Je t’ai parlé de Chennai et du rickshaw, mais pas du Ladakh, ni de la voiture. Laisse-moi me rattraper ici et maintenant, j’ai risqué ma vie pour le faire : je suis allée dans le Ladakh.
Tout a commencé à Besant Nagar, quartier arty-bobo au sud de Chennai, par un chaud après-midi d’été, lors de la scène finale de 3 Idiots, l’un des derniers énormes cartons du box-office indien. On contemplait paresseusement les dernières heures d’un dimanche comme les autres en se rassasiant de Bollywood pour la semaine à venir, quand soudain on a vu, on a su, c’était certain, l’évidence même, le plus bel endroit du monde venait d’apparaître sous nos yeux avec Aamir Khan en bonus : le Pangong Lake. C’était décidé, on devait y aller.
https://youtu.be/gmxxEN-jqqk
« On », c’était ma coloc et moi. On a entré ça sur Google Maps, demandé un peu d’aide à Wikipédia, et nos billets pour Delhi étaient bookés. Le reste ne devait être que luxe (non), calme (non plus) et volupté (mais bien sûr). Depuis Delhi, je m’imaginais jusqu’au Pangong Lake une route à l’image de la scène finale de 3 Idiots : légère et désopilante.
Comme je me trompais.
De Delhi à Manali : bus, précipices et petits fous rires nerveux entre amis
Delhi – Manali, c’est 550 km avec une pause à Chandigarh au milieu, parce que la ville a été dessinée par Le Corbusier.
Delhi – Chandigarh, donc, ça fait 14 heures de bus, oui madame. C’est long, mais laisse-moi t’expliquer pourquoi ça les vaut.
D’abord, il y a cette anomalie massive dans le paysage urbain de la ville : tout est droit. C’est ce qu’on appelle la touche Le Corbusier. S’il a doté la France d’une cité radieuse par-ci, ou d’un cabanon par-là, il a tout simplement transformé la capitale du Penjab en véritable musée à sa gloire. Chandigarh est considérée comme l’endroit au monde rassemblant le plus grand nombre de ses oeuvres. Pas moins.
Et pour ne rien gâcher, les naans et paroothas au fromage y sont plus que délicieuses, rapport au patrimoine culinaire extraordinaire du Penjab, mais nous n’aborderons pas le sujet ici : je suis bien trop arbitraire dès qu’il s’agit de choses qui se mangent.
Parmi les incontournables de la ville, il y a le Rock Garden, qui prouve bien que les poubelles ne sont pas une fin en soi :
Ou le Lac Sukhna, qui personnellement m’a donné la drôle d’impression d’être en Suisse. Rien que pour le mindfuck incroyable de se croire en Suisse au beau milieu de l’Inde sans prendre de drogue, va à Chandigarh. Et écoute un peu de rap Penjab, ça ne te fera pas de mal.
En route vers Manali : la pause défonce/détente
On a repris le bus, direction Manali. Tout allait très bien jusqu’au moment où je me suis rendue compte, avec effroi, que nous quittions le niveau de la mer pour nous rapprocher du ciel. Le bus et les 70 personnes qu’il transportait prenaient de l’altitude.
Mais moi, j’ai le vertige. J’ai tellement le vertige qu’il me suffit de voir quelqu’un d’autre s’approcher d’un précipice pour dégueuler toute mon anxiété. J’ai le vertige même par procuration.
Je te laisse donc le soin d’imaginer la crise de panique qui, à mesure que le bus prenait de la hauteur, montait en moi. Jusqu’à éclater et m’offrir le plus gros fou rire nerveux de ma vie. Je pleurais de rire à 4h du matin, avec ma coloc, au milieu de 70 paires d’yeux clos et manifestement inconscients du danger auquel ils s’exposaient à cet instant même.
Quand je pris conscience des 300 kilomètres qui nous séparaient encore de Manali, là, je me suis mise à pleurer pour de vrai. Il pleuvait. La route n’était que boue et glissements de terrain. Mon seul moment de répit : les 8h passées à attendre qu’un petit camion dépasse les kilomètres de voitures immobilisées pour venir reconstruire le tronçon de route qu’une cascade sauvage avait réduit à l’état de souvenir.
Huit heures à l’arrêt, pendant lesquelles le chauffeur ne risquait pas de tous nous tuer en décidant unilatéralement que faire marche arrière pour avoir plus d’élan permettrait de se lancer à toute blinde par-dessus les champs de boue en espérant que ça passe. Répit, je vous dis.
Manali, enfin…
On est arrivés très tôt le matin. Il faisait gris et l’air était frais. Manali, c’est haut. C’est la montagne. C’est sublime. Il ne faut pas être allergique aux néo-hippies, parce que Manali, c’est un peu l’Ibiza indien, version montagne. C’est d’ailleurs là que tous les aficionados de Goa se donnent rendez-vous lorsque les plages de l’ancienne colonie portugaise ferment, la mousson venue.
Tu trouves donc à Manali un charmant mélange d’étudiants en année sabbatique, de jeunes actifs en année sabbatique, de vieux hippies en éternelle année sabbatique et de backpackers auxquels se mêlent les DJ qui préparent leur mix en attendant que Goa se gorge à nouveau de touristes.
