Visé par une main courante après des violences commises à l’encontre de son épouse, le député LFI Adrien Quatennens a annoncé ce week-end sa mise « en retrait de sa fonction de coordinateur » au sein du parti.
Ce dimanche 18 septembre, il s’est fendu d’un long communiqué dans lequel il affirme ne pas vouloir se résoudre à « faire le dos rond, minimiser les faits et attendre que la tempête passe ».
La rengaine de l’homme quitté
Prendre la parole dans ce contexte n’a rien d’anodin. Si certains crient au courage face à la démarche, (un homme, un vrai, ça prend ses responsabilités, n’est-ce pas ?), on peut aussi y voir tout simplement une volonté de prendre le contrôle de la narration, en choisissant savamment certains mots et certaines tournures au détriment d’autres. C’est lui qui raconte sa version de l’histoire, et c’est donc celle qui va primer dorénavant.
Une transparence qui ne laisse donc rien au hasard et qui permet à Adrien Quatennens de se montrer sous le jour d’un homme respectable, reprenant ainsi le poncif de l’homme quitté qui pète malencontreusement un plomb car fou de douleur de voir son mariage voler en éclats.
Cela fait des années maintenant que des féministes alertent justement sur la construction médiatique de cette image qui nourrit l’imaginaire collectif autour des violences faites aux femmes. Ce même imaginaire qui formate l’idée de « crimes passionnels », jolie formule teintée de romantisme qui banalise tant les féminicides.
Le poids des mots
Que l’agresseur raconte lui-même les violences qu’il a commises devrait interpeller et les mots choisis méritent qu’on s’attarde sur eux. Des mots flous. Adrien Quatennens parle de « tensions » dans le cadre d’un divorce, d’une « rupture de communication », de plusieurs « disputes ».
Il parle aussi d’une « agressivité mutuelle », manière d’installer l’idée que dans cette affaire de divorce qui aurait mal tourné, les torts sont partagés. Il reconnaît certains torts de façon plus précise, comme celui d’avoir pris son portable à son épouse : « Voulant le récupérer, elle m’a sauté sur le dos. Je me suis dégagé et, en me relâchant, elle s’est cognée le coude. » Ou plus loin, une « gifle », lors d’une autre dispute il y a un an.
« Cela ne me ressemble pas et cela ne s’est jamais reproduit ». Empêcher à son ou sa partenaire de récupérer son portable ou un coup porté au visage, tout en insistant sur la dimension exceptionnelle du contexte (« un moment particulier et rare de tension »), n’annule rien le fait que ce sont bien des violences.
« J’ai envoyé de trop nombreux messages » reconnait plus loin Adrien Quatennens, une jolie formule pour dire qu’on a été un peu trop insistant. Et s’il était plus juste de dire qu’on a harcelé ? Dans une volonté de se présenter comme un homme digne qui ne se laisse pas aller à la violence, qui se maîtrise (sauf une fois), cela sonne tout de suite moins bien.
Ce sont des éléments de langage qu’on a déjà lu ou entendu dans d’autres affaires, qui mettent l’emphase sur le contexte de rupture pour faire passer pour logiques, attendus, voire naturels, des accès de fureur conduisant à des violences. « Elle le quitte, il la tue ». Ce slogan brandi dans la rue, collé sur les murs, c’est aussi un rappel de la fréquence des violences conjugales dans des contextes de ruptures. Cela n’a rien de rare, ni d’anecdotique. C’est systémique.
Cette colère des hommes quittés, on devrait la comprendre, après tout, on a le droit d’être en colère de voir se terminer tant d’années d’amour. Des violences trop souvent frappées du sceau de la vie privée, invoquée ici à tour de bras, notamment pour rappeler que la victime elle-même ne voulait pas que les médias s’emparent de l’affaire.
Un soutien aux victimes… sauf quand l’agresseur est un pote
On pourrait s’en tenir là, à une analyse de texte dans tout ce qu’il a de plus révoltant et insidieux, mais c’est aussi les réactions internes d’une partie de La France Insoumise qui ont de quoi nous mettre en colère.
À commencer par celle de Jean-Luc Mélenchon, malaisante d’indécence, qui met face à face la victime et l’agresseur et loue finalement le « courage » de ce dernier. Pour le courage de la victime qui ose se rendre au commissariat, on repassera.
Jean-Luc Mélenchon ajoutant quelques heures plus tard dans un autre tweet, comme pour souligner que malgré toute cette « affection » adressé à Adrien Quatennens, il n’a pas complètement oublié celle qui est une victime de violences dans cette affaire : « Mon affection pour lui ne veut pas dire que je suis indifférent à Céline. Elle ne souhaitait pas être citée. Mais je le dis : une gifle est inacceptable dans tous les cas. Adrien l’assume. C’est bien. »
Des hommes nous disent haut et fort, main sur le cœur, qu’ils soutiendront les femmes, qu’il ne faut plus rien laisser passer, qu’ils écouteront les victimes… jusqu’à ce que soient leurs copains, leurs collègues, leurs frères et leurs pères qui se retrouvent accusés de violences. Se levant comme un seul homme, ils nous font alors comprendre que dans ce cas précis, leur solidarité, leur soutien inconditionnel, leur dégoût des violences sexistes et sexuelles, tout cela peut atteindre une limite, tout cela est soudain renégociable. Adieu les grands principes, il ne s’agit plus d’un problème collectif, mais d’un cas individuel, à part, à qui on trouve facilement des excuses ou des circonstances atténuantes.
Face à la réaction d’Olivier Faure, chef du PS, l’ancienne ministre Aurélie Filipetti ne peut s’empêcher de l’interpeller, rappelant ainsi que lorsqu’elle avait porté contre son ex-mari l’économiste Thomas Piketty pour violences conjugales, le PS n’avait pas été si vocal :
À travers cette question toute rhétorique, elle pointe l’action (ou peut-être l’inaction) de la gauche pour lutter contre les violences sexistes et sexuelles, déjà ébranlée par d’autres accusations de violences ces derniers mois, d’abord Taha Bouhafs, ensuite Éric Coquerel.
Une exemplarité que le monde politique dans son ensemble peine à atteindre.
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Crédit photo : Capture
Si vous ou quelqu’un que vous connaissez est victime de violences conjugales, ou si vous voulez tout simplement vous informer davantage sur le sujet :
- Le 3919 et le site gouvernemental Arrêtons les violences
- Notre article pratique Mon copain m’a frappée : comment réagir, que faire quand on est victime de violences dans son couple ?
- L’association En avant toute(s) et son tchat d’aide disponible sur Comment on s’aime ?
Écoutez Laisse-moi kiffer, le podcast de recommandations culturelles de Madmoizelle.
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