Quand on voit l’intérêt pouvant paraître soudain de la génération TikTok pour des colliers de perles, où elle a pu les trouver. Il pourrait aussi bien s’agir d’un modèle fraîchement acheté chez Vivienne Westwood qui en propose depuis des dizaines d’années, ou un héritage de grand-mère, ou encore une pièce chinée en ligne ou en brocante, par exemple. En fait, les bijoux anciens ont toujours eu la cote, mais la façon d’en obtenir se réinvente avec Internet. Lancé le 26 octobre 2022, l’eshop ÓNÍSÌ Paris compte parmi les nouveaux acteurs du marché de joaillerie de seconde main qui valent le détour.
Quand on parle de belles pierres et de métaux précieux, acheter en ligne peut faire peur, mais c’est justement un geste que veut contribuer à démocratiser sa fondatrice, Delphine Abdou-Fitton. Cette passionnée a elle-même chinée tout ce qu’elle propose sur son site et adore mélanger les styles d’époques et de pays différents comme on mélangerait des saveurs façon cuisine-fusion. Elle estime que les bijoux anciens de qualité ne devraient pas être réservés au luxe, et que la seconde main permet justement d’y accéder à un prix plus accessible, tout en épargnant la planète de l’extraction de nouvelles ressources par des techniques polluantes.
Avec Delphine Abdou-Fitton, on a donc parlé de l’intérêt de la joaillerie de seconde main, de traçabilité des pierres et métaux précieux, de diamants de sang, et des petites et grandes histoires dans chaque bijou ancien.
Interview de Delphine Abdou-Fitton, fondatrice d’ÓNÍSÌ Paris
Comment vous présentez-vous ?
Si je devais me définir par mon métier, je dirais que je suis une chasseuse de trésors des temps modernes ! Néanmoins, si je devais me présenter plus personnellement, je commencerais par dire que je suis le fruit d’un métissage béninois, français, martiniquais et indien, et c’est cet héritage multiculturel qui m’a rendue si sensible au mélange des cultures. La diversité culturelle est pour moi une richesse infinie et elle se reflète dans les bijoux que je chine et dans tout ce que j’aime (décoration, gastronomie, etc).
Vous avez d’abord travaillé dans le secteur bancaire, puis la beauté : comment et pourquoi s’est opérée votre bascule vers les bijoux ?
Le secteur bancaire, c’était ma toute première expérience, en apprentissage, et j’y ai mis les pieds parce que j’étudiais à Dauphine donc c’était assez facile de trouver une première expérience dans ce secteur. Très vite, j’ai réalisé que ce n’était pas pour moi et j’ai donc saisi l’opportunité d’un concours organisé par l’Oréal pour travailler dans un domaine qui m’attirait beaucoup plus : la beauté.
À côté de ça, je chinais des bijoux pour moi, dès l’âge de 17 ans. Même si je n’avais pas un gros budget, je mettais de l’argent de côté pour m’acheter des bijoux anciens. À l’époque, je me souviens qu’on me regardait bizarrement quand je disais que mes bijoux étaient de seconde main. Le vintage n’était pas aussi démocratisé qu’aujourd’hui. Du coup, je n’aurais jamais pensé en faire un business à ce moment-là.
Je n’ai pas non plus cherché à travailler dans la joaillerie, car j’aimais travailler dans la beauté. Pour moi, c’était vraiment deux choses distinctes : ma passion pour les bijoux d’un côté et celle pour la beauté de l’autre. J’ai tout appris sur les bijoux en autodidacte, et je dirais qu’en général dans ma vie, toutes les choses qui me passionnent réellement, je les ai apprises avec l’expérience et en échangeant avec d’autres passionnés.
Comment définiriez-vous votre ambition avec ÓNÍSÌ Paris ?
Avec ÓNÍSÌ Paris, j’ai envie de faire du bijou seconde main une évidence, un réflexe lorsqu’on cherche un bijou. Pour l’instant, c’est considéré comme quelque chose de niche, mais à terme, je pense que cela devrait devenir une alternative évidente, au même titre que la seconde main s’est démocratisée face à la fast-fashion.
Des études montrent que l’on a déjà accès dans le monde à assez d’or pour répondre aux besoins de de la joaillerie pour les 50 prochaines années (que ce soit sous forme de bijoux anciens ou en recyclant l’or pour faire de nouveaux bijoux).
Quand on sait à quel point l’industrie aurifère est toxique pour l’environnement, acheter un bijou ancien devient une solution gagnant-gagnant. On achète une pièce unique et de qualité, et on fait quelque chose de bon pour l’environnement.
