Longtemps, le T-shirt blanc a été considéré comme un sous-vêtement à ne pas porter en public. Dans le cas du débardeur, c’est presque encore le cas aujourd’hui, tant il peut toujours apparaître comme un dessous. Cette pièce aux origines workwear a peut-être souffert aussi d’être rattachée aux classes populaires, laborieuses, qui en portaient sous leur bleu de travail historiquement, même si cette connotation classiste est en train de disparaître.
Une expression américaine pour le désigner illustre cette mauvaise réputation : « wife-beater ». Si vous cherchez ce mot sur Instagram, par exemple, vous verrez plein d’hommes contracter leurs muscles en débardeur, parce que ça leur paraît manifestement cool et viril d’utiliser un hashtag qui signifie littéralement « frappeur d’épouse ». Alors que rien ne les empêche de vouloir se sentir et se montrer sexy sans passer par la glamourisation des violences conjugales…
Le wife beater porté par les classes populaires
Comme le rapporte le site de référence en matière de vocabulaire Dictionary.com, la première occurence de ce rapprochement entre débardeur et auteur de violence conjugale date d’un féminicide de 1947, illustré dans les médias par le tueur en débardeur blanc tâché et titré « The wife-beater ». Comme c’est une époque où les personnes vues publiquement en débardeur étaient plutôt des immigrés des classes populaires, ça n’a fait qu’entacher davantage la réputation de cette pièce.
Jusqu’à ce que des rappeurs qui en portaient publiquement gagnent en popularité dans les années 1980 et que la mode de luxe commencent à en présenter sur les podiums de façon érotisée dans les années 1990.
La réinvention du débardeur comme pièce mode au minimalisme sexy doit alors beaucoup à Helmut Lang, créateur austrichien culte des années 1990. Il le présente comme un vêtement unisexe dont il croise, décale ou supprime une ou deux bretelles, quand il n’y place pas des découpes à des endroits improbables. Puis la mode a pris un virage maximaliste dans les années 2000, reléguant à nouveau cette pièce au rayon sous-vêtement à ne porter publiquement qu’en cas de canicule.
Seulement, pour les années 2020, il revient en force, porté par une jeune générations de créateurs et créatrices qui revisitent l’héritage mode d’Helmut Lang, pionnier d’une forme de minimalisme au sexy affranchi des normes de genre, qui paraît plus contemporain que jamais aujourd’hui (pour info, la marque qui porte son nom est toujours en activité aujourd’hui, mais son fondateur n’y travaille plus depuis 2004).
Le créateur australien Dion Lee en exhausse la dimension de sous-vêtement en l’associant à d’autres caractéristiques de la lingerie comme des agrafes et surpiqûres de corset et des porte-jarretelles décoratifs, adressées aux personnes de tous genres.
Même proposition gender-free de la part du designer nigérian Kingsley Gbadegesin qui joue également à détourner les bretelles de débardeur et créer des découpes inattendues. Une partie des bénéfices liées aux ventes de ses débardeurs vont à des associations de défense des femmes et des personnes queers, en particulier noires, aux États-Unis et au Nigéria dont il est originaire. Il expliquait récemment auprès du Vogue américain combien subvertir le débardeur lui permet de ne pas se conformer aux normes de genres :
« Je me sens le mieux quand je puise ma puissance dans ma féminité. La féminité ne connaît pas de limites. Même si j’ai l’air d’un homme noir Cis, croyez-moi, au moment où j’ai ouvert la bouche, vous vous êtes dit : “Oh, elle est l’une des nôtres.”»
Quant à la jeune styliste vénézuélienne Clarrissa Larazabal, elle joue justement sur l’hypersexualisation du débardeur quand il est porté par des femmes en multipliant les couches de matières transparentes, pour en faire des bodys alambiqués, à la fois couvrant et dévoilant, qui habillent autant qu’ils déshabillent.
C’est parce qu’elle portait un débardeur sans soutien-gorge que la femme d’affaires et créatrice de contenu Léna Mahfouf a reçu une floppée de commentaires sexistes sur Instagram. Que n’aurait évidemment jamais reçus des hommes aux tétons qui pointeraient sous leur débardeur. Ce qui avait donné envie à l’influenceuse de remettre les points sur les i :
« Je trouve ça important de rappeler aux jeunes filles et garçons qui me suivent : vous êtes libres de porter ce que bon vous semble. »
Comme tous les étés, les établissements scolaires redoublent d’ailleurs d’injonctions contradictoires concernant la tenue correcte (ou « républicaine ») des femmes. La jeune Lola, 14 ans, témoignait sur Madmoizelle à propos de son collège qui avait jugé son débardeur « provocant ».
Qu’une même pièce puisse être considérée comme un vêtement sur hommes et un sous-vêtement sur les femmes dit tout du double-standard qui règne aussi sur les vestiaires. Alors même qu’il s’agit d’un vêtement de travail, donc utilitaire au départ.
Preuve s’il en fallait que ça n’a jamais été vraiment été la fonction ou répartition du tissu le problème, mais bien le corps qui le porte, et ce qu’on projette dessus : la façon dont on peut le sexualiser, que la personne le veuille ou non.
De sous-vêtement qui faisait mauvais genre à arme de séduction massive sur les podiums tout en étant jugé trop provocant sur les femmes pour les établissements scolaires, le débardeur compte bien aujourd’hui prendre sa revanche queer et féministe.
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Crédit photo de Une : Pexels
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