C’est sans conteste le dossier inflammable de ce début d’année 2023.
Alors que la Première ministre Élisabeth Borne a présenté ce mardi 10 janvier 2023 le contenu de la réforme des retraites, syndicalistes et activistes continuent de s’inquiéter des conséquences de l’allongement de la durée de cotisation à 64 ans en 2030. Les nouvelles mesures annoncées peuvent-elles en outre avoir un impact sur la retraite des femmes ? Elles sont plusieurs à affirmer que oui, les femmes vont être grandement pénalisées par la réforme. Explications.
La retraite, reflet des inégalités salariales
« Allonger la durée de cotisation va évidemment toucher davantage les femmes », nous explique Christiane Marty, ingénieure et membre du Conseil scientifique d’Attac et de la Fondation Copernic. « Elles ont déjà des carrières en moyenne plus courtes. Elles auront encore plus de mal à réunir la durée de cotisation nécessaire, et leur pension en sera diminuée, puisqu’elle est calculée au prorata de la durée de carrière. »
Les chiffres parlent d’eux-mêmes sur les inégalités femmes-hommes dans l’emploi, qui vont avoir une conséquence directe sur l’accès à la retraite : si déjà les écarts de salaire sont marquants, les femmes touchant en moyenne un revenu inférieur de 22 % par rapport à celui des hommes, la pension de retraite ne peut qu’en être le reflet. Elle est même en moyenne 40,5 % inférieure.
Des salaires plus bas, mais aussi des carrières plus courtes, plus incomplètes. « Cette réforme ne fait rien contre les inégalités, elle vise juste à faire des économies », poursuit Christiane Marty.
« Elisabeth Borne a annoncé qu’elle sera plus juste pour les femmes, car l’âge de l’annulation de la décote ne bougera pas. Or, la décote, c’est un abattement supplémentaire sur la pension qui est très défavorable aux carrières incomplètes : c’est une double pénalisation des carrières incomplètes.
Maintenir la décote et l’âge d’annulation, où est le progrès pour les femmes ? »
Un impact sur les femmes proches de l’âge de la retraite
Selon les chiffres de 2021 de la Direction de l’animation de la recherche, des études et des statistiques, 43,9% des 55-64 ans sont en situation d’inactivité. Une étude de l’Agirc-Arrco montre que plus d’un tiers des personnes retraitées de 2020 n’étaient pas en emploi au moment de prendre la retraite, mais étaient au chômage, en situation d’inactivité sans indemnisation, ou bien en invalidité. Parmi elles, 60% étaient des femmes. « Reculer de deux ans l’âge de la retraite en prétendant qu’il faut travailler plus, c’est inefficace et injuste », déplore Christiane Marty. « Les employeurs se débarrassent déjà des seniors. Celles et ceux qui sont déjà hors emploi avant la retraite n’ont aucune chance de retrouver un emploi. Cela ne fera qu’allonger cette période de précarité où ils perçoivent au mieux des minima sociaux »
En repoussant l’âge de la retraite, le gouvernement affirme vouloir augmenter l’emploi des seniors. Mais selon Sophie Binet, chargée de l’égalité femmes/hommes à la CGT, la situation actuelle n’étant déjà pas favorable, la réforme n’aura pas l’impact désiré sur ce point :
« À chaque fois qu’on reporte l’âge, contrairement à ce que raconte le gouvernement, ça n’augmente pas l’emploi des seniors, parce que les entreprises ne veulent pas de seniors, parce qu’elles ne veulent pas les payer et parce qu’il y a des emplois trop pénibles.
En revanche, ça va augmenter le nombre de seniors au chômage, avec ou sans allocations chômage et toucher encore plus les femmes que les hommes. »
La pénibilité des métiers dits féminins, un angle mort de la réforme ?
Élisabeth Borne a aussi défendu une réforme qui prendra « en considération l’usure professionnelle liée aux conditions d’exercice de certains métiers ». Mieux prendre en compte la pénibilité au travail, la prévenir ainsi que la compenser en autorisant à quitter le monde du travail plus tôt, c’est là une demande des syndicats.
