Il y a des choses que j’aime particulièrement à Paris. La multitude des endroits et des personnes à rencontrer, les surprises — bonnes ou mauvaises — à chaque coin de rue, par exemple.
Et puis il y a des choses que je déteste. L’odeur de pollution permanente, les milliards de pigeons, et surtout, les putains. de. murs. en. papier. Ces mêmes murs qui laissent passer jusqu’au moindre bruit de craquement, et qui m’ont entraînée dans la spirale étrange que je connais aujourd’hui. La spirale indigne d’une meuf qui se réveille un jour et réalise qu’elle stalke son voisin.
Il y a peu, j’étais encore la meilleure des voisines
Il faut le savoir, partager un mur d’immeuble avec moi, fut-il en papier, est une expérience délicieuse. J’ai des goûts musicaux irréprochables, mon chat ne miaule jamais, et mon amour pour les livres et les tapis transformerait n’importe quel appartement qui résonne en cellule capitonnée.
À moins d’avoir envie de me faire entendre, mes fredonnements intempestifs n’atteignent donc jamais les oreilles de mes doux voisins d’étage, et le son qui vient de chez eux arrive assez étouffé pour peu me déranger.
Oui, mais.
Il y a plusieurs failles à ce lifestyle. La première, c’est que mon colmatage sonore n’inclut pas le plafond. La deuxième, c’est que si mon voisin du dessus, tel un ascète capitaliste, ne vit qu’avec un PC gaming, un iPhone et une enceinte posés au sol pour tous biens matériels, mes étagères Billy n’empêcheront clairement pas ses sessions hurlements de résonner DANS TOUTES LES PIÈCES DE MA MAISON. TOUT LE TEMPS.
Mais je m’égare.
Avant le Covid, ma vie était paisible
Quand mon conjoint et moi avons emménagé chez nous il y a deux ans, notre appartement était idyllique. Lumineux, bien situé, extrêmement peu cher : il avait tout ce que l’on peut espérer d’un bien en location.
En ces temps bénis, chacun quittait son appartement tôt le matin, et rentrait chez lui tard le soir. De mon voisin du dessus, je ne connaissais que le numéro d’interphone et le métier (« dans la finance »), pour l’avoir croisé vaguement lors d’une coupure d’électricité. Je le croisais parfois tôt le matin, en costume, et nous nous adressions un salut cordial, avant de continuer nos vies comme les étrangers que nous étions.
Nous coulions des jours heureux, jusqu’à l’arrivée du Covid.
Dans la nuit du 16 au 17 mars, mon voisin du dessus a pris une décision qui allait transformer nos vies à tous en cauchemar : il a décidé de ne plus en avoir rien à foutre. De rien.
Première découverte : mon voisin refuse les meubles et le concept de temps
Les souvenirs de ces premiers jours de confinement sont brumeux, et le changement est difficile à décrire tant il a été progressif. Mais l’immeuble entier étant désormais assigné à résidence, j’ai découvert deux choses.
La première, c’est que j’entendais absolument chaque microbruit venant de chez mon voisin du dessus.
La deuxième, c’est que cette découverte avait une explication : celui-ci ne semblait posséder aucun meuble. Zéro. Si je le sais, c’est parce que j’ai commencé à me faire réveiller à n’importe quelle heure du jour et de la nuit par des bruits de vibrations qui me réveillaient en sursaut, pensant que c’était le réveil qui trônait à environ 30 centimètres de mon visage.
En réalité, c’était le portable de mon voisin, posé à même le sol, qui vibrait sur mon plafond. Le tout accompagné d’un bruit d’alarme à faire pâlir d’envie les sirènes du mercredi, et à l’écho infini. J’ai compris que je vivais sous l’équivalent d’un hall de gare, sans les heures creuses.
La première nuit, il était 4 heures du matin et je me suis dit avec bienveillance qu’il devait avoir une urgence. La quatrième nuit, il était 2h45 et j’ai essayé de creuser un trou sous mon mec et mon chat pour ne plus rien entendre. La huitième nuit consécutive, il était 6h03, et j’ai pleuré.
En même temps, cet être sans meubles ni bienséance niquait mes heures de sommeil avec des méthodes dignes de la CIA depuis une semaine.
