Le bleu est la couleur préférée des Occidentaux. Depuis la première guerre mondiale, plus de la moitié de la population rêve en bleu. Les autres couleurs arrivent loin derrière : le vert à moins de 20%, le rouge et le blanc à 8% – alors qu’en Asie, le blanc, le rouge et le noir trônent incontestablement en tête de liste. Quand on pense au bleu, on pense au ciel, à la mer, au rêve, à la douceur, aux vacances, à la paix, à la poésie, à la santé, bref uniquement à des valeurs positives. Le jean nous colle le bleu aux fesses alors qu’on en a déjà plein l’âme. Du coup, l’historien Michel Pastoureau lui a dédié un bouquin passionnant : Bleu – Histoire d’une couleur, chez Points Histoire. Une lecture prenante et pleine de surprises !
Déjà, le bleu n’est pas une couleur « évidente ». Les Latins et les Grecs n’avaient pas de mot spécifique pour décrire cette teinte, leur arc-en-ciel saute du violet au vert (quand il compte plus de trois couleurs !), ils distinguaient plutôt une couleur foncée (inquiétante) ou une couleur claire (moche). Le bleu est réservé aux barbares. Les hommes aux yeux bleus sont efféminés ou ridicules, les femmes sont suspectées de manquer de vertu. Autant dire que pour une couleur aujourd’hui aussi populaire, c’était mal parti.
Il faudra attendre le XIIe siècle pour que le bleu fasse son entrée dans les églises.
Couleur de fond, puis couleur du ciel signifiant l’intervention divine, puis couleur de la Vierge Marie. Les techniques se font plus précises, les tonalités plus lumineuses et riches. L’azur se pointe aussi doucement dans les armoiries européennes : en 1200 seules 5% comportent du bleu, puis 25% en 1300, et 30% en 1400 ! Une progression qu’on retrouve au sommet de la société puisqu’à la fin du XIIe siècle, le roi lui-même porte un écu « azur semé de fleurs de lys d’or ». Cette fois c’est sûr, le bleu est sorti de l’ombre. On le retrouvera plus tard sur la cocarde, sur le drapeau français, sur les uniformes des militaires.
Vers le XVe siècle, gros débat : la couleur peut-elle être chrétienne ? Le bleu est-il austère ou extravagant ? Les protestants se scandalisent en voyant les églises parées de toutes les richesses et de toutes les couleurs : il faut revenir à des choses simples et nues. Une véritable chromophobie s’empare des réformateurs. Ils condamnent les teintes vives et les hommes habillés comme des paons. Exit le rouge et le jaune, notamment. De leurs discussions sortira une nouvelle échelle des couleurs honnêtes et morales : le blanc, le noir, le gris et le bleu seront admis.
Cette fois, rien ne peut plus se mettre en travers de la popularité du bleu. De l’habit militaire au jean des ouvriers, il est partout. Mais Michel Pastoureau n’oublie pas le revers de la médaille :
« Cependant, contrairement à ce que l’on pourrait croire, ce goût prononcé pour le bleu n’est pas l’expression de pulsions ou d’enjeux symboliques particulièrement forts. On a même l’impression que c’est parce qu’ils est symboliquement moins « marqué » que d’autres couleurs (notamment le rouge, le vert, le blanc ou le noir) que le bleu fait l’unanimité. En apporte confirmation le fait qu’il est, dans les enquêtes d’opinion, la couleur la moins suivent citée comme détestée. Il ne choque pas, ne blesse pas, ne révolte pas. De même, être la couleur préférée de plus de la moitié de la population est probablement l’expression d’un potentiel symbolique relativement faible ou, en tout cas, peu violent ni transgressif. Car en définitive, quand nous avouons que notre couleur préférée est le bleu, que révélons-nous vraiment de nous-mêmes ? Rien, ou presque. C’est tellement banal, tellement tiède. »
Pas faux, Michel, pas faux. Et vous, c’est quoi votre couleur préférée ? Maintenant que vous ne pouvez plus répondre bleu, sous peine de passer pour une suiviste manquant d’originalité et de personnalité ?
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Les Commentaires
Mais pour en venir au bleu, c'est bizarre, mais dans mon entourage à moi je n'ai pas l'impression que beaucoup de gens préferent le bleu.
Au fait, j'adore le jaune aussi !