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La rentrée littéraire, le Goncourt et moi

Sarah est une lectrice de Rockie et une bibliothécaire passionnée. Régulièrement, elle partage sur le magazine ses coups de cœur en matière de livres. Aujourd’hui, elle te parle de son rapport à la rentrée littéraire et au Goncourt.

Vous commencez à le savoir, dans la vraie vie réelle, je suis bibliothécaire. Quand on travaille dans les métiers du livre (bibliothèque, mais aussi librairie et encore plus édition), il y a une période qu’on ne peut pas louper : la rentrée littéraire !

La rentrée littéraire, c’est quoi ?

Le saviez-vous ? Même quand on part en vacances les valises alourdies par des tonnes de pages, les livres ne prennent pas de vacances ! Mais que recouvre alors cette expression étrange de « rentrée littéraire » qui envahit les Unes des journaux dès la fin août ?

La rentrée littéraire est un événement qui s’étend de la mi-août à la mi-novembre, en gros, et qui permet aux éditeurs de mettre en avant leurs nouveautés. C’est aussi l’occasion de mettre en lumière des livres phares, pour préparer la saison des prix littéraires qui a lieu à l’automne.

En vérité, malgré le glamour et le chic mis en avant par les éditeurs et les magazines, il ne faut pas oublier ce qu’est avant tout cette période : une opération marketing afin de booster les ventes pendant le temps le plus propice pour préparer Noël…

Eh oui, si vous m’avez connue enthousiaste, joyeuse ou triste au cours de mes chroniques sur Rockie, je suis pour celle-ci un poil cynique…

Ces dernières années, ce ne sont pas moins de 800 romans qui sortent pour la rentrée, autant dire beaucoup trop pour que la qualité soit stable et qu’on puisse absorber toutes les pépites littéraires qu’on nous vend à longueur d’ondes.

Et trop aussi pour que nous, les professionnels du livre, puissions faire des sélections qui tiennent à autre chose qu’au hasard et/ou qu’au bagou des éditeurs. Bref, la rentrée littéraire, je m’en suis longtemps méfiée…

Ce qui m’énerve avec la rentrée littéraire

Si en été on se détend et on lit de petits romans légers, en automne, ça rigole plus et on se tartine toutes les histoires des grands auteurs et autrices françaises qui nous parlent de misère sociale, de guerres à l’autre bout du monde et autres ambiances peu sympatoches.

Après tout, le jour se couche plus tôt donc autant saisir l’occasion au vol pour se taper une bonne petite déprime, non ?

Souvent, c’est aussi à ce moment que les éditeurs mettent en avant leurs romans « à style », c’est-à-dire plus osés dans les libertés avec la langue, la syntaxe, les images…

C’est vrai que ce sont des caractéristiques qui sont encouragées par les prix littéraires (dont le plus célèbre est le prix Goncourt, mais en fait il y en a plein !). Celles-ci ne rendent toutefois pas toujours la petite lecture du soir post-journée de travail très aisée.

Bon, vous l’aurez compris, la rentrée littéraire est une période que je fuis un peu…

Elle est à la fois tout ce que j’aime (Yay, on parle de livre partout pendant un bon mois et ensuite ça reste dans l’actu avec les prix, et en plus j’ai (malgré tout) envie de tout lire !) et tout ce que je déteste (Su-per, Machin sort son livre de l’année qui va encore être écrit avec les pieds juste pour honorer son contrat, et Bidule nous refait le coup de sa déprime de quadragénaire dans sa huitième variante…).

Sans compter que la rentrée est en grande majorité terriblement blanche et mâle… Et que ça me fatigue un peu.

Mon premier Goncourt

Toutes ces analyses sont belles et bonnes, mais j’ai toujours par parlé de bouquin ! Diantre, suis-je ici seulement pour me plaindre ? Pour dégouter les fier.es lecteurs et lectrices de Rockie de la lecture, après 9 mois de chroniques ininterrompues ? Certes pas ! Car malgré mon avis mitigé j’ai, moi aussi, eu mes coups de cœur au fil des années. Et pour vous, en exclu, voici l’histoire de mon premier Goncourt.

