Mise à jour du 14 novembre 2020 : Bonne nouvelle pour les futurs parents ! Le Sénat a finalement voté sans modification le texte adopté par l’Assemblée nationale prévoyant l’allongement du congé paternité de 14 à 28 jours. La mesure doit entrer en vigueur le 1er juillet 2021. Preuve que les arguments d’une partie des sénateurs de droite que je déconstruisais dans l’article ci-dessous n’ont pas convaincu. Le monde change, et ça fait du bien !
Initialement publié le 10 novembre 2020.
Vous vous en souvenez peut-être, fin septembre, nous nous réjouissions sur Rockie de l’allongement du congé paternité ! Actuellement de 14 jours, un projet de loi prévoyant de le faire passer à 28 jours, dont sept obligatoires, avait été largement approuvé à l’Assemblée nationale.
Cela reste insuffisant selon de nombreuses militantes féministes, mais c’est déjà un bon début. Sauf que ce texte doit maintenant être débattu au Sénat, et que des sénateurs de droite ont déjà déposé des amendements pour détricoter la mesure.
Ils et elles, car il y a des femmes signataires de ces amendements, proposent de supprimer l’obligation de prendre sept jours de congés au moment de la naissance et de n’accorder cet allongement du congé paternité (ou second parent) qu’aux salariés en CDI ou CDD depuis plus de six mois dans la même entreprise.
Leurs arguments — en plus de ne pas tenir la route — m’ont mise très en colère.
« Le congé paternité obligatoire c’est compliqué pour les petites entreprises »
Le premier argument avancé, c’est que le congé obligatoire (de sept jours seulement, on le rappelle !) peut être « compliqué à mettre en œuvre dans certaines entreprises, notamment les TPE et PME ».
De fait, le jour précis de la naissance n’est pas connu à l’avance (sauf en cas de déclenchement ou césarienne programmée), et dans les entreprises qui comptent peu de salariés, il peut être compliqué de remplacer quelqu’un au pied levé.
Mais c’est déjà le cas lorsqu’un salarié tombe malade ou se casse la jambe, non ? Faut-il pour autant les priver d’arrêt maladie ? Et dans le cas d’une naissance, on a quand même neuf mois pour s’y préparer et une vague idée de la période où l’on aura besoin de renforts…
En outre, un congé paternité allongé ne permet pas seulement aux pères (ou seconds parents) de nouer un lien avec leur bébé, il est aussi bénéfique pour la santé physique et mentale des personnes qui viennent d’accoucher.
Être deux adultes à la maison, ce n’est pas du luxe, c’est vital
Petit rappel pour les sénateurs : sept jours après la naissance, on est encore épuisées par l’accouchement (qui correspond à la dépense calorique d’un marathon, on ne le dira jamais assez), on a souvent des hématomes, des hémorroïdes et des points qui cicatrisent au niveau du vagin. On saigne en continu et on peut même avoir du mal à se lever sans souffrir et à porter son nourrisson lorsqu’on a eu une césarienne.
En plus, on se débat avec ses doutes et ses angoisses de jeune parent : « Est-ce que c’est normal qu’il fasse ce bruit en respirant ? Est-ce qu’il mange assez ? Pourquoi pleure-t-il toujours en fin de journée ? »
Bref, être deux pour apprivoiser ce petit être qui vient de naître, ce n’est pas du luxe. C’est vital.
Avoir un autre adulte à la maison sur une longue période (pas sept jours hein, on parle plutôt de plusieurs mois) pourrait même permettre d’éviter certains drames, comme des dépressions post-partum
ou des suicides, le premier motif de mortalité maternelle dans l’année suivant une naissance.
« Certains pères n’ont pas envie d’un congé paternité obligatoire »
Alors oui, l’allongement du congé paternité (ou second parent) va coûter un peu d’argent, mais on parle de problématiques importantes de santé publique. Alors, tout de suite ça remet un peu les choses en perspective, hein ?
