C’est une réalité qui fait froid dans le dos. Jeudi 30 mars, Libération a révélé, dans une longue enquête publiée sur son site internet, les témoignages de vingt collaborateurs ou assistants d’Antoine Vey, avocat et ancien associé d’Éric Dupond-Moretti avant que celui-ci ne devienne garde des Sceaux, un professionnel « sophistiqué » et « adoubé » par l’ancien tel que le décrit Libération.
Ces personnes ont toutes travaillé aux côtés de l’avocat, sur une période de temps s’étalant sur presque dix ans, de 2014 à aujourd’hui. Certaines ne se sont pas côtoyées, mais relatent toutes un même quotidien, rythmé par des missions absconses, du harcèlement, de l’humiliation ou encore des horaires de travail à rallonge.
« Corvéables à merci »
Parmi les accusations les plus récurrentes faites à l’égard d’Antoine Vey, une surcharge de travail permanente, l’impression d’être « corvéables à merci », comme le révèlent plusieurs personnes.
Certaines d’entre elles rapportent, par exemple, effectuer près de 70 à 80 heures de travail chaque semaine. Plusieurs autres relatent des appels téléphoniques et sms à toute heure du jour ou de la nuit, le week-end ou encore, voire davantage, lors de ses congés.
Tous ou presque font état de petites phrases lors de l’entretien d’embauche, posant le cadre d’une collaboration qui ne devrait connaître aucun équilibre entre vie personnelle et professionnelle : « Entre être avocat ou en vacances, il faut choisir », « je vous veux disponible en toutes circonstances », ou encore « le droit à la déconnexion n’est pas inscrit dans la loi, or un droit qui n’est pas dans la loi n’existe pas » sont des petites phrases qui ne laissent aucun doute sur le fait qu’Antoine Vey attend un dévouement total de la part de ceux et celles qu’il recrute.
Parmi les témoignages révélés par Libération, une collaboratrice ayant travaillé avec l’avocat rapporte : « Lorsqu’il veut quelque chose, il faut s’exécuter en moins de cinq minutes la semaine, et en moins d’une heure le week-end, sinon on s’expose à des soufflantes ».
Discriminations lors de congés maternité
À une femme qui a travaillé avec lui, l’avocat lance aussi : « Je ne peux pas trop t’augmenter parce que le jour où tu seras enceinte, ça va me coûter cher. »
Une autre, alors en congé maternité, voit tout son bureau entièrement vidé, sans qu’elle n’en ait été informée au préalable.
Un autre témoin rapporte aussi que l’avocat se plaisait à répéter : « Une bonne avocate se mesure à la façon dont elle gère son congé maternité ».
Harcèlement sexuel
D’après Libération, la procédure en cours au niveau de l’Ordre des avocats de Paris aurait aussi émanée de signalements adressés par plusieurs femmes à la commission spécialisée dans le harcèlement et les discriminations (Comhadis) de l’Ordre.
« Une dizaine de personnes y ont déjà décrit des faits qui pourraient s’apparenter à du harcèlement moral et sexuel » rapporte le quotidien. Certaines femmes envisagent aussi d’engager prochainement une action pénale contre l’avocat.
Parmi les témoignages recueillis, d’anciens salariés mettent en lumière une théorie avancée par eux, celles de la « favorite ». Pendant longtemps, Antoine Vey recrutait une majorité de femmes. Certaines d’entre elles ont eu à subir, parfois durant de longs mois, des comportements problématiques.
En audience, une collaboratrice recevait des textos non équivoques : « je ne te manque pas trop ? ». Une ex-collaboratrice s’est aussi vu imposer des mains sur les cuisses et des propos déplacés : « On voit bien tes jambes » ou encore, « ce confrère, tu coucherais avec lui ? » mais aussi, « et si je te mettais la main aux fesses, ton mec il ferait quoi ? ».
Par conséquent, de nombreuses femmes redoutaient de se retrouver seules avec lui lors de déplacements.
Emprise et humiliations
Mais plusieurs collaborateurs décrivent aussi un mécanisme d’emprise, ponctué d’humiliations récurrentes de certaines personnes : « On est face à quelqu’un qui exerce une emprise pathologique sur ses collabs. Il ne veut pas travailler avec eux, il veut les contrôler, disposer de leur temps comme bon lui semble. Je dirais presque les posséder. »
Une autre théorie, amenée par ses collaborateurs et collaboratrices, avait cours, celle de « l’élastique » : concrètement, c’était une façon d’illustrer la manière avec laquelle, pendant parfois plusieurs semaines, Antoine Vey pouvait « cibler » une personne en particulier, le dénigrant de façon appuyée, avant de se montrer élogieux au moment où il sentait la « cassure » se rapprocher.