À qui s’adresse votre eshop de joaillerie de seconde main chinée à travers le monde ?
ÓNÍSÌ Paris s’adresse à toutes les femmes qui veulent se faire plaisir avec un beau bijou, de qualité, aussi bien au niveau de ses matériaux que de sa confection. J’essaie au maximum de proposer des pièces à des prix qui restent accessibles pour ce niveau de qualité. Car pour moi, le bijou ancien ne devrait pas être réservé au luxe. Comme je vous disais, j’ai commencé à collectionner les bijoux à un jeune âge, en économisant, et je ne voudrais pas exclure des jeunes femmes comme moi à l’époque.
Pourquoi proposez-vous pour la plupart des bijoux sans marque connue ? Qu’est-ce qui en fait le charme selon vous ?
Il y a deux raisons à ça. La première, c’est que je suis sensible au design des bijoux avant tout, la beauté d’une pierre, le travail de l’or, les détails, et ça, on le trouve dans d’innombrables bijoux non signés.
La deuxième raison est liée à mon expérience professionnelle : j’ai travaillé pour de grandes marques de luxe, et j’ai réalisé que malheureusement, à l’heure actuelle, on privilégiait souvent le nom de la marque à la qualité.
Je ne dis pas que les marques de luxe ne savent plus faire du luxe, car ce serait faux, mais souvent, c’est la marque qu’on achète avant la qualité intrinsèque du bien.
C’était donc un choix pour moi de remettre la qualité au centre du produit en s’affranchissant du biais que la notion de marque peut introduire.
En quoi la joaillerie de seconde main peut-elle être intéressante quand on veut s’offrir des bijoux éthiques à prix plus accessibles ?
La seconde main est une excellente opportunité car il est très rare, avec une marque actuelle, d’avoir de l’or 18 carats, ou même d’un titre inférieur. Lorsque c’est le cas, c’est extrêmement cher et on ne connait pas forcément l’origine de l’or ou des pierres précieuses (est-ce qu’ils ont été sourcés de façon responsable pour la planète et obtenus de façon éthique).
Avec les bijoux anciens, non seulement on achète un morceau d’histoire et une pièce unique, mais on paye un prix bien inférieur à une pièce identique qui serait produite aujourd’hui.
En matière de bijou de seconde main, on peut craindre un manque de traçabilité concernant les matières premières : peut-on se retrouver avec des « diamants de sang » par exemple ? Comment éviter cela ?
Alors concernant les « blood diamonds », il faut savoir que ces derniers ont commencé à être produits entre le début des années 90, notamment avec les conflits en Sierra Leone, et début 2000, avec la mise en place du processus de Kimberley par les Nations Unies, qui a réformé l’industrie du diamant en mettant en place des contrôles et des lois strictes sur leur importation.
En bref, les bijoux vintage et anciens datant nécessairement d’avant 1990, ces pièces ne représentent par un risque d’utiliser ces diamants. Pour les pièces de seconde main en revanche, c’est plus difficile voir impossible à dire, mais pour ce qui est d’ÓNÍSÌ PARIS, je propose peu de pièces qui datent d’après les années 90. Lorsque c’est le cas, c’est parce que c’est un design très original qui n’aurait pas forcément pu être réalisé avec des techniques anciennes et cela concerne rarement les diamants.
Dans quelle mesure la traçabilité des métaux précieux, pierres précieuses et pierres fines devient un enjeu majeur du secteur de la joaillerie ?
De façon globale, toutes les industries sont de plus en plus soucieuses de garantir la traçabilité de leurs produits. Néanmoins, en joaillerie, les techniques ancestrales utilisées sont très délétères et seules des techniques alternatives permettent de contrôler les problèmes que cela soulève. Par exemple, on utilise du cyanure et du mercure pour extraire l’or, ce qui cause de multiples problèmes environnementaux (empoisonnement des nappes phréatiques, dommages à la santé des travailleurs des mines), et il faut des quantités d’eau démentielles pour faire fonctionner les exploitations minières. Et c’est sans parler des conditions de travail des travailleurs dans les mines qui parfois font appel à de la main d’œuvre infantile, avec une certaine opacité. Donc c’est un enjeu majeur au même titre que toutes les industries qui ont un impact RSE [Responsabilité sociétale des entreprises].
Sentez-vous que cela devient aussi un enjeu majeur aux yeux du grand public aussi ?
Oui, je suis convaincue que le grand public est de plus en plus désireux de savoir que sa consommation n’a pas un impact négatif sur l’environnement, mais encore faut-il le savoir. Il y a encore quelques années, on ignorait les méfaits de la fast-fashion. Maintenant, tout le monde le sait et cela se ressent sur les modes de consommation textile. Acheter de la seconde main est devenu normal. Je suis convaincue qu’à terme, il en sera de même pour les bijoux.