Continuons tout de même à examiner les arguments des Républicains opposés à ces sept jours obligatoires, comme la sénatrice Chantal Deseyne interviewée par Le Parisien.
« À titre personnel, je trouve ça bien que les pères prennent ce congé, mais il n’y aura aucun bénéfice si c’est imposé. Certains pères sont très disposés à donner du temps à leurs enfants qui viennent de naître, d’autres n’en ont pas envie. »
OK, il est possible que certains jeunes pères n’aient pas envie de prendre un congé de sept jours pour être avec leur famille, mais ils sont clairement une minorité. En effet, selon un sondage datant de mars 2020, sept hommes de moins de 35 ans sur dix se disaient favorables à un congé paternité obligatoire de six semaines.
Alors peut-être que pour ces sénateurs d’une autre génération (la moyenne d’âge au Sénat est de 61 ans), c’est difficilement concevable, mais oui, la majorité des futurs pères sont prêts à assumer leur rôle.
Et même parmi les quelques hommes qui ne souhaitent pas que ce congé soit obligatoire, combien en tirerait finalement un bénéfice ? Combien découvriraient qu’ils apprécient en réalité passer du temps avec leur bébé ?
Savoir changer une couche, ce n’est pas fourni avec la carte d’adhésion au club des mères
On a tellement tendance à associer encore le fait de prendre soin d’un nourrisson aux femmes, qu’il est possible que certains hommes se sentent démunis, voire apeurés à l’idée de s’occuper de leur bébé. Mais savoir changer une couche n’est ni inscrit dans les chromosomes XX, ni fourni avec la carte d’adhésion au club des mères. Non, cela s’apprend tout simplement.
Et plus on passe du temps avec un bébé, plus on le connaît et mieux on décrypte ses besoins.
Examinons enfin le dernier argument — et le plus rageant selon moi : l’allongement du congé paternité risquerait de provoquer « une nouvelle forme de discrimination à l’embauche pour les nouveaux pères salariés de l’entreprise ». Il vaudrait donc mieux, selon les sénateurs, limiter cette mesure aux pères en CDI ou en CDD depuis plus de six mois dans la même entreprise.
Du coup, je ne suis pas sûre de comprendre… Pour éviter des discriminations, il faudrait en créer une nouvelle en privant les salariés les plus précaires d’un nouveau droit ?
Aujourd’hui, un tiers des pères ne prennent pas leur congé paternité. Mais quand on se penche sur le détail des chiffres, on voit que seulement 48% des salariés en CDD y ont recours, contre 80% des personnes en CDI. Elle est là, la vraie injustice.
Aujourd’hui, les parents les plus favorisés en contrat stable et bien rémunérés ont les moyens de poser des congés supplémentaires, voire de poser des jours sans solde après la naissance. Pour les autres, le sacrifice ou le risque à courir est trop grand, même s’ils meurent d’envie d’être présents pour leur famille.
Les choses ne changeront que si le congé paternité devient obligatoire, car l’employeur ne pourra alors pas reprocher au salarié de vouloir prendre un congé, en mettant par exemple dans la balance le non-renouvellement de son contrat.
Bien sûr, il y a un risque que certains employeurs rechignent désormais à embaucher des hommes en âge d’être pères. Mais comme ils rechignaient déjà à embaucher des femmes en âge d’être mères, peut-être qu’ils vont finir par se rendre compte qu’ils sont un peu à court de main d’œuvre ?
C’est d’ailleurs un des arguments des militantes féministes en faveur de l’allongement du congé paternité : il permettrait à terme une meilleure égalité femmes-hommes sur le marché du travail, avec la création d’un « risque parentalité » pour l’employeur, plutôt qu’un unique « risque maternité ».
Merci donc aux sénateurs et sénatrices de ne pas utiliser des arguments à côté de la plaque pour empêcher les parents de prendre soin de leurs bébés. Les premiers mois d’un nourrisson sont déjà suffisamment éprouvants pour qu’on n’ait pas à y faire face seuls.
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