Sous la pression et le stress, une avocate n’aurait pas eu ses règles durant six mois. Une autre a perdu 6 kilos en l’espace de quelques mois.
Manque de professionnalisme
Enfin, l’enquête de Libération met au jour des critiques à l’égard de la gestion et de la préparation de gros dossiers, comme celui des époux Balkany ou de l’affaire Air Cocaïne, par exemple.
« Pour Balkany, j’étais la seule à ne pas porter la robe [elle n’avait pas encore prêté serment, ndlr] mais la seule du cabinet Dupond-Moretti et Vey à avoir lu le dossier et à en connaître les enjeux. C’était sidérant de s’en remettre à ce point à des élèves avocats avec de tels enjeux. La veille des plaidoiries, Antoine Vey m’a fait venir à son domicile personnel. Avec une aisance déconcertante, il m’a demandé : “Alors qu’est-ce que je dois plaider demain ? Et Eric ?” ».
« Je concède être un avocat exigeant »
Alors, qu’en savait Éric Dupond-Moretti ? D’après Libération, l’ancien ténor du barreau aurait été averti dès 2017 des « soucis » posés par son poulain au sein du cabinet.
Le futur garde des Sceaux aurait même reçu plusieurs collaborateurs concernés. « Selon eux, l’effet a été désastreux, puisqu’au lieu de juguler le problème, il a permis à Vey de savoir ce que les plaignants lui reprochaient. » affirme Libération. «Dupond a toujours été très correct avec nous. Personne, je crois, n’a eu à se plaindre de lui directement. Il était en surplomb, dans son monde, déjà la tête ailleurs après une sacrée carrière. Mais il a été a minima passif, pour ne pas dire complice« , déplore une de ses anciennes collaboratrices. Il savait, mais ça ne l’intéressait pas.»
Contacté par France Télévisions, Antoine Vey a affirmé ne pas pouvoir « laisser proférer de telles allégations. Je les démens et établirai les faits. »
« Je concède être un avocat exigeant, parce que nous intervenons dans un cadre ou nous devons à nos clients un total engagement, une forte disponibilité et la protection de leurs intérêts » a-t-il justifié.
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Les Commentaires
L'une de mes meilleures amies a décroché un boulot de juriste en droit des sociétés dans un petit cabinet d'avocat qui était à côté des Champs-Élysées. Eh ben je peux vous dire quelle carte encore les séquelles de ce que son patron lui a fait subir. C'était un vieux schnock catho (et puis homophobe au passage d'ailleurs, ça va souvent ensemble), qui n'arrêtait pas de lui hurler dessus à chaque petite chose qu'elle pouvait faire de travers. Et quand je dis "petite chose qu'elle pouvait faire de travers", je veux parler de ne pas avoir mis la formule de politesse qu'il voulait à la virgule près dans un mail. Il avait défini des règles spécifiques, qu'elle ne connaissait pas avant de les briser. Bref. Un enfer. Son nouveau boulot est bien meilleur.
J'ai étudié le droit pendant 3 ans, avant de m'orienter vers les ressources humaines après avoir été pris.e à Sciences Po. Ma tante m'a conseillé de ne jamais être avocate (Elle est juriste en propriété intellectuelle). Elle m'a dit qu'il y avait beaucoup trop d'avocats sur le marché, et qu'il se battent pour avoir les places les plus prestigieuses dans les cabinets parisiens. Forcément, les patrons des cabinets en profitent : harcèlement moral, horaires inhumaines (je parle de finir à 2h du mat plusieurs fois d'affilée) , harcèlement sexuel, et j'en passe et des meilleurs. Ça se sait dans la profession ! C'est ça le pire, peut-être.
Bref, ce n'est pas un milieu drôle. Ce n'est même pas en milieu prestigieux. Bien sûr il a une aura de prestige, mais clairement, une fois qu'on est dans la profession, le métier d'avocat n'a rien de prestigieux. J'envoie tout mon soutien aux victimes, que je crois. La situation ne me surprend pas. J'espère qu'elles auront la justice qu'elle mérite. Même si je sais que c'est peu probable étant donné la stature du mec.