C’est la première fois que la candidate FN est véritablement mise face à ses contradictions. Hier après-midi, dans l’émission Dimanche Plus, Anne-Sophie Lapix a réussi ce que beaucoup ont appelé « une prouesse journalistique » : la journaliste a réussi à faire monter la candidate FN sur ses grands chevaux.
Pour qui exige des médias qu’ils soient un contre-pouvoir, la terminologie « prouesse » suscitera un sentiment d’amertume. N’est prouesse que chose qui survient rarement et difficilement – et il est bien attristant, le constat que les journalistes sont de plus en plus nombreux à 1. servir la soupe à leurs invités politiques, 2. singer un semblant de débat pour le plaisir visuel (de surface) du téléspectateur (fatigué).
Qu’on se le dise : un journaliste qui arrive à mettre le doigt sur les ambiguïtés de son invité politique, c’est rare (et on appelle tristement « moment de télé » ce qui devrait être un « devoir de démocratie »). Mais quand l’invité politique est Marine Le Pen, l’épithète rare devient l’expression « à la Saint Glin-Glin » tant la candidate a su s’armer d’un discours en tous points bien rodé.
N’empêche que, toutes dissertations sur « de l’impossibilité d’avoir une confrontation des idées pure et parfaite à la télé » mises de côté, Anne-Sophie Lapix a été surprenante hier. Je le concède à quiconque a été bluffé par sa prestation, et pour les autres, je vous invite à revoir ce « moment de télé » (je plaisante).
Là où ses collègues se sont illustrés, par le passé, à 1. ne pas maîtriser leurs sujets au point de pousser les invités dans leurs retranchements, 2. laisser leurs émissions devenir des tribunes politiques où tout postulat populiste est servi (à l’heure du souper, pour être encore plus cynique) sur un plateau d’argent aux téléspectateurs, 3. refuser la confrontation, par peur de ne pas gagner la bataille rhétorique…
… Anne-Sophie Lapix, elle, a réussi à mettre Marine Le Pen face à ses contradictions. Chose que le PAF ne nous avait encore jamais donné à voir.
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L’électoralisme en dépit du réalisme
Sur le revenu familial : l’ex-présentatrice du grand journal de LCI a réussi à « faire avouer » la candidate du FN que sa proposition avait été antérieure à la vérification de sa faisabilité. Mettre la charrue avant les boeufs, dirait la France d’en bas. Jouer le jeu du populisme, dirait la France d’en haut. Promettre sans être sûr de rien, dirait la démocratie.
Le sophisme de la suppression des allocations familiales
Sur la suppression des allocations familiales des étrangers (soit dit-en passant, mon moment préféré) : Lapix parvient à mettre le doigt sur la confusion des concepts, et voilà qu’ils deviennent des tapis sur lesquels Marine Le Pen trébuche désormais, puisque la candidate concède le droit du sol, avant de plonger la tête la première dans l’écueil de l’ambiguïté de son raisonnement. En effet, les enfants « nés en France donc français » jouissent des mêmes droits que tout le monde, mais le FN veut retirer les allocations familiales à leurs parents. Sauf que : à qui profite les allocations familiales ? Aux parents étrangers ou aux enfants devenus français ? Aux seconds, si l’on en croit le principe républicain. Dès lors, que reste t-il à Marine Le Pen pour justifier ce raisonnement frontiste qui se mord la queue ? Ah, le beau sophisme.
La défensive
Passons outre les lacunes en calcul, le flou des terminologies usitées, les tentatives de digressions de la candidate : l’acmé de cette séquence télé est aussi délectable et ahurissante qu’un déjeuner dans une brasserie populaire (disons le Fouquet’s) et sa note :
Malmenée par les incohérences de son discours et déstabilisée par une journaliste qui met les pieds dans le plat, Marine Le Pen n’a plus que l’attaque sur la défensive dans son archer : « puisque vous êtes une grande économiste ! » lance t-elle.
« Une grande économiste » ou une journaliste « bien renseignée et qui ne se laisse pas faire », autrement dit – excusez moi d’y revenir, mais j’y tiens – rien de moins que ce que l’on attend d’un journaliste ? Après le sophisme, voici le pléonasme. Et voilà que le journaliste bien consciencieux est taxé, que dis-je, traité, de spécialiste. En ces temps de médiocrité, le sérieux deviendrait t-il une qualité extraordinaire ?
Bref.
Ça ne donnera pas une raison à Serge Halimi de ravaler son livre Les Nouveaux Chiens de Garde, ni à Guy Debord de se retourner dans sa tombe, drapé de sa Société du Spectacle, mais en attendant : Anne-Sophie Lapix montre par a + b que les timings serrés en antenne et les prompteurs ne forcent en rien les courbettes aux invités.
Journalisme éclairé ou journalisme de révérence ? À petite échelle, travailleurs de l’information et public peuvent forcer le choix. Vous avez le droit à de vrais débats, pas à des face-à-faces dont la subversivité n’excède pas celle de haricots verts en boîte ou de yaourt nature.
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Les Commentaires
Je suis d'accord avec toi. Quand j'ai vu l'article, je ne me suis pas trop posé de questions, je partais en cours et je me suis dit "il faut que je le mette sur MadZ sinon je vais oublier!". Dans les commentaires un peu plus bas, il y a un certain "Matthieu des bois", qui résume plutôt bien la situation