Totote, teuteuss, titine, teuteute, tutute… non, ce n’est pas une voiture qui klaxonne mais bien tous les noms que l’on donne à la tétine, cette sucette non comestible que tous les bébés avaient dans le bec dans les années 1980.
A t-on raison de continuer à donner cet objet de puériculture à nos bambins ?
Les débats autour de tétine ne sont pas récents — dans un épisode de 2010, la mère de Maggie Simpson, suceuse de tétine emblématique de la pop culture, recevait son lot de culpabilisation, dans un passage hilarant où les parents de bébés accro se reconnaîtront à coup sûr :
Lisa Simpson : « Les experts ont trouvé un rapport entre l’overdose de sucettes… et le fait d’être un marginal ! »
D’où vient la tétine, au fait ?
Difficile de dater son apparition avec certitude ; sachez en tout cas que la tétine a conquis en masse le cœur des parents et les bouches de bébés dans les années 1980.
Mais voilà, comme toujours dans l’éducation, il y a des débats… Déjà au milieu du XXe siècle car on avait peur que les bébés s’étouffent avec ; et maintenant car certains disent qu’elle répond à un faux besoin. C’est un débat houleux mais nous allons essayer de garder la tétine froide (pardon).
Personnellement, mes bébés de 15 mois en ont (beaucoup), je n’ai pas vraiment eu le choix car étants nés prématurés, on ne nous a pas demandé notre avis, ce que je comprends car ces petits êtres tout fragiles avaient alors vraiment besoin de réconfort. Depuis, ils ont du mal à s’en passer, mais je dois dire que ça nous a sauvé pas mal de fois la mise. C’est parfois comme un bouton magique pour arrêter les pleurs.
La nuit, ils en ont aussi besoin pour s’endormir. Il y en a donc toujours une poignée de tétines phosphorescentes dans leurs lits, ce qui ne les empêche pas de nous réveiller quand même (ce serait moins drôle autrement).
Nous avons donc demandé à plusieurs spécialistes de la petite enfance de nous aider à y voir plus clair. Spoiler : si votre bébé passe son temps avec une tétine dans la bouche, rien de grave ne lui arrivera !
En quoi la tétine peut-elle être utile ?
C’est un petit objet qui peut apporter pas mal de réconfort. Léonie Cance, psychologue, nous explique que pour elle, il s’agit d’un objet transitionnel au même titre qu’un doudou :
« L’intérêt de la tétine, c’est que comme le doudou, c’est un objet transitionnel pour l’enfant, qui va donc remplacer la présence du parent. Pour les essentialistes, c’est très mauvais, car rien ne devrait remplacer la présence du parent. »
La tétine favorise l’autonomie, à la fois pour l’enfant mais aussi pour le parent ! Léonie Cance nous le dit :
« On peut aussi considérer que ça permet à l’enfant d’évoluer et de vivre des choses en dehors du giron maternel.
C’est un moyen d’auto-apaisement par la succion et ça permet d’aller vivre des choses sans sa maman et sans son papa. Pour les enfants qui sont gardés par une nounou, par la crèche, par les papys et les mamies, ça peut être un très bon objet transitionnel. »
Un autre avantage de la tétine est qu’elle peut aider pour l’endormissement du bébé au coucher mais aussi lors des réveils la nuit (un argument qui me va droit au cœur en tant que mère épuisée !). Léonie Cance nous l’affirme :
« Ça aide pas mal de bébés à dormir, pour qui la succion est le moyen de trouver le sommeil, parce que ça permet un certain apaisement. »
Dit en toute franchise, c’est aussi une aide pour les parents. Et c’est une idée tout à fait recevable ! Pour Léonie Cance toujours :
« La tétine peut être un très bon substitut pour une mère dont le sein sert de tétine à son enfant et qui peut légitimement en avoir marre et qui peut ne pas avoir envie que son sein soit toujours dans la bouche pour le faire dormir ou l’apaiser. »
C’est un débat de fond sur le type de parentalité que l’on souhaite, comme nous le dit la psychologue :
« Est-ce qu’on veut être indispensable et essentielle ou que chacun puisse aussi aller vivre des choses de son côté ? »
De plus, un faisceau croissant d’études indique qu’elle pourrait protéger (dans une moindre mesure !) de la mort subite du nourrisson.
À chacun et chacune de faire son choix. Quelles arguments avancent les anti-tétines ?
Réserves et critiques à propos de la tétine
Quand on évoque les débats et les jugements autour de la maternité, le sujet de l’allaitement n’est jamais très loin.
L’allaitement et la tétine
Il y a beaucoup de mères qui ont peur que la confusion sein et tétines entrave le bon déroulé de l’allaitement. Pour Marie Chetrit, docteure en sciences qui vient de publier Éducation positive : une question d’équilibre ? Démêler le vrai du faux de la parentalité bienveillante :
« Quand l’allaitement est bien en place, donner une tétine à l’enfant ne va pas perturber l’allaitement. Si elles ont un enfant très demandeur, les mères vont passer leur temps avec l’enfant au sein, ça peut être très contraignant.
