Tout a commencé à son couronnement, lorsque Ndèye Fatima Dione aurait été emmenée dans un hôtel par un membre du comité d’organisation de Miss Sénégal, selon les éléments rapportés par sa mère lors d’une interview accordée à Dakarbuzz.
Quelques temps après cet étrange séjour, la Miss aurait commencé à se plainte de maux de ventre. Ce n’est qu’une fois hospitalisée qu’elle découvre qu’elle est enceinte de quatre mois.
« On ne connaît pas l’auteur de cette grossesse, on sait juste que cette jeune fille de 20 ans a été violée. À plusieurs reprises, elle a pensé au suicide », confie sa mère éplorée.
Depuis, la présidente du comité de Miss Sénégal a tenu des propos inacceptables au sujet de l’affaire, déclenchant une vague de mobilisations afin que l’organisation soit tenue responsable pour apologie du viol, et que l’agresseur de la victime soit retrouvé et puni.
Pour mieux comprendre cette affaire, Ndèye Fatou Kane, autrice et chercheuse sénégalaise en sociologie du genre, fait le point.
« Si elle s’est fait violer, c’est qu’elle l’a voulu »
« Si elle s’est fait violer, c’est qu’elle l’a voulu. Après tout, elle est majeure. »
Voilà les propos, accompagnés de ricanements détachés, qu’a tenu Amina Badiane, la présidente du comité de Miss Sénégal devant les médias.
Si elle a depuis présenté ses excuses sur le compte Instagram du comité, ses déclarations ont eu l’effet d’une bombe. Sur les réseaux sociaux, les mobilisations s’enchaînent, portées par les hashtags #StopApologieVIOL et #JusticePourFatimaDione.
De son côté, le mouvement DaffaDoye, qui lutte contre les violences faites aux femmes et aux enfants, a refusé les fausses excuses du comité :
« Non aux excuses pour le viol. Pas d’impunité pour les violeurs et leurs complices. Oui pour la dissolution du comité d’organisation de Miss Sénégal. Que justice soit faite. »
Depuis, de nombreuses candidates au concours de Miss ont parlé et dénoncé les coulisses peu reluisantes de l’organisation. L’une d’entre elles confiait au Monde :
« Avant même que la compétition ne commence, l’animateur m’a invitée à dîner un soir. Il a commencé à me toucher et je n’ai pas accepté. »
Malgré une récente loi datant de 2019 qui criminalise le viol, les choses peinent à bouger. La journaliste Jaly Badiane va même juste qu’à affirmer que les mécanismes de prise en charge des victimes n’ont pas bougé d’un poil…
Pour le moment, la reine de beauté 2020 n’a pas souhaité porter plainte et aucun suspect n’a été interpellé. Le groupe automobile CFAO a quant à lui rompu son partenariat avec le Comité Miss Sénégal ; de nombreuses associations appellent au boycott et exhortent l’actuelle Miss Sénégal à rendre sa couronne en soutien à Ndèye Fatima Dione ainsi qu’à toutes les autres victimes.
Interview de Ndèye Fatou Kane, chercheuse sénégalaise en sociologie du genre
Madmoizelle : L’affaire de Fatima Dione est-elle représentative d’un climat ou d’un système au Sénégal ?
Ndèye Fatou Kane : À mon avis, l’affaire du viol suivi de la grossesse dont a été victime la Miss Sénégal est représentative de la culture du viol dans le pays. Disons les choses telles qu’elles sont. La culture du viol, concept sociologique permettant de normaliser, voire même d’encourager les violences sexuelles au sein d’une société, trouve une illustration dans l’affaire Fatima Dione.
Car entre les réactions outrées (majoritairement de femmes) fustigeant le fait que cette jeune femme ait été droguée, violée, puis qu’elle soit tombée enceinte dans une totale impunité, et les personnes suspicieuses ayant du mal à la croire, nous assistons à un climat délétère.
Plusieurs axes d’analyse surviennent à la lecture de cette situation : les politiques de silenciation des victimes de violences sexuelles, la non prise en compte de leurs traumatismes, de même que le traitement médiatique de ces affaires.
Y a-t-il déjà eu des cas similaires ?
Oh que oui ! En 2013, Fatima Sall accusait Cheikh Yérim Seck, un influent journaliste, de viol. En 2021, Adji Sarr, jeune masseuse, accusait l’homme politique Ousmane Sonko de viol. Sans oublier tous les cas non médiatisés…
Ces cas ultra relayés ont pour point de concordance de mettre face à face de très jeunes femmes face à des hommes accumulant un fort capital social. Ce qui a pour résultante d’interroger les bonnes mœurs de ces jeunes femmes et de « blanchir » ces hommes accusés, sans même attendre le verdict de la justice .
Au Sénégal, la loi criminalisant le viol est récente. Est-ce suffisant ?
La loi criminalisant le viol a été votée en 2019, et il est utile de saluer le travail fait par des collectifs de femmes tels que l’Association des Juristes Sénégalaises (AJS) qui se battent depuis des années pour l’accompagnement juridique des femmes victimes de violences sexuelles. Mais dans la pratique, comment la situation évolue ? C’est là à mon avis que réside le défi.
Quand toutes les composantes post-traumatiques subies par les victimes seront réellement prises en compte, là on pourra dire que cette loi nous sert.
Cela ne fait si longtemps que l’affaire Fatima Dione a commencé à être timidement relayée en France : pourquoi si peu de bruit ?
Je pense qu’il est important dans chaque situation liée aux droits des femmes (féminisme, lutte contre les violences sexuelles, prise de parole) de contextualiser. Même lors de l’émergence des mouvements #MeToo et #BalanceTonPorc, la prise de parole s’est faite progressivement jusqu’à avoir une résonance mondiale.
Dans l’affaire Fatima Dione, la même dynamique est en marche et sera difficilement arrêtable. Même si des lenteurs peuvent être observées, j’ai espoir que de lendemains meilleurs s’annoncent.
Comment se mobiliser à son échelle ?
En portant des plaidoyers et en se faisant entendre. Ceux-ci peuvent prendre plusieurs formes : interviews, écriture de tribunes, conversations avec les femmes sénégalaises lambdas… L’essentiel est que la cause puisse avancer.
Nous sommes en plein dans la campagne pour les seize jours d’activisme contre les violences basées sur le genre, donc faisons-en un bon usage !
Vous pouvez signer la pétition pour le retrait de la licence du comité miss Sénégal pour apologie du viol !
À lire aussi : Accusé de viols, Nicolas Hulot attaque en premier pour qu’on ne puisse pas l’interroger sur le fond
Crédits photos : @FemmesSenegal et DAKARBUZZ TV
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Les Commentaires
Je me permet d'interpeller la rédaction mademoizelle sur la candidature récente de Zemmour. Voila depuis hier que je cherche parmis les articles mous des journaux traditionnaux, une tribune assez forte adressées aux personnes noires, immigrées et musulmanes de ce pays. Pour leur dire qu'on est avec eux. Qu'on imagine pas l'angoisse que peut réveiller de voir ces discours de haine à la télévision, mais qu'on ne les laissera pas tomber. Si certaines d'entre vous passent par là, je leur adresse mon soutien.
Je ne sais pas si ce commentaire a bien sa place sous cet article. Je ne veux pas "invisibiliser" la souffrance de cette miss en postant ici mais je ne savais pas ou le faire.