trop égoïste et c’est vraiment grâce à la psychologue de l’hôpital que j’ai pu y voir plus clair et me déculpabiliser. J’ai finalement renoncé à faire ce don. »
Est-il possible que l’accès aux origines ait un impact sur les dons ? Camille Chapin-Derennes n’est pas inquiète et se base sur les observations faites dans d’autres pays ayant légiféré sur l’accès aux origines.
Si une baisse peut se produire dans un premier temps, le vrai changement sera visible, selon elle, au niveau du « profil » des donneurs et des donneuses. Le don de gamètes devrait convaincre « des personnes plus jeunes, et très au fait de ce que ça implique, plus engagées, qui ont conscience de faire un geste en leur âme et conscience ».
Informer les futures donneuses
Dans les faits, comment cela va-t-il se passer ? Eh bien la loi ne change finalement pas grand-chose pour les donneuses, qui dès leur entretien, seront informées que leur don est conditionné par leur consentement à la levée de leur anonymat.
« On va le leur dire, tout simplement », nous explique Florence Lesourd, spécialiste de la médecine de reproduction au CHU de Toulouse.
« On va leur dire que la loi a évolué, qu’actuellement il y a une possibilité d’accès aux origines pour l’enfant majeur, et qu’elles ne pourront être acceptées en tant que donneuses que si elles acceptent ce principe. »
En somme, si vous ne vous sentez pas prêtes à ce qu’une personne née grâce à un de vos ovocytes puisse vous contacter, vous ne pourrez tout simplement pas être retenue pour être donneuse.
La pédagogie est importante pour accompagner ce changement. D’ailleurs Florence Lesourd abordait déjà le sujet avec les futures donneuses, bien avant que cette modification de la loi ne soit sur la table :
« Ça fait très longtemps qu’on demande à nos donneuses quelle serait leur position si jamais c’était possible, parce qu’on savait que ça pointait quand même à l’horizon. »
La gynécologue affirme être face à un « 50/50 » : « La moitié dit “moi je ne donnerai pas”, l’autre répond “ça m’est égal”. »
À celles que l’accès aux origines rebute ou effraie au point de remettre en question leur idée de faire un don d’ovocytes, Florence Lesourd rappelle avec patience qu’une donneuse n’est pas et ne sera jamais une mère :
« Il faut bien leur expliquer : elles ne donnent pas un enfant, elles donnent une cellule qui sera fécondée avec un spermatozoïde.
Ce que ce don implique, c’est juste qu’elles pourront effectivement se retrouver dans quelques années, dans au minimum vingt ans, avec un adulte qui voudra rencontrer la personne qui a donné ses ovocytes, pas plus. Mais il n’y aura aucun moyen de créer un lien de parentalité. »
Un rappel que confirme Camille Chapin-Derennes, concernée par la question, puisque née d’un don :
« Non, on ne vient pas frapper à la porte en disant “bonjour papa” ou “bonjour maman”, c’est un fantasme. »
Le poids des gamètes dans notre conception de la filiation
Le 29 juin dernier, la France a donc finalement ouvert l’accès aux origines aux enfants nés de PMA, tout en étendant dans le même temps l’accès à la PMA aux couples de femmes et aux femmes célibataires. Le fait que ces deux évolutions se produisent dans la même révision n’a rien d’anodin.
Depuis les premières lois de bioéthique en 1994 – révisées en 2004 et en 2011 – l’accès aux origines des donneurs et des donneuses n’avait pas été remis en cause. C’est en faisant sortir la PMA avec donneur de la famille hétérosexuelle que le législateur s’en senti obligé de permettre les enfants de PMA d’accéder à leurs origines.
Comme si en ouvrant la PMA à des modèles de familles hors du cadre « papa-maman », il fallait rappeler à tout prix l’altérité homme-femme et insister sur le lien biologique entre la personne qui donne et l’enfant né du don.
