C’est une série qui s’annonce aussi controversée que bien habillée. Si elle sortira le 7 juin 2024 sur Disney+, Becoming Karl Lagerfeld a déjà reçu une longue standing ovation lors de sa présentation en avant-première durant le festival CannesSéries le 7 avril. Si l’on peut saluer la performance d’acteurices, on peut déjà s’interroger sur le portrait qui sera fait du grand couturier, aussi reconnu pour son talent que critiqué pour ses sorties sexistes, classistes et grossophobes.
Au milieu de tout ça, reste la mode. C’est Pascaline Chavanne qui a eu la lourde tâche d’habiller les personnages comme Théodore Pellerin qui incarnera l’amour de la vie du Kaiser, Jacques de Bascher. Arnaud Valois joue son ami et rival Yves Saint Laurent. Alex Lutz endosse le rôle de Pierre Bergé (compagnon d’YSL) et Agnès Jaoui celui de Gaby Aghion (fondatrice de la maison de prêt-à-porter de luxe Chloé). Et c’est Daniel Brühl qui campe Karl Lagerfeld.
À l’heure où toutes les plateformes veulent sortir des séries sur des stylistes stars comme Cristóbal Balenciaga (dans la série du même nom sur Disney+), Christian Dior et Gabrielle Chanel (dans The New Look sur Apple TV+) et maintenant Karl Lagerfeld, quels sont les enjeux d’habiller de telles œuvres ? À quel point les maisons concernés et illustrées acceptent ou non de collaborer ?
Madmoizelle a interrogé la créatrice des costumes de Becoming Karl Lagerfeld, Pascaline Chavanne (nommée à onze reprises lors des César du cinéma, lauréate du César des meilleurs costumes en 2014 pour Renoir de Gilles Bourdos, ainsi que celui de 2020 pour J’accuse de Roman Polanski), pour comprendre les coulisses stylistiques d’une telle série.
Interview de Pascaline Chavanne, chef costumière de la série Disney+ Becoming Karl Lagerfeld
Madmoizelle. Comment êtes-vous devenue costumière ?
Pascaline Chavanne. Après des études de scénographie aux Beaux-Arts j’ai suivi une formation sur le costume d’époque. Très vite, j’ai eu la chance de rencontrer François Ozon. Travailler sur ses films en tant que costumière m’a permis de vivre ce moment très précis où, dans l’intimité des essayages, le personnage prend naissance, au moment même où l’acteur entre dans son costume. C’est très créatif et très stimulant. C’est à ce moment précis que vous comprenez que le vêtement est le premier lieu où l’acteur s’abrite, que le vêtement raconte.
On sait que le moine porte une bure pour que l’on puisse voir immédiatement son statut, mais qu’il est possible de revêtir une bure pour se faire passer pour un moine. Le costume, au-delà de sa fonction de protection, montre ou cache, met en valeur ou camoufle… Le costume raconte. Et c’est précisément cela que j’aime dans mon métier !
Avez-vous facilement accepté de vous occuper des costumes de Becoming Karl Lagerfeld ?
Oui et non. L’idée de travailler sur un personnage comme Karl Lagerfeld était excitante et en même temps effrayante. L’empereur de la mode a de quoi vous tétaniser. Savoir que Jérôme Salles était le réalisateur et Jean Rabasse le chef décorateur m’a rassurée et décidée d’accepter.
Qu’est-ce que représentait Karl Lagerfeld, de son vivant, pour vous, en tant que costumière ? Et Yves Saint Laurent ?
Karl Lagerfeld, c’était une icône en noir et blanc, une énigme, un créateur de mode omniprésent à la créativité débordante, renouvelant sans cesse les silhouettes pour les différentes maisons pour lesquelles il travaillait, débordant d’idées, voir agaçant…
Yves Saint Laurent lui disait « les modes passent, le style est éternel ». Il voulait échapper à une mode éphémère au profit d’un style qui dure. Yves Saint Laurent c’est le tailleur-pantalon, la saharienne et le trench. De Saint Laurent on retient l’œuvre de l’artiste ; de Lagerfeld on retient le personnage, l’icône.
Est-ce une forme de consécration, en tant que costumière, de travailler sur une série à propos de la mode, ou au contraire la marge de manœuvre est-elle beaucoup plus étroite ?
