Ce 30 mars au soir, TF1 diffuse le dix-septième season finale de Grey’s Anatomy. Pour répondre aux deux questions qui s’imposent immédiatement : oui, la série existe toujours, et cela fait deux ans qu’elle a dépassé Urgences en longévité. Grey’s ne tient pas aussi bien la longueur, mais la série a davantage muté dans le même laps de temps, dans son ton, sa manière de film et surtout son casting.
Bref : oui, dix-sept saisons, pour dix-neuf… au minimum. Et comme d’habitude, on se demandera si elle sera renouvelée encore un an — Ellen Pompeo, l’actrice titulaire, fera un peu semblant d’hésiter, puis elle négociera un encore meilleur contrat, et franchement, qui peut la blâmer ?
Évidemment, le tournage de ladite saison, qui devait comme à l’accoutumée démarrer en été pour une diffusion à l’automne, a été bouleversé par ce qui restera à jamais « l’année 2020 ».
Le Covid, sujet incontournable pour Grey’s Anatomy
Comme le reste du monde mais un peu plus que le reste du monde, la Californie est en pleine vague de Covid. Avec un planning décalé et une saison raccourcie, cette saison 17 a commencé en retard, et il ne fallait pas espérer y trouver un refuge de la terrible réalité : même dans la fiction, le Grey Sloan Memorial est frappé par la pandémie.
Tout le monde porte un masque FFP2 et une visière, la température des patients est prise en permanence, et les problématiques de places, d’espaces, de distanciation et de contamination y sont largement abordées.
Une saison tendue, qui nous ramène à cette ambiance anxiogène et lunaire de mars 2020 (je pense qu’on n’oubliera jamais notre première sortie courses lors du premier confinement), et qui le fait avec plus ou moins d’élégance : après tout, c’est Grey’s Anatomy, où le drama prend souvent trop de place… alors quand le réel est un peu trop réel, les deux éléments ne cohabitent pas toujours bien.
Entre drama et réalité, Grey’s Anatomy oscille
Pour préciser ma pensée : Grey’s Anatomy a une approche trop topique des choses.
Si un élément du monde médical réel (une maladie, une technique…) est un peu « à la mode », par défaut de meilleure manière de l’exprimer une maladie, il va apparaître dans Grey’s.
Ça a parfois été un peu vulgaire — quand un cas unique au monde rentre dans l’actualité générale pour un jour et atterrit à Seattle la saison suivante, bon… Mais parfois, c’est plus informatif et élégant. En saison 15, ainsi, Grey’s offrait une représentation réaliste de l’EMDR, une technique de psychothérapie qui lutte contre les traumatismes.
Alors comment faire quand un événement aussi impossible à esquiver qu’une pandémie s’immisce dans le script d’une série médicale ?
The Good Doctor, New Amsterdam, The Resident entre autres ont aussi choisi de construire leurs saisons 2020-2021 autour du Covid-19. Dans un article du magazine spécialisé Deadline, les showrunners idoines évoquent leur « devoir moral » d’en parler, et de l’intégrer dans la diégèse.
Bien que réticente au début, Krista Vernoff, madame Grey’s, a été la plus frontale. Elle a fusionné l’actualité avec l’ADN de la série pour parler du Covid dans une dimension plus sociétale — en abordant, par exemple, l’impact aigu qu’il a sur les personnes afro-américaines, ou les discriminations subies par les médecins asiatiques. Et, en l’occurrence, la mère du docteur Bailey, pilier de l’hôpital.
Un épisode où, post-générique, sont crédités de très nombreux disparus de l’épidémie… séquence coupée à la diffusion sur TF1.
Grey’s reste pertinente dans sa manière de montrer « l’éthique du désastre », les protocoles qui s’enclenchent quand les pires scénarios vous arrivent sur le bout de la truffe. La série questionne ces protocoles, leur applique une logique sociétale, montre qu’ils ne sont pas parfaits, souvent fondés sur des critères datés ; des situations dramatiques et des dilemmes moraux impossibles en résultent.
Un travail de sensibilisation qui constitue le meilleur de la série.
Ce qui est plus gênant en revanche, c’est quand le Covid-19 devient un mécanisme fictionnel et un vecteur de drama.
Dans les premiers épisodes, Meredith Grey contracte la maladie. Elle passe les deux tiers de la saison dans une « plage de la mort », à imaginer des rencontres avec des disparus de la série. C’est du fanservice, parfois cool (Georges !!) parfois neuneu — imaginez trois personnages interagir ensemble, dont deux fantômes, avec l’un des deux très manifestement filmé sur fond vert là où les autres parlent dans le vide… Des séquences un peu ridicules.
Encore et encore, Meredith se réveille, replonge dans le coma, le manège dure trois ou quatre cycles, et l’énorme poupée en plastique intubée qui la sert de doublure me hante un peu.
Ces détails pratiques ont néanmoins une explication logique : Ellen Pompeo souffre d’asthme, donc ça s’entend que ses rares scènes soient tournées à l’air libre, hors des plateaux de tournage. Il se trouve juste que… ça n’a pas donné de la bonne télévision.
Au-delà du Covid, une mauvaise saison 17 pour Grey’s Anatomy
En soi, on a dans cette saison un groupe d’épisodes particulièrement anxiogène, avec des petites touches de fanservice — un autre mécanisme dans laquelle la série se réfugie depuis un gros lustre. Mais le reste est raté et obère l’ensemble.
En terme de développement de personnages, on rentre dans le pire de la série, admettons-le.
Niveau contre-performances, on peut noter un épisode-concept qui représente n’importe comment la santé mentale (et comment elle peut s’affaiblir) ; la diégèse elle-même est rendue incompréhensible par le crossover avec Station 19, la fiction jumelle des pompiers de Seattle ; un personnage majeur se fait littéralement planter hors-champs, rendez-vous compte !
Pour reprendre un Benjisme que vous commencez à souvent lire sur Madmoizelle : c’est un peu n’importe quoi.
Quel « après » pour Grey’s Anatomy ?
Il ne reste plus qu’un épisode de cette saison à diffuser en France. Ainsi, ce mercredi 30 mars, TF1 enchaînera avec le premier épisode de la saison 18.
Au programme : un ego blessé, des couples qui se forment et se déforment, du drama à gogo… toute la choucroute habituelle, quoi. Meredith retrouve l’amour, un personnage non-binaire fait son entrée, un autre quittera la série pour des raisons improbables, et on se demande bien où tout ça va nous mener (il reste encore quelques épisodes à diffuser outre-Atlantique) !
Mais cette saison est construite sur une impasse, et elle est un peu contre-productive. Car le Covid n’y existe virtuellement plus. Il n’est plus évoqué, les protocoles sanitaires ne sont plus respectés, son impact sur le système de santé est éludé.
Bref, il est sorti du champ de vision… Au point que dans les premiers épisodes, un carton à la toute fin s’affiche et confirme que nous sommes littéralement dans une uchronie.
Alors, bien évidemment, il n’y a pas de réelle solution à ce problème : on peut difficilement ancrer la pandémie pour l’éternité à la télévision. À moins qu’on ne… doive le faire ? N’est-ce pas aussi le devoir de ce genre de fiction de nous garder à l’affût, de nous éduquer tant qu’il le faut ?
Finalement, le Covid sonne comme un mécanisme narratif, forcé par la vraie vie, qui repart et revient, à l’image d’un personnage dont les showrunners ne savent pas quoi faire. Son traitement par la série est donc assez représentatif de ce qu’est Grey’s Anatomy depuis un bon moment : volontaire, mais pas toujours très élégant.
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