Quelle est la différence entre des bijoux dits « antiques » et « vintage » et pourquoi leur qualité n’a rien à envier aux bijoux contemporains ?
Alors la différence entre antique et vintage, même si elle peut varier d’un vendeur à un autre, est assez simple : les bijoux qui datent d’avant 1930 sont considérés comme anciens, ceux qui datent de 1930 à 1989 sont considérés comme vintage, et de 1990 au-delà, c’est de la seconde main.
Leur qualité n’a rien à envier aux pièces contemporaines, car on utilisait des alliages d’or pur pour des bijoux « de tous les jours » alors qu’aujourd’hui, on ne retrouve cela que dans les grandes marques de joaillerie. Aujourd’hui, même les marques dites de luxe ou premium utilisent de l’or 9 carats au mieux, voire du plaqué or. Il en va de même pour les pierres précieuses : les marques actuelles utilisent principalement des pierres de synthèse, de la pâte de verre ou du verre. Ce n’est pas une mauvaise chose en soi mais la qualité n’a rien à voir.
Pourquoi pourrait-on préférer des bijoux de seconde main plutôt que des bijoux contemporains en métaux recyclés avec des pierres de synthèse ?
Pour moi, l’avantage principal est l’histoire des bijoux et leur caractère unique. On n’achète pas seulement un bijou, on achète un morceau d’histoire : celle de la période à laquelle le bijou appartient, celle du lieu dont il vient… Par ailleurs, on a une pièce qui est tout à fait unique. À mes yeux, c’est une belle façon de revendiquer sa personnalité, à contre-courant des modes et des tendances qui nous dictent d’acheter telle ou telle pièce parce que tout le monde l’a.
Que diriez-vous à quelqu’un qui redoute de s’offrir un bijou de seconde main, a fortiori via internet ?
Je dirais que comme pour les vêtements, les accessoires ou les chaussures en ligne, la première chose, c’est de regarder si, à travers les photos portées, on pense que cela pourrait correspondre à notre style. Après, la principale réassurance que je peux donner c’est que nous offrons les retours en France sous 14 jours. Parce qu’à la fin de la journée, je sais que c’est après avoir porté le bijou qu’on peut être sûre à 100 % de l’aimer. Les photos du site sont très fidèles à la réalité et pour tout dire, les gens sont généralement encore plus séduits quand ils les voient en vrai.
Et à quelqu’un qui redoute d’offrir un bijou de seconde main à un être cher ?
Je lui dirai que comme tout cadeau, s’il est bien pensé par rapport à la personne, il est sûr de faire plaisir. Avec un bijou ancien, c’est encore plus facile d’offrir un cadeau plein de sens, car on peut vraiment utiliser l’histoire du bijou pour faire le lien avec la personne. Par exemple, j’ai une amie anglaise qui habite au Mexique et j’ai dans ma collection personnelle une bague qui est un peso mexicain monté au XIXᵉ siècle en Angleterre pour en faire une bague de fiançailles. Je me dis toujours que cette bague serait un vrai clin d’œil pour elle… si je souhaitais lui offrir ma bague !
On peut aussi jouer sur les pierres de naissance. Par exemple, le style Toi & Moi, qui combine deux pierres, était extrêmement populaire au XIXᵉ siècle en France, et en prenant une bague qui combine un saphir et un diamant, un couple peut symboliser les mois de naissance de chacun (septembre et avril) ou traduire un message (fidélité et éternité).
Au-delà de l’esthétique du bijou et du style de la personne, on peut donc vraiment raconter une histoire unique à travers un tel cadeau et je pense que cela rend sa valeur encore plus importante.
Quelle est la question qu’on ne se pose pas assez en matière de bijoux de seconde main selon vous ?
C’est très personnel et c’est ce qui a donné lieu pour moi à la création de ma marque, mais je trouve qu’on ne se demande pas assez de quel pays viennent les bijoux et c’est pour ça qu’il me tenait de davantage le mettre en avant.
Comme je le disais au tout début, je suis très sensible au multiculturalisme, car je trouve que la diversité est une richesse, même dans les bijoux anciens, et je trouve qu’il est important de le mettre en avant. En France, nous avons la chance d’avoir énormément de beaux bijoux précieux, mais ils ont parfois eu une vie précédente dans un autre pays et quand c’est le cas, c’est bon de le savoir et de le mettre en avant !
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Crédit photo de Une : Marie Hemon @marie_hemon_photographie.
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