Mathilde et Lou sont étudiantes, mais pas seulement. Elles sont aussi entrepreneuses.
Mathilde et Lou ont la passion de l’entrepreneuriat social chevillée au corps, et ça rayonne lorsqu’elles se mettent à expliquer ce qu’elles font.
Ça fait un moment que je connais leur projet : Le Baba, un food market dont les stands sont tenus par des cuisiniers et cuisinières exilé•es, expatrié•es, réfugié•es.
Et si je décide de vous en parler aujourd’hui, c’est d’abord parce que j’ai attendu qu’il grandisse un peu, ensuite parce qu’elles lancent un crowdfunding, et aussi parce que ce sont deux jeunes femmes qui entreprennent et que mine de rien : il n’y en a pas tant que ça.
Voilà Lou (à gauche) et Mathilde (à droite), après avoir remporté un fond d’amorçage pour lancer leur projet !
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La cuisine, facteur d’intégration ?
Le Baba, c’est donc un food market qui vise à créer du lien entre ces personnes réfugiées qui ont un véritable talent culinaire et les habitants d’une ville.
En gros, l’idée est d’utiliser la cuisine comme facteur d’intégration (et c’est d’ailleurs en travaillant sur ce sujet pour le journal CrossWorlds que je les ai rencontrées).
Le concept de food market m’est familié, et ce n’est pas pour rien : je l’ai découvert à Johannesburg pendant mon année d’échange, exactement comme Lou et Mathilde qui ont été inspirées par ceux du Cap.
« On a constaté que c’était l’un des rares endroits où les sud-africains se mélangeaient. »
Alors les voilà parties pour créer ce qu’elles appellent en français un « marché-cantine » : un lieu où sur différents stands, on trouvera des plats originaux cuisinés par des chef•fes réfugié•es.
Le Baba, à quoi ça va ressembler ?
Pour l’heure, elles ont surtout participé à des événements dans le cadre desquels on leur a prêté une cuisine, mais c’est justement le but de leur crowdfunding : réunir entres autres de quoi pouvoir élaborer un prototype de stand innovant qu’elles pourront établir à Paris, à proximité d’une cuisine qui leur appartiendra.
« On ne veut pas que ça soit un food market standard, on veut créer des stands où le chef soit au milieu, que les gens puissent s’asseoir autour de lui, discuter.
Il faut un modèle conviviale et modulable : on ne sera jamais une usine, même s’il faut faire tourner la baraque. »
Elles comptent s’inspirer des stands que l’on trouve par exemple sur la place Jemaa El Fna au Maroc, comme vous pouvez en apercevoir à 1:12 de cette vidéo :
Et pour créer ce lien, les stands et les barquettes eco-responsables – car consignées – seront aussi fourni•es en infos sur l’histoire de la personne qui y cuisine, sur les plats.
Qui est derrière les fourneaux du Baba ?
En effet, les histoires des chef•fes sont variables, même si elles sont souvent compliquées.
« On travaille avec des publics de plus en plus en difficulté, des gens qui ont un passé difficile mais qui ont la niaque.
Ils ont toujours un statut de réfugié, car on ne peut pas risquer de les mettre et de nous mettre en difficulté pour travail dissimulé, d’autant plus qu’une fois que c’est marqué dans leur dossier il y a beaucoup moins de chances de se voir accorder le statut.
Après, il ne faut pas rêver : l’obtention du statut est souvent une grosse désillusion car ça ne permet pas de se débarrasser de tous les problèmes. »
Un environnement multiculturel
Il y a par exemple Souad, Malika, Eden qui cuisinent éthiopien, malien, algérien. Lou et Mathilde les ont rencontré•es en travaillant en collaboration avec d’autres associations, en particulier avec Aurore.
Une partie de l’équipe, avec entre autre Marie à gauche, Eden, cheffe érythréenne au milieu, Rustam, chef afghan à sa droite, et Clément tout à droite.
« Dernièrement par exemple on a rencontré un chef soudanais, mais il ne parle pas vraiment français ni anglais, donc on essaie de communiquer en arabe.
C’est compliqué car il faut à la fois être dans l’empathie, et en même temps que les rôles soient définis : il y a des règles d’hygiène et sécurité à respecter, ils ne peuvent pas faire ce qu’ils veulent. »
Parmi eux, il y a aussi Massoud. Massoud, je le connais un peu pour avoir travailler avec lui : c’est un chef Afghan très talentueux qui n’a jamais avoué à sa mère qu’en France, il cuisine.
