On l’attendait depuis deux ans. L’adaptation sur grand écran du Consentement, remarquable ouvrage de Vanessa Springora est sorti en salles le 11 octobre dernier. Dans ce récit à la première personne, l’autrice racontait la relation d’emprise qu’elle a subie de la part de Gabriel Matzneff dans les années 1980, lorsqu’elle avait 14 ans et lui 50. Au-delà du succès critique, le livre a abouti à l’instauration de la loi Billon d’avril 2021, qui stipule qu’en dessous de 15 ans, tout mineur est considéré comme non consentant.
Porté par Jean-Paul Rouve (Gabriel Matzneff), Kim Higelin (Vanessa Springora) et Laetitia Casta (la mère de Vanessa Springora), Le Consentement est réalisé par Vanessa Filho. La cinéaste a travaillé avec Vanessa Springora, qui a participé à l’écriture du scénario.
Pourtant, cette adaptation pose question. Faut-il reproduire le viol d’une enfant à l’écran, dans la longueur et les détails, pour « dénoncer » la pédocriminalité ? Le Consentement avait-il besoin de devenir un film ?
Une « œuvre cinématographique » autonome ?
Le Consentement ne s’ouvre pas sur des images, mais sur des mots. Sur un écran noir, un texte nous avertit que le film est adapté du livre de Springora, mais que certains éléments ont été modifiés ou ajoutés « à des fins cinématographiques ».
Le film n’a pas encore commencé, mais il pose déjà question : Le Consentement peut-il vraiment aspirer à devenir une œuvre cinématographique indépendante ? Un film que l’on apprécierait pour l’originalité de son scénario, le jeu de ses acteurs, l’intensité de ses scènes dramatiques ?
Rien n’est moins sûr. Ressusciter les crimes d’un pédophile bien réel avec une caméra, faire jouer par des acteurs le calvaire innommable d’une jeune victime qui n’a rien de fictif ; tout cela pose des questions de mise en scène que l’on ne peut ignorer, au risque de réaliser un film problématique… et c’est précisément ce qui se passe avec cette tentative d’adaptation.
Un jeu d’actrice désincarné, qui vide Le Consentement de sa substance
Fille de Kên Higelin, petite-fille de Jacques Higelin et nièce d’Izïa Higelin, Kim Higelin signe ici son premier rôle dans un long-métrage. La question n’est pas tant de savoir si la comédienne de 23 ans joue bien ou non : le problème est que l’on voit immédiatement qu’elle a été dirigée pour faire une performance choc qui lui fasse gagner un César de l’espoir féminin. Au fil des scènes, on a presque l’impression d’entendre la réalisatrice lui souffler : « Touche ton visage comme dans un clip, fais vraiment morver ton nez, cligne d’abords de l’œil droit puis du gauche quand tu regardes Jean-Paul pour que l’on sente qu’il te trouble. » En bref, on tombe immédiatement dans un surjeu auquel on a du mal à croire.
On retombe sur cette question de « l’œuvre cinématographique ». L’enjeu de cette adaptation ne devrait pas être de créer la parfaite candidate pour les Césars mais de se demander comment incarner vraiment le livre de Springora.
Si son livre est une réussite, ce n’est pas seulement parce qu’il choque en décrivant des agressions pédophiles, mais parce que c’est un livre profondément incarné, habité par la voix, le regard, le vécu de Vanessa Springora. Il aurait fallu se demander comment recréer, avec des acteurs, des images, des sons, du montage, ce que Springora a accompli avec l’écriture.
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Un « drame français intime », à contre-sens d’un livre personnel mais surtout politique
Par exemple, dans le film, de très nombreuses scènes montrent Kim Higelin hurler sur sa mère (Laetitia Casta). Elles échangent des tirades qu’on a déjà trop vues au cinéma, façon « si tu continues à me priver de le voir, je fugue », ou encore, « de toute façon, t’es jalouse parce que je suis jeune et t’es vieille », etc. Le personnage écrit par Vanessa Filho est aussi stéréotypé. Laetita Casta traine toute la journée en chemise de nuit, un verre de rouge à la main. Elle fume, les cheveux dans les yeux, avachie sur le canapé, le regard éteint. Le film a beau durer deux heures, il ne lui accorde jamais plus de quatre minutes à l’écran. De ce personnage, on ne saura finalement presque rien.