Pourtant, pendant plusieurs décennies, dissimuler à un enfant que sa conception a été possible grâce à un don de gamètes était monnaie courante, et presque encouragé. Puisqu’un père et une mère figuraient sur l’état civil de l’enfant, on considérait que ne pas aborder le sujet était préférable.
Mais maintenant que la France permet à deux mères d’être parents, c’est comme s’il avait fallu rappeler qu’un tiers, a fortiori un homme, a été impliqué.
« On veut dire qu’il y a quelqu’un et potentiellement quelqu’un à chercher », confirme Marie-Xavière Catto, juriste et spécialiste de droit de la bioéthique et de la question du genre en droit. Elle estime qu’il aurait été possible d’instaurer dans la nouvelle loi un « double-guichet » et ainsi permettre aux donneurs et donneuses de choisir s’ils et veulent ou non rester anonymes auprès des personnes nées de don :
« On pouvait très bien adopter cette solution, qui aurait eu un impact moindre sur les dons. Les parlementaires ont estimé que c’était discriminatoire. »
Marie-Xavière Catto interroge le « poids conféré au sperme » dans notre conception de la filiation.
« Quand on parle de père biologique, on parle de sperme, et quand on parle de mère biologique, on parle des femmes qui ont accouché. Le résultat de cette construction intellectuelle c’est que je n’ai jamais vu quiconque chercher la donneuse d’ovocytes. À chaque fois, on cherche le donneur de sperme. »
Ces donneuses qu’on ne cherche pas
Une hypothèse confirmée par Camille Chapin-Derennes : parmi les adhérents de PMAnonyme, l’écrasante majorité des personnes qui cherchent leurs origines génétiques cherchent… un donneur de sperme.
« Je n’ai en tête qu’une seule personne en recherche de la donneuse d’ovocytes grâce à qui elle est née », constate-t-elle. La raison ? Un tabou persistant autour du don, qui engendre des difficultés à aborder le sujet, voire favorise la dissimulation, comme le montre ce témoignage d’une jeune femme née d’un don d’ovocytes :
« Le don d’ovocytes est facile à cacher pour le couple receveur. La mère se réapproprie la maternité par le biais d’être enceinte, elle se rassure en disant “je l’ai porté, c’est mon enfant”, elle peut faire comme si le don n’avait jamais existé. On ne peut que déplorer ça. »
Si Camille Chapin-Derennes défend la possibilité de connaître son histoire quand on est né d’un don, elle est aussi très consciente que la biologie ne fait pas la filiation :
« Les parents, c’est ceux qui nous ont voulu, le reste, ce sont des donneurs et des donneuses. »
Face à ces constats, Marie-Xavière Catto s’interroge sur les conséquences concrètes de l’accès aux origines sur les futures donneuses : « Je crois assez peu probable que les enfants cherchent les donneuses d’ovocytes », reconnait-elle.
« Et si les donneuses d’ovocytes pensent elles aussi que c’est peu probable, il pourrait y avoir un impact moindre sur le don d’ovocytes. »
Dans une poignée de décennies, des personnes pourront connaître leur donneur ou leur donneuse si elles en ressentent le besoin. Si le silence autour du don de gamètes n’est plus aussi important, on constate pourtant que le don d’ovocytes peine à sortir du secret.
Et malgré les évolutions législatives récentes, la France continue d’entretenir une conception de la famille encore très ancrée dans la génétique.
À lire aussi : J’ai fait un don d’ovocytes, voilà comment ça s’est déroulé !
Crédit photo : Andrea Piacquadio via Pexels
Les Commentaires
Tu n'as pas l'impression qu'un incitation financière peut pousser à la fraude?
J'ai l'impression que dès qu'il y a de l'argent en jeu, il y a plus de risque que quelqu'un mente sur ses antécédents (par ex. maladie mentale jamais traitée, donc pas dans le dossier patient) que si tout est fait bénévolement (il faut quand même être très motivée pour subir tout le traitement sans récompense à la clé). Clairement, ce n'est pas une majorité de cas, mais je trouve le sujet très délicat et chaque problème peut avoir un avis massif sur l'opinion publique.