Mon voisin a décidé de tout quitter pour percer sur Twitch la nuit
Aux premiers jours de ce confinement difficile, la vie a continué. Je dormais alors entre chacun de ses réveils intempestifs — qui se mettaient aussi à sonner la journée, à des heures incongrues — travaillait sur mille et un projets, et tentait de passer outre ces étrangetés parce qu’à ce moment-là, personne ne comprend encore ce qu’est le Covid.
De nature très hypocondriaque, je n’avais aucune envie d’aller respirer les miasmes de mon voisin (souvenez-vous, on n’avait même pas encore de masques), et j’essayait de me convaincre que j’exagèrait. D’autant plus que j’étais la seule de mon foyer à souffrir des nuits hachées, mon compagnon de vie ayant un sommeil très lourd.
Un coup d’œil sur la façade de l’immeuble m’a permis de remarquer que le goujat ne possèdait ni tringle ni rideaux et se cachait du soleil avec des draps coincés dans ses fenêtres, ce qui confirmait l’hypothèse de son minimalisme mobilier. Moi, je m’interrogeais : que se passait-il dans sa vie ? Est-ce un robot ? Est-ce un espion ? Est-ce qu’il testait une nouvelle méthode de productivité pour un post LinkedIn ?
C’est à ce moment que les cris ont commencé. À mon grand désespoir, les indices sonores étaient très clairs : mon voisin avait découvert Twitch. Il s’était mis à streamer et tentait de percer sur un segment bien particulier de la plateforme, les insomniaques et les personnes vivant sur le fuseau horaire le plus éloigné du nôtre.
Mon voisin devient ma Némésis, et je vis dans la haine
Chaque nuit à 23 heures, mon mec et moi nous regardions la mort dans l’âme. Un jingle résonnait de ses enceintes collées à notre plafond, et les hurlements commençaient. J’étais réveillée par des « AH L’BATAAAARD » et autres joyeusetés à 3 heures, je savais quand il perdait, quand il gagnait. J’ai réalisé que le mec ne doramais jamais et que je vivaiss sûrement sous le nid d’un vampire sous amphétamines. Parfois, la journée, je l’entendais claquer des portes.
Mais à ce moment-là, le monde est sens dessus dessous, et nous n’osions pas aller dire à cette personne, qui vivait manifestement seule, que tout dans sa vie nous insupportait. Après tout, chacun gère comme il peut cette pandémie.
Nous avons choisi de prendre sur nous quelque temps, par solidarité. Grossière erreur.
Petit à petit, les cris se sont multipliés, à n’importe quelle heure du jour et de la nuit. Mon mec et moi avons alors réalisé que l’homme de l’étage avait probablement quitté son emploi, et pourtant, le réveil à 5 heures du matin continuait à sonner chaque jour, week-end compris. Le mec ne sortait pas, ne bougeait pas, et l’alarme nous tenait éveillés tous les deux à fixer le plafond.
« On parle quand même beaucoup du voisin, non ? »
Après deux mois rythmés par les insanités de notre voisin, sans s’en rendre compte, celui-ci était devenu un de nos sujets de conversation principaux, à mon conjoint et moi.
Qu’on soit bien clairs : il n’y avait rien à faire, nous étions enfermés, et même si mon chat est le meilleur de tous, il n’y a pas mille choses à dire sur lui. Chaque jour, privés d’échappatoire, nous soupirions qu’il était peut-être temps d’aller lui casser la gueule, avant de re-soupirer qu’on avait la flemme. Chaque matin, nous comparions à quelle heure et comment nous avions été réveillés par ses conneries.
Je bitche sur lui dans chacune de mes conversations Whatsapp. Je parle de lui à mon chat. Je parle de lui à ma mère. « J’ai envie de buter mon voisin » est devenu mon leitmotiv. Je constate que mon mec vit la même plongée dans le n’importe quoi cérébral que moi : François du premier est devenu notre némésis.
Mais de l’amour à la haine, comme nous le savons tous, il n’y a qu’un pas.
Lentement, le voisin devient le troisième homme de mon couple
Et alors que notre haine de cette personne nous gagnait, nous avons réalisé quelque chose : de cette personne, nous entendions chaque bruit quotidien. Les bruits de pas, de clics, la moindre vibration de téléphone. Mais nous ne l’entendions jamais parler à personne.