Les menus sont écrits en russe, en hébreu et en anglais, mais le chai a le même goût qu’ailleurs, ce petit goût d’Inde, de chèvre, d’épices et de réconfort. Quoiqu’à Manali, la rumeur veut que tu aies une chance sur deux pour passer de chai à space chai en deux coups de cuillère à pot ! En effet, la petite ville d’altitude tire une grande partie de sa gloire de la culture de substances stupéfiantes.
On ne te recommandera jamais assez les délicieux cookies du Dylan’s Café dans Old Manali, les meilleurs que j’aie mangés. De ma vie. Je le jure sur celle de ma mère. Non vraiment, vas-y.
Et puis offre-toi un trek dans la forêt de montagne. Va fourrer ton petit nez dans les edelweiss et goûte au plaisir encore non égalé de siroter un ginger lemon tea dans le petit jardin frais et silencieux d’une maison d’hôtes entourée de montagnes. Ça vaut le coup.
De Manali à Leh : Inova, précipices (plus profonds) et grosses crises de paniques (toujours) entre amis
À Manali, on se trouvait déjà à environ 2000 mètres d’altitude. Il nous en manquait à peu près le double pour atteindre Leh. Autant te dire que je n’aurais pas craché sur un space chai latte avant de monter dans la voiture du chauffeur qui devait nous y emmener.
Soyons honnêtes, je n’aurais pas craché sur une couche non plus. Je me faisais litteralement pipi dessus.
On a quitté Manali en milieu de soirée ; le chauffeur nous prédisait 19 heures de routes pour atteindre Leh. Cette nuit fut… comment le dire sans en faire des tonnes ? LA PIRE NUIT DE MA VIE. Si tu tiens à la tienne, de vie, fais la route sous Xanax ou prend l’avion.
Je ne voudrais pas trop faire ma chochotte, mais disons je n’étais pas sereine. L’obscurité épaisse des nuits de montagne, l’agglutinement d’énormes camions instables sur des pistes qui n’avaient de route que le nom… Ni ma coloc ni moi n’avons réussi à fermer l’oeil, pourtant on est loin d’être de grandes stressées. La preuve, à aucun moment nous ne nous étions posé la question de l’itinéraire entre Delhi et notre ultime destination, le fameux Pangong Lake.
Puis vint le jour. Et tout ne fut plus que démesure. Démesurément haut. Démesurément terrifiant. Démesurément beau, démesurément grisant, démesurément éclatant. Démesurément étroit, démesurément dangereux mais surtout, vertigineusement beau.
Sur la route pour Leh, tu vis des montées d’adrénaline formidables, immédiatement suivies par des montées d’endorphines et de tout un tas d’hormones du bonheur, rapport à l’excès de beauté qui t’entoure, auquel ton cerveau n’est définitivement pas préparé. A la réflexion, le simple fait de survivre a aussi, peut-être, un rapport avec cette sorte d’euphorie constante, qui le dispute à l’angoisse la plus profonde… Tu te rends compte que tu pourrais crever, tu jubiles donc à chaque nouvelle inspiration, parce que la précédente n’était pas la dernière. CQFD.
Leh : luxe (non), calme (toujours pas) et volupté (mais bien sûr)
Leh. Pour y arriver, on grimpe à 5 325 mètres d’altitude. Ben à 5 325 mètres d’altitude, tu fais pas ta maline. Tu respires pas pareil qu’au niveau de la mer, tu as mal au crâne et dans certains cas, tu vomis un peu ton Yellow Dal. Ne t’inquiète pas : en quelques jours, ton corps s’y habitue. Mais prévois quand même le coup parce qu’après un voyage en avion, par exemple, tu as bien besoin de 3 jours pour redevenir opérationnel-le ! Par la route, évidemment, ton corps a eu le temps de s’y faire progressivement, alors ça va un peu plus vite.
Une fois sur place, il te faut un peu de temps pour arrêter de sourire bêtement et trouver un endroit où dormir. Va donc prendre un ginger lemon tea dans l’une des minuscules auberges qui colonisent le centre de la vieille ville. Ça te permettra d’observer la faune locale en toute quiétude.
Beaucoup d’Israéliens viennent passer quelques mois à Leh en année sabbatique ou après le service militaire. Beaucoup de backpackers s’y arrêtent également. La ville vit principalement de son tourisme, après avoir été partiellement détruite par des inondations en 2010. L’industrie du back packisme y palpite au même rythme que les temples bouddhistes. La région offre d’infinies possibilités de treks, mais nous, on était là pour le Pangong Lake.
Le Pangong Lake
La beauté, rien que la beauté. Rien d’autre ne comptait plus. Ni les innombrables pass qu’il nous a fallu récolter sur la route, ni les 5 300 mètres d’altitude, ni les pistes pleines de gravier, ni les coups de frein hasardeux, ni les maux de tête, ni rien. On y était. En Inde mais face à la Chine, pile entre le Tibet et le Ladakh. La beauté, rien que la beauté, et le bonheur qu’elle nous procurait.
Je me dois de te prévenir tout de même que si tu comptes, comme dans les films (et à l’instar de certains touristes un peu trop exaltés par leur périple), te ruer sur les rives du lac et t’offrir une bonne lampée de son « eau pure et cristalline », tu risques fort d’être déçu (et de vomir un bon coup) : le lac est magnifique, mais aussi salé !
Alors, tu prends un billet d’avion et on se retrouve au Ladakh ?
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N'hésitez pas à consulter mon blog sur mon expérience de stagiaire en ONG en Inde du Sud (Tamil Nadu-Pondicherry) puis Bombay!