C’est lui que vous pouvez voir aux fourneaux, avec entre autres Mathilde et Lou au début de cette vidéo :
Massoud cuisine « pour garder le goût du pays » : ses aubergines au yaourt divines, il les prépare « pour le partage, pas pour l’argent ». C’est d’ailleurs un sujet de discussion houleux récurrent avec lui, qui est aussi révélateur des enjeux du travail dans un contexte multiculturel :
« Pour le payer, c’est toujours la croix et la bannière, il dit que nous les français on est trop intéressés par l’argent. Mais l’idée, c’est quand même qu’à termes on voudrait tous être rémunéré•es pour faire vivre ce projet ! »
Lou et Mathilde aiment ce type de défi, mais admettent que c’est parfois compliqué, notamment en tant que femmes :
« Pour nous, c’est plus facile de travailler avec des femmes, justement parce qu’on est des femmes : avec certains, je pense par exemple à un autre chef afghan avec lequel on a essayé de travailler, c’était compliqué d’avoir une autorité, une crédibilité.
On a parfois du mal à être prises au sérieux, peut-être aussi à cause de notre âge mais c’est une grosse part de culture. »
Femmes & entrepreneuses sociales, c’est difficile ?
Et ce statut de jeune femme, est-ce que ça leur pose problème dans le monde de l’entreprenariat social en général ?
« Pas vraiment ici, mais c’est parce qu’en France c’est un microcosme, il y a une vraie histoire derrière l’entreprenariat social, qui aujourd’hui tend vers l’innovation », explique Mathilde.
Lou complète : « Aux Etats-Unis, c’est autre chose, ils sont très axés innovation, et ils se tournent aujourd’hui vers le social. Là-bas, ça sera plus compliqué pour nous car il y a vraiment peu de jeunes femmes. »
Si elles me parlent des Etats-Unis, c’est parce qu’elles réfléchissent aux moyens d’aller y faire un MBA, pour compléter leur formation :
« L’autre jour j’étais à une réunion d’information pour Stanford, j’étais la seule jeune femme. Mais cette formation en commerce, je pense qu’elle est indispensable, et l’axe innovation des Etats-Unis m’intéresse vraiment. »
Se lancer dans l’entreprenariat, c’est en effet prendre des risques. Le milieu des start-up, selon Lou qui est en stage dans un incubateur en parallèle, « c’est 90% d’échec, c’est très compétitif ».
« On ne peut pas juste arriver en disant « j’ai eu une super idée » : les mecs qui font ça, au bout de six mois ils se prennent la réalité en face. Non, il faut avoir les outils, une méthodologie. »
Et pour le moment, leur formation à Sciences Po en Affaire publiques pour l’une et en Affaires internationales pour l’autre ne suffisent pas selon elle.
L’actualité du Baba
Lou et Mathilde doivent donc gérer leur 3 vies en parallèle : études, stages, création d’entreprise. Et c’est sans compter sur le reste.
C’est pour ça qu’elles ont recruté une équipe pour les aider : en plus de Marie, Clément et Oum qui les épaulaient déjà cette année, une dizaine de personnes vont venir compléter la bande comme l’explique Mathilde :
« Il faut apprendre à déléguer, c’est pas facile, mais c’est pas possible autrement. D’autant plus que je vais être à Bruxelles à partir de septembre, et qu’ensuite Lou aura aussi un stage. »
Pour l’été, elles se concentrent sur la consolidation de leurs acquis, et le crowdfunding qui servira outre à imaginer le protype de stands, à produire les barquettes éco-responsables et à former les chef•fes aux normes d’hygiène et sécurité.
Car c’est aussi ça l’idée : faire monter en compétence des gens déjà talentueux !
Prochain rendez-vous en septembre, au festival Culture au Quai : si vous passez à Paris à ce moment là, je ne peux que vous conseiller d’aller y trouver des merveilles sur les quelques stands estampillés Le Baba que vous y croiserez !
Où retrouver le Baba ?
- Sur leur page Facebook
- Sur leur Crowdfunding : il ne leur reste pas grand chose pour atteindre le premier pallier, mais il en existe un deuxième grâce auquel elles pourront grandir encore plus vite !
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