Depuis que le bain de minuit à remplacé le bain de cure, la plage s’impose comme le grand rendez-vous de l’été. Dès le mois de mai, les magazines préparent la grande migration à coup d’articles de fond sur la meilleure façon d’éliminer cors au pied, poil et cellulite. Et dès que possible, c’est la ruée vers l’eau, direction le monde de la plage. Une parenthèse étrange où rien n’est comme à la ville. Ou presque.
Look de plage et faux semblants
!Jouons avec Tata Stellou! Jamais je ne te demanderais ça d’habitude, mais tu vas me montrer tes vieilles photos de vacances. Bien. Dis-moi, ce vernis baptisé « Corail Los Angeles« , ce bob d’inspiration ethnico-cucul, ces tongs « I Love Cancun » et cette robe-crochet fluo… Tu les mets ailleurs qu’à la plage ? Et pourtant, les preuves sont là : tu les as porté au moins une fois. C’était en 2005 sur la plage de Berck, avec un joli coup de soleil en accessoire.
Pour beaucoup, c’est ça, le beach look : une pause propice aux expériences inédites (tresses en tissu, marcel en résille, tatouages temporaires, chaînes de cheville…) et à un relatif laisser-aller. On se dit « vacances : lâchons-nous », on pense « de toute façon ici, je connais personne » et on s’imagine tous égaux en paréo. Faux. Même sur le sable, loin du carcan quotidien, l’apparence compte. Et tapies entre une glacière et le QG des CRS, les langues de putes s’en donnent à coeur joie.
Regarde celle-là. La Redoute page 254, printemps-été 2002.
– Ouh là… Je reconnais, ouais. Ca arrache la rétine, ce coloris.
– Et pis le bikini bandeau, ça va décidément pas à tout le monde.
– Remarque, c’est pas pire que le string de plage.
– Où ça ?
– A 40° , près de la poubelle.
– Pouah ! Ca devrait être interdit, avec un cul pareil !
– Ben ? Je croyais qu’on avait dit qu’on était pro-grosses cette année ?
– Ben ouais. Jusqu’au 38, quoi.
– Gnihihihi ! Krr krr !
– Tu reveux du Couca Light ?
– Déconne pas, j’ai déjà bouffé 2 tics tacs et une demie tomate…
Loi de la plage, loi de la jungle…
« Glace-coca-beignets » : ou l’équilibre alimentaire du vacancier
Du relâchement, il n’y en a pas que côté look. Dans l’assiette aussi, la plage fait sauter les corsets. Le processus est immuable. Avant de partir en vacances, le vacancier brûle un cierge à Sainte Jane Fonda et se fouette à l’aide d’une ceinture d’électrostimulation pour expier ses fautes pondérales. Pourtant, régime ou pas, une fois sur la plage, c’est Frites, Sex and Sun.
Sous prétexte de problèmes pratiques et de gestion du temps, on bouffe nawak et on s’en tape. Restes de Kebab, cartons de pizza, bouts de frites, emballages de Magnum… Il suffit d’observer le contenu d’une poubelle de plage pour sentir ses artères se boucher. Certains organismes fragiles ont d’ailleurs du mal à s’adapter à ce changement de régime…
Ben ? Elle vient pas ta copine Malia ?
– Nan, elle est malade. Soucis alimentaires.
– La pauvre. Remarque, ça m’étonne qu’à moitié. Je sais pas où elle avait chopé son Falafel mais y m’avait pas l’air frais…
– Bof, ce serait plutôt les 3 Magnums Double Choc qu’elle a mangés après… Ou le paquet de Chips et le sac de beignets qu’elle avait avalés avant… Ou le Sunny Delight à température ambiante, ptet.
– Pouark, mais comment elle a pu s’enfiler tout ça ?
– C’est sûrement ce qu’elle est en train de se demander…
Coquillages et crustacés, file-moi la bassine je vais dégueuler.
Place au farniente – ou les activités du plagiste
Le jour, tu es experte en politologie ; la nuit, tu sauves les caniches de la noyade et quand tu as deux minutes de libre, tu récures les chiottes des voisins (faut bien s’occuper). C’est bien simple : tu t’agites tellement qu’on t’a surnommée « Sarkozette ».
Pourtant, une fois le cul sur la plage, tu finis par faire comme tout le monde : rien. Sur le sable, le farniente est la règle et l’oisiveté une vertu. Pas question de s’agiter le Tanga, il fait bien trop chaud pour ça. Alors on se trouve des activités rigolotes mais pas trop fatigantes, du genre lire les mémoires de Chuck Norris ou s’arracher les poils du nez*. Quant aux soucis et autres questions existentielles, on les enterre de son orteil doré. Un exercice pas si facile pour tout le monde…
* certains sont paraît-il capable de faire les deux en même temps.
Audrey, tu dors ?
– Groââh… Mrfl. Gn’est-ce tu veux ?
– Ben je repensais à mon mémoire, tsé..
– Mmmm…
– … Je crois que ma problématique est bancale.
– Mmm…mourquoi ?
– Parce que j’ai pas bien bétonné ma phase de reconnaissance. Du coup mes présupposés sont foireux et ça va pas.
– Mmmf.
– Dire que chuis là à cramer alors que mon année va être foutue en l’air…
– Krr.
– … Je vais pas pouvoir rendre mon mémoire à temps, c’est sûr. En plus j’ai pas fait ma demande de logement. Et pis j’ai pas…
– MAIS TU PEUX PAS LA FERMER ?!!
– Ca me fait penser… J’ai fermé la porte de l’appart ?