Je le répète, ce roi des prix littéraire était très loin de mes préoccupations pendant des années. Quand je faisais mes études de lettres, il était jugé indigne de La Grande Littérature (celle qui s’est arrêtée avec Perec et n’a plus jamais repris – berk berk la littérature contemporaine, c’est tout nul et pour les nazes).

Et quand j’ai quitté les études, il était trop prétentieux pour moi qui étais très heureuse de me rouler dans la fantaisie et les BD après des années de listes de lectures obligatoires. Déso mon vieux Goncourt, mais j’ai raté le créneau !

Et puis, j’ai commencé à préparer les concours des bibliothèques. Ces incroyables exercices où il faut maitriser la « Culture Générale », soit tout savoir de la mort de Louis XVI à l’élection d’Emmanuel Macron dans tous les domaines possibles. Joie joie joie.

Et un jour que je bossais sur la Première Guerre mondiale, une amie m’a conseillé de me « détendre » en lisant un roman sur le sujet (oui, comme en première année de médecine, quand tu fais une pause statistiques pour te recharger entre deux annales de chimie). Et ce roman a été un coup de cœur magistral.

Au-Revoir Là-Haut, de Pierre Lemaitre

Au Revoir Là-Haut raconte l’histoire du retour de la Première Guerre mondiale. Ce roman incroyablement bien écrit explique comment le 11 novembre 1918, après 4 ans à mourir par milliers tous les jours au nom de la patrie, les survivants ont été oubliés et mis au placard.

Après tout, n’étaient-ils pas gênants avec leurs bras en moins, leurs veuves à qui il fallait rendre les corps et payer des pensions ? Qui veut d’une gueule cassée au guichet d’une banque ?

Au Revoir Là-haut est un roman viscéral qui parle de vie, de mort, le tout dans un style et avec un humour renversants. Sur un tel sujet, je ne m’attendais pas du tout à rire ! Et pourtant, quand Pierre Lemaître précise que la famille d’un personnage était « antidreyfusarde de père en fils depuis la révolution », j’ai été cueillie.

L’histoire, que j’essaye de ne pas trop dévoiler, est à la fois percutante et touchante. Si l’héroïne est la période, ces années 1919-1920 où la France se relève d’un massacre sans précédent, ce sont les personnages de Lemaître évoluant dans cette ambiance d’après-guerre qui font la réussite du roman.

Ils sont nombreux, avec des styles très différents et surtout des visions du monde aux antipodes. Ils sont également assez peu représentés dans la littérature, et ils m’ont accrochée au point de ne pas pouvoir lâcher ce livre avant la dernière page.

Et là, stupéfaction : quoi ? J’ai lu le Goncourt 2013 en trois jours ?! Mais… On avait dit que c’était chiant !

Ma stratégie pour la rentrée et les prix littéraires

Je ne peux que t’encourager à lire ce livre, si ce n’est pas déjà fait. Il a le gros avantage d’avoir été décliné, donc si les prix t’intimident encore un peu (je te comprends si fort…), il est dispo en

livre audio (lu par l’auteur, à savourer sur le chemin du travail ou en balade dans les bois), en BD (il manque à mon sens la narration si réussie mais l’ambiance est là), et en film (réalisé par le talentueux Albert Dupontel).

Et si tu as déjà englouti Au Revoir Là-haut, et que ça t’a plu, je te conseille la suite, Couleurs de l’incendie, qui est aussi vraiment chouette. Il met plus l’accent sur un personnage féminin, et a également des points de vue extrêmement intéressants.

Depuis ce coup de cœur, j’adopte la tactique suivante : je lis la rentrée littéraire, en tous cas une partie, mais à la bourre. J’attends que les poches sortent, qu’il n’y ait plus une attente de 8 semaines pour les emprunts à la bibli, et que la hype soit un peu passée. Les attentes sont plus basses et je découvre des pépites.

Je garde ce qui me plait dans la rentrée littéraire : le fait de voir l’ensemble de ma profession s’agiter de bonheur autour de piles de livres neufs, en guettant les sélections et en écrivant des avis passionnés.

Et de mon côté, je reprends mon plaid, mon thé, et je relis Harry Potter en attendant mon heure.

Et toi, c’est quoi ton rapport à la rentrée littéraire ? Il y a des livres que tu as particulièrement envie de lire cette année ?


Écoutez Laisse-moi kiffer, le podcast de recommandations culturelles de Madmoizelle.

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