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Le #BikiniGate de Twitch vu par les streameuses : « C’est juste pour critiquer les femmes »

Entre attaques misogynes et volonté d’entre-soi, la plateforme de stream Twitch n’est pas exempte de sexisme. Dernier exemple en date : les streameuses en bikini, accusées de « voler les vues » de leurs confrères et de leurs consœurs…

Ce 21 mai 2021, Twitch annonçait le lancement d’une toute nouvelle catégorie sur sa plateforme, intitulée Piscines, Jacuzzis & Plages. Dans le communiqué, on pouvait lire :

« Être considérée comme sexy par d’autres n’est pas contraire à nos règles, et Twitch ne prendra pas de mesures coercitives contre les femmes, ou quiconque sur notre service, étant perçues comme attirantes. »

Une manière d’éviter les polémiques, mais surtout une fuite des annonceurs, après que certaines créatrices comme Amouranth ont vu leurs financements publicitaires suspendus du jour au lendemain, sans en connaître la raison — mais d’aucuns y ont vu un lien avec la « nudité » sur ses streams, car Amouranth est l’une des streameuses Hot Tub (jacuzzi) les plus populaires…

« Hier j’ai appris que Twitch a suspendu toute publicité sur ma chaîne pour une durée indéterminée.

Twitch ne m’a pas contactée. J’ai dû initier la conversation après avoir remarqué, sans avoir reçu la moindre alerte, que mes revenus de chaîne avaient disparu de mes statistiques. »

Pour comprendre cette nouvelle catégorie, il faut avoir en tête la menace — oui, la MENACE ! — que représentent, selon certains, les streameuses peu vêtues.

Les streameuses en maillot de bain font peur : c’est le #BikiniGate sur Twitch

Depuis quelques mois, un certain type de stream fait trembler Twitch, la plateforme de diffusion en direct de vidéos : des femmes en maillots de bain, installées dans des piscines gonflables ou leurs baignoires. On peut voir dans ces lives (répertoriés jusqu’alors dans la catégorie de discussion JustChatting) des streameuses discuter avec leurs viewers, faire des jeux, ou écrire le nom de certains spectateurs sur leurs corps si ceux-ci payent.

Ces streameuses Hot Tub multiplient les vues, provoquant la foudre de viewers et streamers masculins les accusant de « compétition déloyale » face à d’autres types de contenus. Un déchaînement qui s’accompagne d’insultes sexistes et sexualisantes envers ces streameuses, mais également envers d’autres femmes qui proposent d’autres types de contenus sur la plateforme : certains en viennent à exiger qu’elles aussi fassent des streams en bikini.

Si la majorité de ces streameuses sont américaines ou australiennes, le #BikiniGate a commencé à arriver en France via certains tweets de streamers et streameuses bien de chez nous. MisterMV, l’un des plus gros noms français de Twitch, a ainsi dénoncé les réflexions misogynes autour des streameuses qui « voleraient » des vues.

Du #GamerGate au #BikiniGate, la même histoire de misogynie

Twitch est une plateforme dominée par le contenu lié aux jeux vidéo et à l’esport. Des domaines en proie à beaucoup de sexisme, comme l’explique Leticia Andlauer, chercheuse en sciences de l’information et de la communication :

« C’est un débat qu’on pose depuis les années 1990/2000. Il y a toujours eu un noyau dur d’hommes qui restent dans leur bulle, et qui ne comprennent pas que les jeux vidéo ne sont pas à eux seuls. »

Car bien avant Twitch, en 2014, l’affaire du #GamerGate explose : des femmes critiques de jeux vidéo ou développeuses sont harcelées par des membres de la communauté gaming, et accusées de corrompre le milieu. Leticia Andlaureur se souvient :

« C’est toujours la même problématique : ce sont des hommes qui se sont toujours sentis en marge de la société, et qui ont construit un espace sécuritaire où eux seuls peuvent s’exprimer. »

Résultat : une forme de gatekeeping, c’est-à-dire la volonté de rester dans un entre soi, et d’avoir un droit de regard sur qui rentre ou non dans ce milieu. Autant vous dire que pour les femmes, ça coince toujours.

« Avant les streameuses en bikini, on avait celles qui se faisaient insulter parce qu’on disait qu’elles utilisaient leur décolleté pour avoir des vues »

se souvient Modiiie, streameuse indépendante qui propose du contenu jeux vidéo et des lives sur les sciences sociales. Deetz, qui streame depuis 4 ans sur Twitch, renchérit :

« Il y avait aussi le terme “e-girl” qui revenait beaucoup : des femmes qui ne seraient là que pour l’argent et pour profiter de la naïveté des hommes. Toute cette mise en compétition entre qui fait du “vrai contenu” ou non… C’est juste pour critiquer les femmes. »

Selon Modiiie, il y a une claire continuité entre les streameuses en bikini et l’affaire du GamerGate :

« Les gens qui se positionnent sur le sujet sont majoritairement des streamers jeu vidéo qui disent que ça vient salir non pas juste l’image des femmes, mais aussi salir la plateforme ; qui disent qu’on ne devrait pas y voir ce type de contenu-là… C’est une idée un peu puriste. »

Avec ou sans bikini, les streameuses sont sexualisées

Cette accusation de « voler » des vues à leurs confrères masculins, cette manière de hiérarchiser ce qui serait du « vrai contenu » ou non, « c’est un déplacement de la figure de la meuf vénale : il faut tout le temps prouver qu’on a des compétences et un vrai intérêt », soupire Deetz. Une manière d’exclure les femmes, ou de les comparer entre elles.