Oh, solitude de l’anxieux…
Tous nus et tous bronzés – ou le corps à la plage
En ce moment même, j’écris en culotte et en soutif. Cependant, à moins d’être trop bourrée pour y penser, j’enfilerai une tenue décente pour sortir de chez moi tout à l’heure. Dans une société où 80% des individus préfèreraient bouffer les chewing-gums collés dans le métro plutôt que de se balader à poil, la pudeur est de mise*.
Sur le sable, en revanche, on s’expose sans trop d’arrière-pensée en prétendant que tout est normal. On change de cadre social et hop, mater des dizaines d’individus en slip paraît soudain complètement naturel. Un phénomène poussé à l’extrême sur les plages nudistes, où on devise avec son voisin le sandwich à la main et la nouille à l’air.
* De toute façon, ma plastique sculpturale risquerait de provoquer des émeutes.
« Allez Cécile. Concentre-toi sur ce que te dit cet affable autochtone. Surtout, ne regarde pas en bas, surtout ne… Argh, trop tard. Il a dû voir que j’avais regardé, c’est pas possible…
… Fait pas bon vieillir, quand même. Je pensais pas qu’on pouvait choper des bourrelets à cet endroit-là… Merde, je divague. Allez Cécile, écoute ce que te dit le monsieur. Le marché des petits producteurs, gnagnagna, jeudi matin, gnagna… Argh, argh, beuargh !! Encore regardé ! Y va croire que je le drague, si je continue…
… Regarde-le dans les yeux Cécile, regarde-le dans les… Mais ?! Mais y me mate les nichons, ce vieux cochon ! Misère. Mémé aurait pu me dire que son bungalow était chez les culs-nus… »
Un esprit sain sur une paire de seins…
Seuls sur le sable… – ou l’étrange comportement du vacancier
!Jouons avec Tata Stellou! Ferme les yeux (ça va être pratique pour lire la suite), et imagine la plage idéale. Dans tes rêves, elle est aussi déserte que le crâne de Fab*, non ? Pourtant, cet été, tu iras probablement t’étaler sur une plage bondée comme un Ikéa le samedi après-midi.
* une petite vanne de temps en temps…
En râlant un peu, tu chercheras l’emplacement idéal parmi les chairs luisantes de crème solaire. Tu meugleras quand de charmants bambins te balanceront du sable, tu grogneras au bruit des raquettes de plage, mais toi le pitbull des villes, tu adopteras bientôt la placidité d’un veau marin. C’est l’effet magique de la plage : malgré une légère agoraphobie et des rêves de criques sauvages, le plagiste plonge dans la foule le sourire aux lèvres. Ou presque.
– Bonjour mademoiselle…
– ‘Jour.
– Dites, ce serait pas vous qui venez de nous balancer ce Tampax ?
– Si. Chuis sympa, il était pas usagé.
– Ca vous prend souvent ?
– Ben je vous aurais bien balancé une petite pierraille mais j’ai la flemme de bouger de mon emplacement, alors…
– Va falloir cesser, hein.
– J’arrêterai que si vous arrêtez le djembé.
– Attendez… On dérange personne, nous.
– Ah bon ? Ben vu le nombre de vacanciers à boules quies présents dans cette zone, ça m’étonnerait.
– Hey, relax ma colombe, c’est que de la zik…
– Et mon cul, c’est du poulet ?
– Plutôt de la rillette.
– Sapajou !! Tu veux la guerre ? Tu vas l’avoir…
Sapajou : primate platyrhinien appartenant à la famille des cébidés. Un singe, quoi.
Panique à la plage – ou l’attaque du tube de l’été
La plage a beau être un monde un peu à part, un glaçon posé sur le Ricard quotidien, elle n’échappe pas aux lois du marketing. C’est ainsi qu’elle subit les assauts d’une bien étrange coutume : celle du tube de l’été.
Pourquoi le français éprouve-t-il chaque année ce besoin de poser une bande originale en toc sur son beau rêve tropical ? Un nom à consonance un peu exotique, un rythme spécial « soirées chaudes », un bon matraquage médiatique et paf : la France entière est conquise et la plage y passe. Tu as tout fait pour éviter le Hit of the summer ? Rassure-toi : il y aura toujours un gosse ou une sonnerie de portable pour te fourrer le refrain dans la tête. Et bon courage pour t’en débarrasser.
Alors Patrick, vous m’avez déniché quoi comme prétendant au tube de l’été ?
– Ah j’ai un beau panel, cette année. Par exemple j’ai Ricardo Fragolas, « Si tu que no« . Un jeune picard d’origine espagnole qui chante en yaourt.
– Pas mal, ça, pas mal. Vous l’avez testé ?
– Bien sûr. Je l’ai fait diffuser dans les toilettes de l’entreprise entre 14h et 18h tous les jours, à raison d’un passage toutes les 15 minutes.
– Et ?
– Plus personne ne peut s’en débarrasser. A part M. Roger, mais c’est normal : avec sa peur panique des bactéries, il ne fréquente jamais nos vécés.
– Parfait, parfait… Et niveau visuel, on a ce qu’y faut ?
– Certes oui : demain, séance photo à Aqualand. Pour le côté rêve.
– Vous êtes un génie, Patrick.
A la recherche de la nouvelle tare.
On pourrait disserter des heures sur les joies de la plage*. On pourrait, mais aucun mot ne serait assez précis pour décrire la sensation du sable qui colle à la crème solaire. Le doux bruit des gosses qui se massacrent. Le clapotis de la mer ramenant de vieux pansements sur le rivage… Ah, plage ! Attends-moi : j’arrive !
* Certains en ont d’ailleurs fait de superbes bouquins (voir Jean-Didier Urbain et son Sur la plage : Moeurs et Coutumes balnéaires (XIXe-XXe siècles*). Et cette fois je n’ai point inventé la référence.
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Attend-moi plage : j'arrive aussi.