En 2014, je poussais innocemment la porte d’une petite salle de cinéma de la place de Clichy quand la pluie s’est mise à tomber lourdement.
En me réfugiant vite à l’intérieur, je constatais que plusieurs hommes et femmes sortaient de la salle en pleurs.
Les yeux bouffis et la goutte au nez, ils raclaient bruyamment leur gorge pour pouvoir débriefer. Quand les voix se sont élevées, j’ai fait le silence dans ma tête.
Il était hors de question qu’un spectateur ruine mon expérience en spoilant quoi que ce soit.
Toutefois, leurs regards humides m’interpellaient. Ce film était-il si bouleversant que ça ?
Il avait très bonne presse, mais personne n’avait précisé, du moins parmi mes critiques préférés, qu’il arrachait autant de larmes !
L’excitation est donc montée très vite. J’allais peut-être assister à un long-métrage complètement dingue, qui me roulerait dessus, m’écraserait de son poids.
Ce jour là, j’allais voir Mommy, et j’avais raison.
Tout ça pour dire qu’en sortant, j’ai ressenti le besoin immédiat de revoir tous les films de Dolan. Tom à la ferme, je ne l’avais vu qu’une fois et l’ai redécouvert avec plaisir.
Les amours imaginaires, pareil.
Et en continuant d’explorer sa filmographie, une chose me frappait : je n’avais jamais vu Laurence Anyways.
En moins de temps qu’il faut pour le dire, je filais à la FNAC pour me procurer l’objet du désir…
Laurence Anyways, de quoi ça parle ?
Laurence et moi, on a eu un coup de coeur immédiat l’un pour l’autre. Un coup de foudre, même.
Pourtant Laurence Anyways, c’est l’histoire d’un amour contrarié. Le jour de ses trente ans, Laurence fait une révélation à Fred, dont il est très amoureux.
Une déclaration qui va changer le cours de leur vie, et révolutionner leur manière de s’aimer…
On est en 1990, et Laurence est une femme. Dans son cœur, dans ses tripes, dans sa tête. Pas dans son état civil, par contre.
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Envers et contre tout, Laurence et Fred vont s’aimer. En dépit d’une société qui a du mal à évoluer, et malgré les préjugés de leur entourage, les amantes avancent.
Plus qu’un film, Laurence Anyways est une leçon d’amour.
Dans Laurence Anyways, Xavier Dolan s’empare d’un sujet délicat à traiter et le transforme, en quelques coups de caméra, en essai sur la délicatesse.
Laurence Anyways récompensé à Cannes
Présenté à Un Certain regard, une section dérivée de la sélection officielle du Festival de Cannes en 2012, le film repart avec une Queer Palm.
Qu’est-ce donc que la Queer Palm ?
Il s’agit tout simplement d’un prix qui récompense le meilleur film à thématiques altersexuelles (qui regroupent l’homosexualité, la bisexualité, le transidentité…), et qui a a été créé en 2010 par le journaliste Franck Finance-Madureira.
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En 2010, c’est Kaboum qui avait hérité du trophée. Quant à la Queer Palm 2011, elle avait été décernée à Beauty, de Oliver Hermanus !
Laurence Anyways, la palme de la controverse
Toutefois, Xavier Dolan a refusé cette récompense.
Pourquoi ? Parce que pour lui cette distinction est un marqueur d’exclusion. Il a même confié à Télérama en 2014 :
« Que de tels prix existent me dégoûte. Quel progrès y a-t-il à décerner des récompenses aussi « ghettoïsantes », aussi « ostracisantes », qui clament que les films tournés par des gays sont des films gays ?
On divise avec ces catégories. On fragmente le monde en petites communautés étanches. »
Et d’ajouter :
« La Queer Palm, je ne suis pas allé la chercher. Ils veulent toujours me la remettre. Jamais ! L’homosexualité, il peut y en avoir dans mes films comme il peut ne pas y en avoir. »
Il a ensuite essuyé beaucoup de réflexions empreintes de colère, de la part d’une partie de la communauté LGBT qui ne comprenait pas ses propos et sa décision. Le réalisateur s’est expliqué, sur le plateau d’On n’est pas couché.
Il précisait que ces distinctions ne permettaient que de séculariser les films « marginaux ».
Finalement, les tensions se sont apaisées, et Laurence Anyways reste un petit bijou de cinéma, aussi admiré qu’admirable.
Laurence Anyways, un film inspiré
Xavier Dolan puise son inspiration dans tous les arts. Pour Laurence Anyways, il est allé la piocher dans des revues de mode.
D’elles, il a tiré ses idées de costumes. Il a également été influencé par le style de trois films majeurs : Le Silence des Agneaux, Titanic, et Un tramway nommé désir (qui décidément inspire le cinéma moderne).
Des choix d’autant plus étonnant qu’ils sont quand même très éclectiques.
De plus, le cinéma du réalisateur canadien est grandement influencé par la photographie, notamment celle de Nan Goldin.
Nan Goldin est une femme talentueuse et photographe émérite qui excelle dans sa spécialité : capturer des instants de vie de sa famille. Son travail est toujours un peu le même, bien qu’il évolue.
La famille, c’est un sujet toujours central dans le cinéma de Dolan. Ceci explique donc cela.
Laurence Anyways nait d’une idée fulgurante
C’est en 2009, en plein tournage de son chef-d’oeuvre J’ai tué ma mère que le très jeune cinéaste a une fulgurance.
Alors qu’il discutait avec ses techniciens, une femme est arrivée et leur a raconté une histoire. La sienne. Celle d’une femme amoureuse de ce qu’elle croyait être un homme, alors qu’il s’agissait d’une femme trans n’ayant pas fait son coming-out.
Xavier Dolan raconte :
« Je suis rentré ce soir-là et j’ai écrit trente pages. Je connaissais le titre du film, et la fin, aussi. Tout s’est dessiné très rapidement, mais écrit lentement. »
Et juste comme ça, un chef-d’œuvre est né. D’une simple rencontre.
Un casting éblouissant pour Laurence Anyways
Pour la seconde fois, l’actrice Suzanne Clément rejoint un projet de Dolan. Les deux amis avaient déjà collaboré sur J’ai tué ma mère, dans lequel elle incarnait un professeur d’éducation artistique.
À l’aise devant la caméra du cinéaste, l’actrice déploie tout son talent pour la comédie. Une performance aussi bluffante que celle de son conjoint à l’écran, campé par Melvil Poupaud.
Un casting lumineux !
Voilà ma bonne dame, c’est tout pour aujourd’hui. Je te laisse savourer cette lettre d’amour qui tombe à pic, en pleine semaine de Saint Valentin !
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