En Turquie, 307 femmes ont été tuées par leurs époux, compagnons, amants ou personnes de leur entourage proche comme leur père ou leur frère, en 2021. Sur les cinq premiers mois de 2022, il y a déjà eu 140 féminicides. Pourtant, la législation turque possède un arsenal juridique assez précis pour lutter contre les violences faites aux femmes... Mais cela ne semble pas suffire, comme le révèle une enquête de l’ONG Human Rights Watch (HRW) publiée le 26 mai 2022.
38 des 307 femmes assassinées en 2021 étaient sous protection judiciaire
Calquée sur les dispositions de la convention du Conseil de l’Europe sur la prévention et la lutte contre la violence à l’égard des femmes, connue sous le nom de Convention d’Istanbul, la loi turque n°6 284 a été adoptée en 2012. En mars 2021, sous l’impulsion du président Recep Tayyip Erdogan, la Turquie s’est retirée de la convention, toutefois cette loi interne reste en vigueur.
Malgré ce dispositif, selon le rapport de l’ONG Human Rights Watch, le gouvernement turc « manque à son devoir de protéger les victimes de violences domestiques. » Pourtant, des progrès ont été réalisés : la plupart des plaintes des femmes ne restent pas sans suite. Police et tribunaux mettent de plus en plus souvent en place des ordonnances d’éloignements à l’encontre des conjoints violents. 272 870 ordonnances d’éloignements ont été émises en 2021, contre 139 218 en 2016, et 10 401 ordonnances de protection ont été énoncées en 2021 contre 10 401 en 2016.
Malgré tout, ces mesures ont peu d’effets positifs, comme l’observe HRW dans son rapport. 38 des 307 femmes assassinées en 2021 « étaient sous protection » judiciaire :
« Les ministères de la justice et de l’intérieur vantent le renforcement de la prévention, mais ils ne donnent aucune information sur l’impact qualitatif de ces mesures, sur leurs taux de réussite et d’échec, sur le nombre de manquements, et surtout, si les femmes elles-mêmes bénéficient globalement d’une meilleure protection. »
Les agents de police, interviewés sous couvert d’anonymat par l’ONG HRW, sont conscients des manquements omniprésents dans la prise en charge des plaignantes mais comme l’affirme Emma Sinclair-Webb, la directrice de la branche Europe et Asie centrale de HRW à Istanbul :
« Ils travaillent dans des conditions difficiles, pas assez de suivi, un défaut de coordination entre les services. »
Aussi, le rapport HRW constate que les femmes dépendante économiquement ne déposent pas plainte. Malheureusement, en Turquie, seulement 34,5% des femmes travaillent, soit le taux le plus faible de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE). Un agent de police confie dans le rapport que :
« Si une femme n’a pas les moyens économiques d’aller voir la justice, elle ne vient pas… La plupart des plaintes surviennent lorsque les femmes sont au stade du divorce. »
Un besoin d’éducation pour lutter contre le fléau des féminicides
Mais alors comment la Turquie peut-elle lutter contre le fléau des féminicides ? Aujourd’hui, comme le rappelle Emma Sinclair-Webb, de nombreuses victimes préfèrent encore garder le silence :
« Le sentiment de honte est très présent dès qu’on touche au problème des violences domestiques. »
Un des policiers qui a travaillé sur le rapport HWR déclare qu’il y a « un besoin d’éducation par rapport à ces problèmes » à instaurer en Turquie. Un autre agent de police salue quant-à-lui le « travail des médias » qui sert à mettre en lumière ce sujet des féminicides trop longtemps tu.
À noter qu’au cours de son enquête, l’ONG HWR a pu, grâce au ministère de l’intérieur turc, accéder aux données des commissariats du pays. Cependant, le ministère de la famille et des affaires sociales, à la tête des centres de prévention de la violence qui sont ouverts depuis 2012 dans 81 villes du territoire, n’a pas accepté les demandes d’entretien faites par l’organisation.
En Turquie, ces dernières années, les organisations de défense des droits des femmes sont devenues très actives. Un seul objectif : briser l’omerta sur les violences faites aux femmes dans le pays d’Erdogan. En documentant et dénonçant sur les réseaux sociaux, elles captent peu à peu l’attention du public sur le sujet des féminicides. Mais elles désirent aussi les sensibiliser aux autres formes de violences, physique, sexuelle, verbale, encore largement passées sous silence au sein de leur société.
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Image en Une : © Capture d’écran Amnesty France – Youtube
Si vous ou quelqu’un que vous connaissez est victime de violences conjugales, ou si vous voulez tout simplement vous informer davantage sur le sujet :
- Le 3919 et le site gouvernemental Arrêtons les violences
- Notre article pratique Mon copain m’a frappée : comment réagir, que faire quand on est victime de violences dans son couple ?
- L’association En avant toute(s) et son tchat d’aide disponible sur Comment on s’aime ?
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