Dès lors, comment comprendre son comportement insensé ? Comment peut-elle d’abord interdire à sa fille de fréquenter un pédophile, puis lui demander de ne pas le quitter « parce qu’il est gentil » ? Pourquoi protège-t-elle Gabriel Matzneff ?
En limitant les scènes avec la mère à des disputes de foyer, en faisant tomber le film dans le registre du « drame français intime » le film échoue à faire comprendre la dimension éminemment politique de ce personnage. En parlant de sa mère, Vanessa Springora ne parlait pas seulement de son intimité, mais de tout un système d’omerta et de protection des pédocriminels. Sa propre mère se tait, comme tout le monde.
Un grand acteur et des scènes de reconstitution atroces, pour un biopic sur Gabriel Matzneff
Si la mère est presque évincée du récit et que Kim Higelin est occupée à surjouer, que reste-t-il dans Le Consentement ? La réponse est simple et visible dès l’affiche du film : le film sert à montrer que Jean-Paul Rouve est un acteur aux 1000 casquettes. Au-delà de sa transformation physique hypnotisante, il faut voir comment l’acteur a dans les yeux un mélange atroce entre douceur simulée et désir de bête affamée.
Celui que l’on associait au sympathique Jeff Tuche signe probablement son plus grand rôle, son plus grand contre-emploi (ce concept désigne un rôle qui change du registre habituel d’un acteur). Face à la caméra de Vanessa Filho, tout est fait pour que l’on constate à quel point Jean-Paul Rouve joue bien.
Dès lors, une écrasante majorité de scènes du film donnent à voir des séquences de viols extrêmement longues, détaillées, qui donnent à voir l’ampleur de la perversité de Matzneff, de ses pratiques sexuelles aux mots atroces qu’il susurre dans l’oreille de sa victime. Le problème, c’est qu’au jeu du meilleur acteur, Jean-Paul Rouve écrase forcément Kim Higelin. Parce qu’il mène le film, Le Consentement ressemble beaucoup plus à un biopic sur Matzneff qu’à une tentative de faire éprouver par des images l’enfer de l’emprise et de la pédocriminalité.
Le Consentement : une masterclass sur ce que le trauma porn fait de pire au cinéma
Les dimensions problématiques du Consentement de Vanessa Filho posent la question du trauma porn. On parle de trauma porn lorsqu’un film montre en détail des actes de violence sous prétexte de la dénoncer, mais verse en réalité dans l’exhibitionnisme et le sensationnalisme et choque pour divertir. On peut notamment se demander si une personne ayant été victime de cette violence a vraiment besoin de revoir son traumatisme rejoué à l’écran pour guérir. Existe-t-il vraiment des personnes qui « prendront conscience du problème de la pédophilie » en voyant les viols de Matzneff reproduits à l’écran dans les moindres détails ?
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Fasciné par Jean-Paul Rouve en Gabriel Matzneff, Le Consentement est son biopic, comme si sa perversité méritait qu’on lui consacre un long-métrage. Le film échoue à penser la dimension systémique de la pédocriminalité. Il se perd dans des scènes de reconstitution gênantes au lieu de raconter ce que le pouvoir social, culturel, économique d’hommes puissants produit comme violence et comme impunité sur les femmes, les jeunes, les enfants.
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Les Commentaires
L'article est écrit comme si le film avait été fait dans le dos de Vanessa Springora, sans jamais la consulter. C'est complètement faux, et ce serait bien de le préciser.
En revanche, je trouve également que certaines scènes étaient trop crues ; il y en a d'ailleurs beaucoup pendant lesquelles j'ai fermé les yeux.