À l’heure actuelle, le compte professionnel de prévention ou C2P (anciennement compte personnel de prévention de la pénibilité) permet à des salariés de partir avant l’âge de la retraite s’ils remplissent un certain nombre de critères de pénibilité. Seulement « une minorité » en a bénéficié, 10 000 personnes, et davantage les hommes que les femmes, souligne Sophie Binet, qui pointe aussi que la pénibilité des métiers à prédominance féminine est aujourd’hui « occultée » :
« Il manque le critère du travail répétitif, qui est marqué sur les métiers d’exécution féminins, comme le métier de caissière par exemple. En ce qui concerne le port de charge lourde, le port d’un sac de ciment est considéré comme charge lourde, mais pas porter un malade ou un enfant et on ne prend pas en compte le port de petites charges cumulées.
Il y a aussi le critère de bruit, on parle de celui des machines, mais pas de celui des gens, alors que l’important, c’est le résultat que ça fait dans les oreilles.
Enfin, il n’y a aucune prise en compte de la charge nerveuse qui caractérise les métiers féminisés, le fait de travailler avec des gens qui souffrent, qui sont proches de la mort. »
Les femmes sont la solution
Pour Sophie Binet, il s’agirait de placer la situation des femmes « au cœur de toute réforme » : « D’abord parce qu’elles sont très défavorisées dans le système actuel, mais aussi parce qu’elles sont la solution. Si on mettait en place l’égalité salariale, ça générerait pendant les quarante prochaines années un surcroît de cotisation très important pour financer ce fameux déficit qui menacerait l’avenir de notre régime. Pourquoi est-ce que le gouvernement ne fait pas l’égalité salariale ? »
Christiane Marty défend aussi un changement de société radical car « refuser cette réforme ne suffit pas », estime-t-elle :
« Il faut améliorer le système et cela implique de prendre en compte tout ce qui vient en amont : se pencher sur les inégalités dans l’emploi ; sur la pénibilité, pas seulement la réparer mais aussi faire en sorte de la prévenir ; s’attaquer sérieusement aux inégalités salariales entre les femmes et les hommes.
Ça devrait être aussi l’occasion de poser un vrai débat, car l’urgence climatique impose aussi de reconsidérer ce qu’on produit, de répondre en priorité aux besoins sociaux et écologiques, de réorganiser le travail avec de nouveaux droits pour les salariés pour permettre de redonner du sens au travail. La retraite concerne en fait un choix global de société. »
Une journée de grèves et de mobilisations aura lieu ce jeudi 19 janvier, à l’initiative de l’ensemble des syndicats, mais aussi soutenue par l’Unef et la Fage, côté étudiants.
Pour savoir comment la réforme des retraites va impacter l’âge de votre départ à la retraite, ainsi que le calcul de vos droits, il existe plusieurs simulateurs permettant d’obtenir une estimation :
- Le simulateur de l’Assurance retraite
- Le service Suis-je concerné d’Info Retraite
- Le simulateur du collectif Nos Retraites
À lire aussi : Réforme de l’assurance-chômage : marche arrière sur un décret qui fâche
Crédit photo : Mart Production via Pexels
Les Commentaires
J'ai regardé mes trimestres et ma retraite : taux plein à 65 ans et 9 mois avec 1023€. Je me vois bien dans mes champs à 65 ans, les genoux et le dos en vrac
Du coup, ce matin, je vais à la manif !
Et sinon pour les agriculteur.ice.s :
''La France compte 1,3 million d'anciens agriculteurs non salariés (chefs d'exploitation, conjoints et aides familiaux), touchant une retraite moyenne de 1 150 euros brut/mois. C'est 350 euros de moins que la moyenne des retraités. La proposition de loi vise à l'équité entre assurés sociaux et à renforcer l'attractivité du métier d'agriculteur
La loi permet la revalorisation de 100 euros en moyenne par mois des plus petites retraites agricoles : celles des conjoints collaborateurs et des aides familiaux. Leur retraite mensuelle avoisine aujourd'hui 600 euros dans le meilleur des cas. Plus de 210 000 retraités, dont 67% de femmes, pourraient être concernés au 1er janvier 2022. "
Source vie publique