Ça vous fait pas un peu bizarre, les photos de stars en tenue de gala… chez elles ? C’est le seul moyen Covid-friendly qu’ont trouvé beaucoup d’événements pour continuer à donner l’impression d’un tapis rouge, sans réunir trop de personnes au même endroit : le red carpet dématérialisé, décentralisé.
Mais pourquoi tant de peine et d’artifices ? Eh bien sûrement parce que le tapis rouge, c’est tout un business, comme un teaser à des événements qui perdraient en aura faute de moquette écarlate.
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Le tapis rouge, une tradition antique pour l’élite
Historiquement, la première mention de tapis rouge pourrait remonter à la pièce de théâtre antique Agamemnon, d’Eschyle, vers 458 avant Jésus-Christ. Pour accueillir le héros éponyme de retour de la guerre de Troie, son épouse Clytemnestre ordonne aux esclaves de recouvrir le sol d’étoffes pourpres afin de le recevoir en grande pompe — un honneur normalement réservé aux dieux.
C’est de là que viendrait la pratique du tapis rouge telle qu’on l’a transformée jusqu’à aujourd’hui, nous explique l’historienne et sociologue de la mode Élodie Nowinski :
« La fonction de cérémonialisation du tapis rouge ne se fait plus aujourd’hui par l’objet lui-même, mais bien par celles et ceux qui le foulent. Et bien entendu par l’exposition médiatique qui s’ensuit. »
Autrement dit, qu’il y ait ou non concrètement de la carpette écarlate par terre importe moins que le niveau du gratin de la cérémonie. Pour bénéficier de l’aura culturelle de l’événement, de ses retombées médiatiques, des marques se sont mises à proposer d’habiller gratuitement des stars pour s’y rendre dans leur tenue — voire de les payer pour qu’elles acceptent d’être habillées par leurs soins.
Le tapis rouge, tout un écosystème qui s’autoalimente en glamour
Si la cérémonie en tant que telle intéresse plutôt les gens de l’industrie concernée (le cinéma pour les Oscars, ou la musique pour les Victoires de la musique par exemple), son tapis rouge est presque devenu un événement grand public tant il est médiatisé et commenté. Les retombées médiatiques de ce show à part entière qu’est devenu le tapis rouge servent donc de publicité pour ces maisons, au-delà de la fashion week et des magazines de mode.
La plupart des gens se permettent beaucoup plus facilement de donner leur avis sur une tenue de tapis rouge aperçue à la télé, dans un magazine ou sur Instagram que sur le dernier film de la réalisatrice oscarisée Kathryn Bigelow
. Parce qu’on a tous et toutes un rapport personnel au vêtement : le sujet nous paraît donc plus accessible.
Tout ce glamour forme une espèce d’écosystème qui s’autoalimente par effet boule de neige : plus il y a de stars d’envergure, plus des marques se battent cher pour les habiller, plus la cérémonie peut générer de gros sous à réinjecter dans l’industrie, et gagner en importance.
Le tapis rouge, un show (trop ?) grand public avant une cérémonie de happy few
C’est comme ça qu’on en arrive à des mastodontes comme les Oscars, dont on retient presque davantage les tenues portées sur les tapis rouges que le nom des personnes récompensées. Même chose pour le festival de Cannes, qui serait d’ailleurs en train de perdre de sa superbe, d’après l’experte universitaire :
« Cannes 2018 a été beaucoup critiqué par des puristes pour l’absence de stars de grande envergure et la surreprésentation de mannequins porte-manteaux de marques de mode, de cosmétiques, et de joaillerie. La présence discutée de stars de la télé-réalité aurait également terni le côté élite du fameux tapis rouge de Cannes. »
D’abord associé aux plus grandes cérémonies, le gimmick du tapis rouge se démocratise, mobilisé pour des occasions de moindre importance. Voire se trivialise, quand il s’agit de photocalls avec grands renforts de logos de sponsors en arrière-plan pour rentabiliser l’événement.
Puisqu’il ne sert plus à représenter uniquement l’élite, il perd en signification, développe Élodie Nowinski :
« À trop en voir, on assiste à une déperdition de sens pour l’objet. Même pour les marques, cela devient un outil de promotion moins intéressant, car sur les réseaux sociaux et médias numériques, elles sont rarement aussi bien mentionnées et créditées que dans la presse papier traditionnelle.
Entre vulgarisation de l’objet tapis rouge par surexposition et perte du sourcing (au sens d’être correctement créditées, NDLR), les marques les plus haut de gamme ont tout intérêt à se montrer hypersélectives dans leurs égéries d’un soir. »
Le juteux business du tapis rouge compliqué par le Covid
D’autant qu’à l’ère du Covid, le rituel même du tapis rouge devient quasi impossible. Réunir autant de célébrités, de photographes, et de professionnels de l’industrie concernée comporte un tel risque sanitaire que beaucoup d’événements préfèrent jouer la carte du tapis rouge dématérialisé. Chacune de son côté, dépourvues de tout le décorum usuel, les stars brillent soudain beaucoup moins.
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D’autant qu’elles doivent également composer avec une équipe réduite de maquilleurs, coiffeurs, stylistes et assistants. C’est donc tout un business insoupçonné qui se voit fragilisé par la pandémie. Privée de sa théâtralité, la renommée paraît bien superflue devant des stars tirées à quatre épingles pour assister à une cérémonie depuis leur canapé. Elles nous sembleraient presque ordinaires, en fait…
On comprend du même coup l’insistance de Thierry Frémaux, directeur général du Festival de Cannes, pour que l’événement se tienne physiquement en 2020, par exemple. Après avoir été reportée puis annulée à cause de la crise sanitaire, la 73e édition s’est finalement tenue en octobre 2020, sans que le grand public n’y prête attention, faute de tapis rouge. Reste à voir si la guerre des looks pourra avoir lieu sur la Croisette du 11 au 22 mai 2021, comme espéré…
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