« Depuis que j’ai commencé à streamer, peu importe ce que j’ai fait, j’ai reçu des commentaires sexualisants. Ça ne touche pas juste les streameuses en bikini, c’est une attitude envers toutes les femmes. »

C’est ce que confie à Madmoizelle SpoopyKitt, une de ces streameuses Hot Tub. Sur Twitch, elle discute avec sa communauté, fait du hula hoop ou du cosplay. Avec plus de 71.000 followers, la vidéaste analyse la polémique comme une marque de jalousie et de volonté de contrôle :

« Ils se sentent menacés par des femmes, donc ils utilisent la morale et la honte pour les remettre à leur place au lieu d’améliorer la qualité de leur propre contenu. »

Leticia Andlauer fait des liens avec d’autres secteurs, comme la musique.

« On va râler contre Nicki Minaj en disant qu’il n’y a aucune qualité musicale, qu’elle montre juste ses fesses pour vendre… On a les mêmes questionnements, avec l’idée que si une femme montre ses fesses, ce n’est pas de la qualité. »

Ethotti, apprentie tatoueuse et streameuse, qui fait des lives depuis son jacuzzi, rappelle qu’il ne suffit pas d’enfiler en bikini et d’allumer sa webcam : « je ne vais pas nier que c’est plus facile en tant que femme dans un jacuzzi, mais garder des spectateurs, ça demande aussi de la personnalité, des efforts et d’avoir la peau dure. »

Vous le savez pourtant, le secteur du jeu vidéo n’est pas exempt de figures sexualisées — notamment dans ses personnages féminins… Ce qui gêne, selon Leticia Andlauer, ce n’est pas tant la sensualité : c’est que ces femmes s’approprient ce médium, et qu’elles décident ce qu’elles ont envie de montrer.

« Trasher ces streameuses, c’est la porte ouverte à trasher des meufs parce que ce sont des meufs »

Alors que la polémique enfle sur Twitter, Modiiie et Deetz, présentes depuis plusieurs années sur Twitch et membres du collectif Among Meufs, ont organisé le jeudi 20 mai un live avec plusieurs autres streameuses. L’idée ? Parler du sexisme et du slut-shaming qu’elles vivent, car cette affaire de Hot Tub n’est que le bout de l’échelle.

Modiiie explique à Madmoizelle :

« L’idée, c’était de se servir de la polémique pour dire : en fait, vous portez la focale là-dessus, mais il y a tout un continuum de violences sexistes et misogynes sur la plateforme qui sont complètement invisibles. Trasher ces streameuses-là, c’est une porte ouverte à trasher des meufs parce que ce sont des meufs, juste parce qu’elles font du contenu. »

Les attaques misogynes ne sont pas un signe qu’on n’aime pas un stream : c’est une délégitimation du contenu produit par les femmes sur la plateforme. Car si Twitch entend réduire les attaques sexistes, les streameuses se retrouvent souvent seules, et les règles de ce qui peut être monté ou non restent assez floues. SpoopyKitt explique à quel point il est complexe de savoir sur quel terrain jouer :

« Twitch doit jouer avec le fait qu’il y a des utilisateurs de tout âge et des annonceurs ; ils ont le dernier mot sur ce qui doit et ne doit pas être autorisé sur la plateforme. Mais adhérer aux règles n’empêche ni les critiques ni la déshumanisation que l’on subit en tant que femme… »

Pour autant, cette nouvelle catégorisation permet-elle de régler le problème ? Deetz pose un regard lucide sur le sujet :

« Selon moi, la catégorie permet de valider une bonne fois pour toutes ce type de contenu sur la plateforme. Et pour Twitch, c’est aussi économique : en se positionnant du côté des streameuses, ils les gardent sur leur plateforme et continuent de profiter des revenus qu’elles génèrent. »

En espérant que cette nouvelle catégorie ne devienne pas une cible pour les trolls et les harceleurs en tous genres, et que le monde accepte un jour, une bonne fois pour toutes, que les femmes font ce qu’elles veulent, avec ou sans piscine gonflable dans leur salon.

Suivez Madmoizelle sur Twitch

À lire aussi : Comment les streameuses francophones se soutiennent sur Twitch


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Les Commentaires

1
Avatar de Myrtille Desbois
27 mai 2021 à 02h05
Myrtille Desbois
"Un déchaînement qui s’accompagne d’insultes sexistes et sexualisantes envers ces streameuses, mais également envers d’autres femmes qui proposent d’autres types de contenus sur la plateforme : certains en viennent à exiger qu’elles aussi fassent des streams en bikini." Je trouve que ce passage montre bien le paradoxe : si on se montre dénudées, on fait de la concurrence déloyale, mais si on fait le même genre de contenu que les hommes, on n'est bonnes qu'à se déshabiller. En gros on est toujours perdantes
Merci pour cet article en tout cas, vachement intéressant
7
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