Le besoin de succion non-nutritive peut être très présent. À chaque personne de voir si elle est à l’aise avec le fait de beaucoup donner le sein ou si elle n’a pas envie. »
Pour Léonie Cance :
« La confusion sein-tétine, c’est quelque chose sur laquelle il n’y a pas de consensus scientifique. […] Tout ça est à prendre avec des pincettes. »
Voici un post à ce sujet d’Anna, orthophoniste :
Les pleurs de décharge et les émotions
Pour Héloïse Junier, psychologue spécialiste du jeune enfant, qui a publié Pour ou contre ?, Les grands débats de la petite enfance à la lumière des connaissances scientifiques :
« Ça peut bloquer les pleurs, qui ont une fonction de décharge. […] Le bébé pourra moins se détendre. La tétine, je ne suis pas fan et je la déconseille.
Les enfants qui pleurent à satiété, qui n’ont pas été encouragés à sucer quelque chose quand ils étaient tristes., ils n’ont pas de besoin de succion. »
Nous en revenons au vaste sujet des pleurs, parfois difficile à supporter pour les parents. Mais il peut être rassurant aussi de se dire que cela peut être un besoin, que nous n’avons pas à chercher à arrêter ces pleurs par tous les moyens. On se sent mieux en se disant ça…
Pour Marie Chetrit :
« Pour les pleurs de décharge, de mon expérience, la tétine ne calme pas vraiment. Quand les enfants ont besoin de crier, ils crient.
Ça ne remplace pas les parents et les câlins, c’est quelque chose en plus. »
Les avis divergent donc mais chaque parent peut alors faire son choix. Dans les couples, mieux vaut que les deux soient d’accord. J’ai tout de même vu dans ma crèche une mère filer une tétine en cachette du père…
Chacun son choix, chacun son bébé
Certains bébés vont apprécier la tétine quand d’autres ne vont pas vouloir la prendre. Mais c’est aussi aux parents de s’adapter à la singularité de leur situation et choisir le type de parentalité qu’ils souhaitent.
Dans la revue Spirale, on s’interroge :
« Existe-t-il pour la sucette une vérité scientifique, ou bien la puériculture est-elle un art du cas particulier ? »
Aux vues des divers avis et des études scientifiques peu tranchés, je pencherais pour la seconde option. Mais comme le dit Léonie Cance, la culpabilisation des parents (et surtout des mères !) ne devrait pas rentrer en jeu :
« Pour la tétine, on dit beaucoup du côté du maternage proximimal et de la parentalité BPR que c’est un mauvais substitut, que ça étouffe les émotions, je pense que c’est faux et très culpabilisant pour les mères de dire ça. »
Et comme l’affirme Marie Chetrit, on peut changer d’avis :
« J’avais un avis très tranché avant d’avoir des enfants. Je pensais comme beaucoup que la tétine était un outil qu’on utilisait pour faire taire l’enfant, que le but était que le parent ait la paix.
Je me suis passée de tétines pour les premiers, je l’ai proposée mais ils n’en ont pas voulu.
Et le dernier avait un reflux sévère et beaucoup de coliques. Il était hyper malheureux. On lui a acheté des tétines et ça a été la révélation absolue. Ça a changé sa vie. Il avait un besoin de succion tel que c’était ingérable. Il l’a gardée jusqu’à 5 ans. C’était son objet de réassurance et je n’ai jamais regretté. »
Les besoins des enfants ne sont donc pas les mêmes. Ni le temps qu’ils la gardent…
Comment et quand arrêter la tétine ?
Passage souvent complexe que l’arrêt de la tétine… Léonie Cance nous explique que cela dépend des enfants :
« Chaque situation est singulière, on ne peut pas faire de généralités là-dessus. Il y a des enfants qui vont l’abandonner facilement vers 2 ans et d’autres qui vont la garder jusqu’à 4-5-6-7 ans — j’ai rarement vu plus. »
Il y a plusieurs manières de procéder, et pas forcément de bonne ou de mauvaise façon, comme la psychologue nous le dit :
« Il y a des enfants pour qui il va falloir passer par du renforcement positif. Donner la tétine au Père Noël, qui en échange va donner un cadeau.
Avec mon fils, on a fait du renforcement positif verbal, à chaque fois qu’il laissait sa tétine. Et pourquoi pas donner des petites récompenses, pas matérielles, comme avoir le droit de faire une sortie qui lui fait envie par exemple. »
Pour Marie Chetrit :
« Il faut que l’enfant soit prêt mais il faut aussi anticiper, en le challengeant, en lui disant qu’il est capable de limiter son utilisation et petit à petit on va l’emmener un peu plus loin.
On peut y aller progressivement en lui donnant confiance en lui. »
Bien que les tétines aient maintenant des formes physiologiques, ayant beaucoup moins d’impact sur la dentition, certains spécialistes recommandent un arrêt avant 3 ou 4 ans pour qu’il n’y ait pas d’incidence au niveau de l’orthodontie.
Pour résumer, on ne va pas casser bébé en lui proposant la tétine, et elle pourra même être une béquille bien utile ! Que les mères ne craignent pas pour l’allaitement (si celui-ci est installé) et surtout qu’elles arrêtent d’être jugées et de culpabiliser.
À lire aussi : Faut-il laisser pleurer les bébés ? On fait le point dans Débats de parc, notre nouvelle rubrique !
Image en une : The Simpson/Fox
Les Commentaires
Et pour les jumeaux de 15 ans ça ne m'étonnerais pas. J'ai dans mes classes des ados qui sont encore des tétines.