Ce n’est ni une consécration ni une contrainte. À vrai dire, je me suis investie sur cette série comme sur tous les films sur lesquels je travaille et tous les sujets que je traite. Après m’être documentée énormément, après m’être investie dans l’univers de Karl Lagerfeld et l’univers de la vie parisienne dans le milieu de la mode des années 1970, il était très facile de m’en émanciper pour créer l’univers propre de la série. Viser un public contemporain et savoir à qui on s’adresse est très important.
Quel a été votre processus créatif pour habiller les personnages de cette série, puisqu’il s’agit de personnalités ayant réellement existé et hyper-médiatisées, donc il existe beaucoup de photos ? Avez-vous plutôt cherché à reproduire des images d’archives ou au contraire à vous en émanciper ?
On peut croire que lorsque l’on parle de personnalité ayant existé, il suffit de regarder des photos et de reproduire à l’identique. Mais en fait, vous êtes obligé de vous émanciper du réel. Daniel Brülh n’est pas Karl Lagerfeld tout comme Jeanne Damas n’est pas Paloma Picasso. C’est la rencontre entre un acteur et son personnage qui oriente mes choix.
Ce que nous voulions, c’était raconter la vie parisienne dans le milieu de la mode des années 1970, raconter une atmosphère plutôt que chercher à reproduire à l’identique. Tout particulièrement sur cette série, chaque silhouette avait son importance, car tout le décorum qui entoure Karl Lagerfeld a été source d’inspiration pour lui, et c’est cela que nous voulions raconter.
Mon objectif n’est pas de recopier une photo existante, mais de donner à travers le vêtement, les outils justes à un acteur pour l’aider à incarner son personnage. Et cela dans une esthétique donnée.
Lorsque nous faisons une reconstitution d’époque, la difficulté est de faire un juste dosage entre la mode des magazines et la mode de la rue, de la vie. De garder de la vérité dans le rendu afin de ne pas nuire à l’histoire. C’est pourquoi regarder des documentaires d’époques est très instructifs, mais aussi savoir à qui on s’adresse aujourd’hui est capital.
Avez-vous pu collaborer avec certaines maisons concernées comme Chloé et Chanel, pour accéder à certaines archives, par exemple ?
Nous avons eu une très belle collaboration avec la maison Chloé et tout particulièrement Géraldine Sommier, directrice du patrimoine et son équipe. Nous avons fait un véritable travail d’historien. Des recherches très précises d’après les archives photos, les descriptifs des défilés de l’époque et quelques pièces authentiques.
Tout cela nous a permis d’élaborer la gamme couleur et les motifs pour ensuite faire imprimer les étoffes du défilé avant la coupe. Notre histoire s’arrêtant en 1982, date à laquelle Karl Lagerfeld est nommé directeur artistique de la maison Chanel, nous n’avons pas eu à collaborer avec la maison Chanel.
Avez-vous pris plus de plaisir à habiller les femmes de la série comme Agnès Jaoui (Gabrielle Aghion) Jeanne Damas (Paloma Picasso), Claire Laffut (Loulou de La Falaise), Sunnyi Melles (Marlene Dietrich) ou encore Lisa Kreuzer (Elisabeth Lagerfeld) ? Comment décririez-vous leur style respectif ?
Je prends autant de plaisir à habiller les hommes que les femmes.
Pour la série nous avons monté un atelier avec une cheffe tailleur, Francesca Sartori et une cheffe d’atelier flou Justine Vivien. Chaque costume sortant de nos ateliers est unique, nous faisons du vrai sur mesure !
À l’issue de la prise de mesure, Francesca a réalisé le patron. Ensuite pour la réalisation, il y a une quantité infinie de choix de matières, couleurs, et de détails tels que le choix de forme des poches, de revers de piqures… Et enfin d’accessoires. C’est l’ensemble de tous ces détails qui définissent la silhouette finale et font la différence.
Quelle a été votre plus grande difficulté pour cette série ?
Habiller le Karl Lagerfeld des débuts, celui dont on ignorait presque l’existence tant il est loin de l’icône connue de tous. Imaginer le costume créé par Karl Lagerfeld pour Marlene Dietrich !
La série Becoming Karl Lagerfeld sera diffusée à partir du 7 juin en exclusivité sur Disney+
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