En un battement de cils, nous sommes passés de l’exaspération à l’inquiétude : ce pauvre chaton crie sans cesse, ne sort jamais de chez lui, et vit visiblement sans jamais dormir. Et s’il avait besoin d’aide ?
Nous ne nous en sommes pas rendus compte, mais à ce stade, nous étions déjà des gros creeps. Là où n’importe quel être humain rationnel se déciderait à aller dire à Jean-Michel premier étage de se la fermer et de s’acheter un tapis, nous avons hésité à l’inviter à prendre un café pour discuter de sa santé mentale.
Heureusement, l’été est arrivé, et avec lui une gracieuse phase de déni. Celle-ci s’est conjugée avec une période de chômage commune, à mon mec et à moi, et nous en avons profité pour aller nous promener chez tous ceux que nous n’avions pas vus depuis 6 mois. Il faisait chaud, nous étions loin de Paris : nous parlions parfois du voisin de l’enfer comme d’un lointain souvenir, en rigolant et en imaginant qu’il aurait peut-être déménagé à notre retour. Pauvre de nous.
Après Twitch, mon voisin découvre Tinder
Comme les répits sont de courte durée et que depuis 2020, le monde est une blague, nous avons été reconfinés à peu près 4 secondes après notre retour chez nous.
En rentrant un soir, je l’ai croisé devant la porte de l’immeuble, en train de se présenter à une personne qui est clairement un date Tinder, et qui montait chez lui. Régis n’ayant pas fait l’acquisition de fournitures pendant l’été, nous avons entendu chaque seconde des 15 premières minutes du date qui se passait visiblement très mal, avant de commencer un film parce que quand même, faut pas abuser.
Et c’est là que tout a basculé. Parce qu’en vrai, on a passé plus de temps à commenter son date qu’à regarder le film. En même temps, même à travers un étage de parquet, la gêne était tellement palpable que ça aurait été dommage de ne pas faire une blague là-dessus hein, pour une fois qu’on pouvait rigoler un peu.
Malgré nous, mon mec et moi devenons des stalkers
Je vous passe les détails de ce que ma vie est devenue quand mon voisin a remplacé Twitch par Tinder, vous vous doutez bien que c’était extrêmement désagréable. Désespérés, mon copain et moi avons accumulé 78 boîtes d’œufs pour les coller au plafond, avant de prendre conscience que c’était inutile et que nous étions en train de débloquer total. Maintenant, j’ai une centaine de boîtes d’œufs dont je ne sais pas quoi faire… Mais là n’est pas la question.
Le temps a passé et l’idée même de confronter Jean-Michel premier étage est devenue inaccessible. Cela faisait maintenant un an qu’il gâchait ma vie, et pourtant je n’ai pas réussi à monter lui casser la gueule, ou du moins à lui demander poliment de baisser les décibels.
Parce que même si je déteste cet inconnu qui gâche ma vie, il semblerait que j’ai développé pour lui une affection étrange, un syndrome de Stockholm du voisinage. Comme si être forcée de partager son intimité l’avait transformé en une sorte de colocataire détestable à qui on n’arrive pas à souhaiter du mal, ou en un membre de la famille insupportable.
Il semblerait qu’il ait rencontré quelqu’un, et l’autre jour mon mec a laissé échapper un « Ah, je suis content pour lui, il a l’air d’aller mieux ».
Quand je l’entends tousser à travers les cloisons, je m’inquiète pour lui et j’espère qu’il va bien.
Parfois, il n’est pas là pendant plusieurs jours. Et dire qu’il nous manque serait une très grande exagération, mais disons que nous remarquons son absence.
Après tout, peut-on vraiment haïr quelqu’un qui a juste décidé de suivre son rêve : vivre de sexe et de jeu vidéo, sans jamais en avoir rien à foutre du voisinage ?
Et surtout, peut-on vraiment haïr la personne qu’on connaît le mieux sur Terre, puisqu’elle a ostensiblement décidé de ne rien nous cacher ?
Bref, il est grand temps qu’on déménage.
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Crédit photo : Tachina Lee / Unsplash
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