Depuis plusieurs saisons, le grand couturier Jean Paul Gaultier a pris sa retraite mais confie les rênes de sa maison à différents designers. Après la japonaise Chitose Abe (à la tête de la marque Sacai qu’elle a fondée), le belge Glenn Martens (actuel directeur artistique de Y/Project et de Diesel) ou encore le français Olivier Rousteing (actuel DA de Balmain), c’est au tour de Haider Ackermann de se prêter à l’exercice de style.
Qui est Haider Ackermann, dernier créateur invité par la maison Jean Paul Gaultier
Connu pour ses associations de couleurs inattendues sur des drapés majestueux mixés à du tailoring aiguisé, Haider Ackermann officiait à la tête de sa propre maison de 2001 à 2020, avant de la mettre en sommeil et de ne se consacrer qu’à des projets spéciaux. C’est lui qui signe notamment la plupart des looks les plus médiatisés de l’acteur Timothée Chalamet ces dernières années. Il vient de signer une collab’ remarquée avec l’équipementier sportif italien Fila dont la date de sortie n’a pas encore été communiqué, après avoir été en 2021 consultant créatif pour Maison Ullens, marque de luxe belge.
Favori des critiques, mais moins connu du grand public, Haider Ackermann avait été nommé à la direction artistique de Berluti (grand tailleur homme, possession du groupe de luxe LVMH) de 2016 à 2018, alors que Karl Lagerfeld l’avait déjà cité comme la seule personne qu’il voyait prendre sa succession chez Chanel, et que les rumeurs de l’industrie le voient régulièrement nommer à la tête d’une grande maison. C’est dans ce contexte qu’Haider Ackermann a donc présenté cette nouvelle collection Jean Paul Gaultier haute couture.
Jean Paul Gaultier haute couture printemps-été 2023 par Haider Ackermann
Haider Ackermann a donc présenté sa collection Jean Paul Gaultier haute couture printempos-été 2023 le 25 janvier 2023 à Paris, dans le quartier général de la maison. Dans une scénographie épurée, sur un tapis bleu glacier, les mannequins ont déambulé, lentement, exagérant des poses de mannequins du siècle dernier, âge d’or de la couture. De quoi permettre de prendre le temps d’admirer la précision de la confection dans les détails.
Les quatre premiers looks ressemblaient à des abstractions autour du smoking par des jeux de plissés frôlant l’origami, de poignets mousquetaires blanches fusionnées à la veste, quand l’idée de chemise ne devenait pas carrément un bustier (aux seins coniques évidemment Gaultier, comme les looks 5 et 6 d’ailleurs) ou d’impressionnantes plumes de coq bleues. Les passages suivants ont montré les talents de coloristes d’Haider Ackermann qui a fait contraster des teintes acidulées sur l’avant et l’envers, faisant de chaque doublure une opportunité couture (le look 20 ressemble à une veste azur sur une jupe-pantalon assortie, dont une jambe est couverte tandis que l’autre se révèle par une fente qui permet d’apercevoir une doublure contrastante rouge flamboyante).
Hommage mécanique et hérissons haute couture
On a donc retrouvé les silhouettes de mantes religieuses sous acide habituelles d’Haider Ackermann, ainsi que ses drapés inspirés par les touaregs qu’il croisait dans son enfance aux basques de ses parents géographes en Afrique. Les détails de plissé ont également rappelé son amour pour le travail de Germaine Émilie Krebs (1903-1993), dite Alix Grès, dont la maison Madame Grès a tant marqué l’histoire de la mode. C’est à elle qu’on doit ce qu’on appelle le pli Grès (formé pendant la construction de la robe, puis cousu) qu’elle utilisait pour créer des robes d’éternité d’inspiration antique, et que semble avoir réinterprété aujourd’hui Haider Ackermann pour Jean Paul Gaultier (particulièrement manifeste sur les looks 8, 12, 13, 23, mais aussi à la ceinture des pantalons 5 et 6).
Plus qu’à l’enfant terrible de la mode en marinière, le créateur invité a rendu hommage aux prouesses de la haute couture elle-même et toute sa mécanique artistique. D’où notamment les looks 14 (pantalon de costume blanc immaculé sous un pull noir entièrement recouvert d’aiguilles et un manteau tout aussi épineux) et 26 (ensemble de survêtement lilas entièrement piqué de 142 000 aiguilles) qui servent également de clin d’œil aux bracelets pique-aiguilles des couturières que réinterprétait souvent Jean Paul Gaultier. D’autres looks hérissés ont pu faire penser à des hérissons haute couture : en plumes dressées autour de l’encolure de la robe du look 15, en bustier de plumes beiges sur le pantalon ciel du 18, en jupe de plumes noires longues comme des lames de couteau et haut à manches longues tout en écailles de plumes couleur jais du 35, et en combinaison intégrale en plumes blanches de la mariée du final, qui a troqué le traditionnel voile pour une capuche et une cape en crêpe de zibeline blanche.
Outre le passage 17 composé d’un micro short-culotte noir et d’un haut portant le vers « Liberté, j’écris ton nom » (tiré du poème de Paul Eluard) sous un manteau-plaid en jacquard assorti des mêmes mots noirs sur fond gris, réhaussé d’une doublure en soie jaune, on pouvait deviner une référence à la lutte des femmes iraniennes à travers la bande-son. Il s’agissait principalement de l’hymne révolutionnaire « Barayé » de Shervin Hajipour. Qui se frotte à la haute couture et aux droits des femmes, s’y pique.
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Crédit photo de Une : Jean Paul Gaultier.
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Les Commentaires
@KittyKiller haha, oui, j'étais OBLIGÉ d'en parler tellement j'adore Haider Ackermann et Jean Paul Gaultier. Autant te dire que j'étais extatique depuis la seconde où ça a été annoncé. Et même stressé tant ça me paraissait improbable comme mariage. Mais c'était oublier notamment leur amour mutuel pour Madame Grès et ses plissés.
Comme toi, j'ai adoré ces associations très organiques de rigidité et de fluidité. Et oui, il y a quelques silhouettes Gaultier, mais en clin d'œil très léger (la jupe-pantalon et les seins coniques, par exemple), et j'ai justement trouvé assez rafraîchissant que cette collection rende hommage à Monsieur Gaultier en tant maître tailleur, plutôt qu'en tant qu'enfant terrible de la mode à la sempiternelle marinière (car ça devient trop cliché et redondant, or Gaultier c'est tellement plus que ça…)
Mais je suis d'accord avec toi, ça manquait peut-être d'interrogation du vulgaire. Et surtout d'humour, mazette ! C'était, somme toute, très sérieux, solennel, alors que j'aurais adoré qu'Haider Ackermann se déride ne serait-ce que le temps d'une collection pour Gaultier. C'était vraiment le moment ^^
Mais ce défilé lui a donné l'occasion de s'exprimer à nouveau dans les médias, et d'enfin expliquer ses 2 ans d'absences en tant que marque (hormis quelques looks pour Tilda Swinton et Timothée Chalamet, Haider Ackermann ne défilait plus, ne sortait plus de collections créatives ; émergaient seulement de temps en temps des capsules de hoodies et joggings improbables façon produits dérivés…). Je recommande chaudement cette longue interview pour System Magazine où il explique ses démêlés judiciaires et économiques avec Anne Chapelle, qui possédait sa marque, et a donc failli le déposséder complètement du droit d'utiliser son nom (un peu comme ce qui est arrivé à Christian Lacroix par exemple). L'interview laisse présager un retour à la création au-delà de son petit cercle d'ami.e.s, donc j'ai hâte, hâte, hâte !