Le saviez-vous ? Probablement que non, même si vous avez vos règles : la disparition voire perturbation du cycle menstruel est un phénomène fréquent lors d’un long voyage — on appelle cela l’aménorrhée secondaire. Problème : beaucoup de personnes menstruées ne le découvrent quand leur cycle, justement, déraille !
C’est ce qui m’est arrivé, ainsi qu’à d’autres personnes menstruées rencontrées à l’étranger, et ça m’a donné envie d’en savoir plus sur ce phénomène fort méconnu.
Quand les voyages chamboulent le cycle menstruel
Curieuse, j’ai lancé au moment où ça m’est arrivé un formulaire en ligne pour cerner l’étendue de cette méconnaissance. Des 63 personnes menstruées et expatriées ou en voyage (du Pérou à l’Inde, en passant par la France) m’ayant répondu, 41% déclarent avoir appris l’existence de l’aménorrhée secondaire en y étant confrontées — ou à la lecture dudit questionnaire !
Parmi elles, on en compte 41 ayant relevé un chamboulement quelconque de leur cycle menstruel lors d’un long voyage : calendrier sens dessus dessous, flux et douleurs modifiés… Plus surprenant encore : la moitié d’entre elles ont fait face à des retards significatifs, comme trois mois entiers sans règles.
Aux antipodes de ce dernier exemple : le cycle raccourci. « Je venais de le finir et deux semaines plus tard, j’ai à nouveau eu mes règles », témoigne Lisa*, volontaire pendant un an en Lituanie. Derrière son rire, la frustration : « Déjà que je ne suis pas bonne pour gérer mon cycle, là, ça ne sert même plus que j’essaye ! »
Un cycle menstruel perturbé, c’est normal ou inquiétant ?
« Le sport intensif, les grandes modifications de poids, un fort stress suite à un changement d’habitudes sont les causes principales de l’aménorrhée secondaire. »
Julie Meunier est médecin généraliste depuis une dizaine d’années et réalise des consultations gynécologiques. Mains croisées sur son bureau en bois, elle nous explique d’une voix calme :
« Je n’ai pas d’ordre de grandeur, mais il s’agit d’un phénomène fréquent. »
Pas de profil type de personne concernée ni de potion magique pour éviter de voir son cycle perturbé, donc : il faudrait valoriser un mode de vie sain et essayer de lutter contre le stress. La pilule, demanderez-vous au docteur Meunier ?
« Elle peut faire revenir les menstruations, mais ne résout pas le problème : dès l’interruption du traitement, ces “fausses règles” s’arrêteront à nouveau. »
La professionnelle de santé reste catégorique : tant que l’aménorrhée n’a pas de cause biologique, elle est bénigne, sans conséquence sur la fertilité ni la ménopause.
De la galère de l’accès aux soins médicaux
68% des répondants et répondantes au questionnaire n’ont pas contacté de professionnel de santé pour leur irrégularité menstruelle. Sur le podium des raisons : « Je ne pensais pas que c’était vraiment sérieux » et… « Aller chez le médecin n’est pas toujours donné ».
L’accessibilité des soins peut s’avérer un casse-tête, ne serait-ce que vis-à-vis de la langue. Bon à savoir : une liste de professionnels et professionnelles de santé francophones – gynécos inclus – est trouvable sur le site de certaines ambassades et consulats à l’étranger ! Sinon, c’est système D, à savoir demander aux locaux ou passer par des groupes d’étrangers sur Facebook par exemple.
La carte européenne d’assurance maladie – gratuite – est le must-have des voyageurs en Europe (Union européenne et pays de l’espace économique européen). Elle garantit la prise en charge des soins médicaux publics sur place. En revanche, elle ne fonctionne pas pour les expats qui ne relèvent plus de la protection sociale française : là, autant se rapprocher de la Caisse des Français à l’étranger et des assurances au premier euro dépensé.
Le tabou bloque l’accès à l’information aux personnes menstruées
« On est ignorantes sur le sujet parce qu’on ne nous en parle pas forcément. »
Clémentine, volontaire en Espagne, évoque amèrement des infos erronées données par une gynéco et « débunkées par [sa] sage-femme actuelle » quand elle avait 22 ans. Cette dernière lui a expliqué que les voyages, et le stress qu’ils créent, peuvent bouleverser les menstrues — une démarche rare : seulement six personnes sondées ont été prévenues de cette potentialité par un ou une professionnelle de santé !
La médecin Julie Meunier reconnaît d’ailleurs n’avoir jamais pensé en parler à sa patientèle, « mais c’est une bonne idée », ajoute-t-elle.
52 personnes ayant répondu au questionnaire (sur 63) jugent la question des règles à l’étranger trop peu abordée. Clara Déplantes, alias @coupdesang sur Instagram, explique : « Le tabou des règles est une barrière à l’information menstruelle, d’où un grand nombre de gens qui découvrent des aspects de leur cycle en y étant confrontés. »
Et ça peut vite devenir stressant : 65% des sondés et sondées s’estiment inquiètes face à un cycle perturbé. Considérant ses nombreux retards d’un à trois mois, Clémentine va jusqu’à s’exclamer :
« Moi, c’est quand j’ai mes règles que je suis contente ! »
Le silence sur les menstruations dérangées pendant de longs séjours accentue le tabou qui les entoure — « En gros, à partir du moment où t’es pas enceinte, ne viens pas nous faire chier avec tes problèmes de règles ! », analyse Clémentine de façon caustique. Raison de plus pour faire circuler l’information à l’heure où la planète rouvre doucement ses portes !
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Crédit photo : Karolina Grabowska / Pexels
*Le prénom a été modifié.
Écoutez l’Apéro des Daronnes, l’émission de Madmoizelle qui veut faire tomber les tabous autour de la parentalité.
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