Bientôt un jour férié pour marquer notre attachement à l’égalité femmes-hommes ? Éric Piolle, maire écologiste de Grenoble, se dit, en tout cas, favorable à un calendrier « plus pluraliste ». « Déclarons fériées les fêtes laïques qui marquent notre attachement commun à la République, à la Commune, à l’abolition de l’esclavage, aux droits des femmes ou des personnes LGBT », a-t-il proposé lors d’une interview accordée fin mai à BFMTV, relançant ainsi le débat récurrent autour de nos jours fériés.
La religion catholique, au cœur des jours fériés en France
Actuellement, notre calendrier, riche de onze jours fériés décrétés par l’État entre 1802 et 1981, fait plutôt la part belle à la religion catholique, avec plus de la moitié de ces journées qui lui est consacrée.
En dehors des fêtes religieuses, c’est aux mortes et aux morts pour la France que le pays rend principalement hommage chaque année (le 11 novembre pour la Première Guerre mondiale, le 8 mai pour la seconde).
Seul un jour férié consacre ouvertement une valeur promue par la société française et une revendication sociale : le 1er mai, fête du travail et des travailleur·euses.
Un jour férié décrété dans certains pays pour les femmes ou les personnes racisées
La France ne serait-elle donc qu’un pays catholique, patriote, capitaliste et attaché à ses libertés ? Le portrait de la société française esquissé par ses jours fériés donne matière à réfléchir.
D’autres pays passent, en tout cas, par leur calendrier pour « commémorer et célébrer les grands mouvements qui ont marqué une évolution récente de la société », pour reprendre les mots d’Éric Piolle. C’est le cas de l’Afrique du Sud (le 9 août), de l’Azerbaïdjan (le 8 mars), de la Russie (le 8 mars également), ou encore de la Tunisie (le 13 août) pour les femmes (mais pas toujours pour l’égalité femmes-hommes). Même chose aux Etats-Unis (le 3e lundi de janvier) ou à Porto Rico (le 22 mars) pour les personnes racisées. Pour l’heure, aucun pays n’a, en revanche, encore sauté le pas pour les communautés LGBT+.
De nombreuses dates symboliques existent
Mais si la France venait à suivre l’exemple de ces pays, quelles dates pourraient être retenues ? Celles qui font sens, tout en parlant à tous et à toutes, ne manquent pas.
Pour les droits des femmes, ce pourrait être le 17 janvier (pour la légalisation de l’avortement grâce à la loi Veil de 1975), le 8 mars (en écho, comme dans d’autres pays, à la journée internationale des droits des femmes) ou le 21 avril (en référence à l’ordonnance prise par De Gaulle en 1944 pour accorder le droit de vote aux femmes et les rendre éligibles aux élections).
Pour les droits des personnes LGBT+, la date du 23 avril (celle de la légalisation du mariage pour tous et toutes en 2013) pourrait convenir, de même que le 27 juin (pour les émeutes de Stonewall aux Etats-Unis en 1969, qui ont débouché, un an plus tard, sur la première marche des fiertés dans le monde), ainsi que le 4 août (qui marque, par une loi en 1982, la dépénalisation de l’homosexualité).
L’évènement à commémorer semble déjà tout trouvé du côté des droits des personnes racisées : l’abolition de l’esclavage. En effet, un jour férié est déjà localement accordé en France… mais pas à l’échelle nationale. « Comme si l’abolition de l’esclavage est quelque chose à célébrer uniquement dans les départements d’outremers… », critiquait, d’ailleurs, le maire de Grenoble sur BFMTV.
En jeu : « la conception que l’on se fait de ce qui constitue l’essence de notre nation »
Encore récemment, comme en 2018 ou en mars dernier, plusieurs propositions de loi ont été déposées dans le but d’instaurer de nouveaux jours fériés. Toutefois, « la France est actuellement très loin d’un tel consensus », juge l’historienne Jacqueline Lalouette, connue notamment pour son ouvrage « Jours de fête : jours fériés et fêtes légales dans la France contemporaine » (2010). « Dès le début du XIXe siècle, les jours fériés ont été accusés de nuire à l’économie (perte de revenus, baisse de la productivité…). C’est pour cette raison que certaines fêtes ont été décalées au dimanche le plus proche de leur vraie date », raconte-t-elle.
Elle poursuit : « On ne pourra donc pas créer de nouveaux jours fériés sans en supprimer d’autres. Et encore, cette suppression engendrerait vraisemblablement des conflits idéologiques et politiques considérables, comme en 2004, lorsque le premier ministre Jean-Pierre Raffarin a décidé que le lundi de Pentecôte perdait son caractère de jour férié. » D’après l’historienne, si le sujet est sensible, c’est parce que « c’est la conception que l’on se fait de ce qui constitue l’essence de notre nation » qui se joue.
Dès lors, difficile de savoir si le jeu en vaut la chandelle. « Est-ce que cela conduirait à un travail de mémoire plus efficace et à une amélioration de la situation des personnes concernées ? Ou, au contraire, à des dissensions et des fractures encore plus dommageables au sein de la société française ? Bien malin qui le dira », s’interroge Jacqueline Lalouette. C’est pourquoi l’historienne suggère plutôt de valoriser davantage les journées nationales, des dates certes non fériées mais déjà existantes.
Parmi elles : le 8 mars, le 10 mai (journée nationale de la mémoire de l’esclavage, qui commémore, chaque année, la reconnaissance de l’esclavage comme crime contre l’humanité par le Parlement en 2001) et le mois de juin (avec les marches des fiertés). « L’abolition de l’esclavage, les droits des femmes et ceux des personnes LGBT+ ont, en réalité, déjà leur place dans le système calendaire », estime Jacqueline Lalouette. Le débat ne semble pas près d’être tranché.
Vous aimez nos articles ? Vous adorerez nos podcasts. Toutes nos séries, à écouter d’urgence ici.
Les Commentaires