Le titre original du documentaire Netflix, My Octopus Teacher, souligne encore mieux sa particularité que sa traduction, mais ne prévient pas assez des larmes qu’il vous fera couler.
Craig est cinéaste, et après deux ans de dur labeur et de pression intense, ne veut plus entendre parler de tournage, de caméra, de montage, de quoi que ce soit. Il désire profondément se reconnecter avec le cap des tempêtes, à la pointe de l’Afrique, où il a vécu durant son enfance.
Mais alors qu’il explore ces eaux semi-profondes de la forêt de kelp, il rencontre une pieuvre qui lui redonne goût à la capture d’images.
Ici, l’humain n’est plus simple observateur de son environnement. Il ne s’exclut pas de la vie dite « sauvage » comme le font la plupart des documentaires animaliers qui s’en tiennent à distance, grâce à du matériel de tournage ultra performant.
La Sagesse de la pieuvre nous rappelle qu’à l’origine, l’humain fait lui aussi partie de ce monde sauvage quand il le traite avec respect, et quand il se soumet aux forces qui lui apprendront comment se reconnecter avec les autres formes de vie.
La Sagesse de la pieuvre, un documentaire animalier pas comme les autres
Comme jamais je n’ai remis un pied à Marineland après avoir vu Blackfish, jamais je ne pourrai commander de nouveau un poulpe farci dans mon resto marseillais préféré.
La Sagesse de la pieuvre
a pour but de nous dévoiler l’extraordinaire animal qui se cache derrière ces tentacules aux 2 000 ventouses, mais joue aussi sur nos affects en pressant la corde de l’émotion.
C’est le procédé de réalisation très spécial de ce documentaire animalier qui permet une véritable rencontre entre Craig, le protagoniste plongeur, et le poulpe femelle avec qui il se lie d’amitié dans l’océan de son enfance, en Afrique du Sud.
Nicolas Sallé est étudiant à l’IFFCAM, institut de documentaire animalier, et oppose les conditions classiques d’un tournage à celles de Craig :
L’approche animale est très différente selon les personnes mais également les sujets. Filmer un lion habitué aux voitures et à l’homme en Afrique ou un animal sauvage et libre en France, c’est très différent.
Si on souhaite travailler avec des animaux sauvages, la préparation est très importante. Plus on est renseigné sur le sujet, plus on a de chance de le comprendre et donc de l’observer. Il est important de connaître son rythme biologique, son alimentation, où il dort, quel type de milieu il fréquente, à quelle période de l’année il se reproduit…
Ce premier travail de renseignement à distance est primordial. Ensuite, tout se passera sur le terrain. À la manière d’un détective privé, il faut retrouver des pistes et chercher des indices sur notre sujet (traces de pattes, crottes, urines, plumes, poils, coulées…). On peut également placer un piège vidéo qui se déclenchera lorsque quelqu’un ou quelque chose passera devant.
Une fois toutes ces recherches effectuées, il est temps de se camoufler dans la nature (faire un affût) à l’endroit propice d’une rencontre.
Déjà, Craig déroge à ces règles en s’immergeant d’abord dans le milieu naturel et mouvementé du cap des tempêtes, avec un minimum d’équipement (un masque, un tuba et un slip de bain) et sans avoir d’idée précise de ce qu’il veut y trouver.
C’est là qu’il tombe nez à nez avec cette pieuvre, puis apprend à la traquer pour mieux l’observer.
Nicolas Sallé décrypte la manière de faire de Craig :
L’homme, dans ce film, est observateur, acteur et metteur en scène.
Dans un premier temps, il pensait seulement être observateur, c’est ce qu’il avait fait depuis tout petit. Fasciné par la faune sous-marine, il s’y adonnait quotidiennement mais restait étranger à ce milieu.
C’est dans cette posture qu’il a pu apprendre énormément de la pieuvre et de son écosystème. Il a pu observer les interactions avec les autres espèces présentes et découvrir des comportements incroyables.
Si les images et l’histoire livrées par le documentaire nous semblent inouïes, c’est parce que ce comportement du documentariste animalier est plutôt novateur :
L’approche animale de Craig est, dans le fond, formidable et très intéressante. Aller sur le terrain chaque jour durant de longs mois, il n’y a pas de meilleur moyen pour observer et découvrir des espèces, des comportements et des interactions entre les différents acteurs d’un écosystème.
Dans la forme, c’est très different. Même si les interactions homme-animal sont très touchantes, ça aurait aussi pu coûter la vie à la pieuvre, et donc au film. Il en avait conscience.
Le rôle de Craig est très ambigu. Déontologiquement, ce n’est pas acceptable dans le cadre d’un documentaire animalier, mais le lien entretenu était tel qu’il n’a pu faire autrement. En étant acteur, il n’a finalement rien appris de plus qu’en étant seulement observateur.
La Sagesse de la pieuvre permet-elle une re-connexion à la nature humaine ?
Paul le poulpe nous démontrait déjà en 2010 pendant la Coupe du monde que les pieuvres avaient largement le potentiel de diriger l’Univers.
Pourtant, s’évertuer à discipliner un monde en créant des civilisations qui nous en excluent, aussi laborieux que ça puisse paraître, semble être le propre de l’humain, et non du poulpe.
Ici, Craig se pose les questions suivantes : l’homme a-t-il encore une place à l’état sauvage ? Et dans cet espace sous-marin en particulier ? Et si oui, dans quelle mesure ? Avec quelles précautions ? Comment le pénétrer sans le ravager ?
Un vrai débat s’ouvre alors, selon Nicolas Sallé :
La proximité de Craig avec le poulpe sur du long terme l’a rendu acteur du documentaire. C’était inévitable. Était-ce ce qu’il souhaitait ? Pas forcément.
C’est justement le but du cinéaste animalier que de ne pas interagir avec son sujet pour ne pas modifier son comportement mais également pour ne pas le mettre en danger.
Craig a justement mis la pieuvre en danger à de multiples reprises. Il aurait pu lui transmettre des maladies en la manipulant sans protections, il l’a mise en danger en lui faisant peur et donc quitter sa cachette précipitamment. Sa proximité avec le poulpe aurait également pu être remarquée par certains de ses prédateurs, comme le requin pyjama, pour la trouver plus facilement.
Rester dans la posture de l’observateur dans le milieu aquatique est toutefois plus difficile que sur la terre, car il n’y a évidemment pas de moyens de se cacher.
C’est justement cette « rencontre » très intime qui rend ce film romanesque. Comme Craig, on est observateur durant le film mais plus son lien se renforce avec le poulpe, plus nous sommes touchés. On devient admiratifs de Craig, fascinés par la pieuvre, on envie presque le lien que les deux ont pu tisser.
On a envie de voir comment leur relation va évoluer, ce qu’il va advenir de cet animal.
En plus d’être un documentaire sur l’octopodidé observé par Craig, La Sagesse de la pieuvre prend sur le même plan le documentariste lui-même comme sujet d’étude.
Il dresse un véritable parallèle entre la pieuvre et l’homme, deux êtres sans défense physique face à la nature, protégés et nourris par leur seule intelligence. Deux êtres d’émotion, capables de se connecter et de créer des relations.
La Sagesse de la pieuvre ramène l’homme à sa véritable nature d’animal savant, en recherche d’apprentissage et d’écoute de l’autre et de son milieu.
À voir de toute urgence sur Netflix !
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