« La loi de bioéthique oblige les personnes transgenres à choisir entre la procréation et leur changement de mention de sexe à l’état civil, pourquoi ? », interroge Marie Mesnil, membre du Groupe d’information et d’action sur les questions de procréation et sexuelles (Giaps), ce 29 juin 2022, auprès de Madmoizelle.
En effet, la révision de la loi de bioéthique, adoptée en août 2021, a exclu les personnes transgenres de la procréation médicalement assistée (PMA), ainsi que de l’autoconservation des gamètes (ovules ou spermatozoïdes).
Une décision portée volontairement par le gouvernement macroniste, synonyme d’une « atteinte à l’égalité » pour l’association Giaps, composée principalement de juristes, qui a obtenu, le 28 juin 2022, une audience exceptionnelle sur cette question devant le conseil constitutionnel.
Homme à l’état civil, doté d’un utérus, et interdit de PMA…
Depuis le 28 septembre 2021, jour de la publication du décret fixant les conditions d’organisation et de prise en charge des parcours d’assistance médicale à la procréation (AMP), l’association Giaps a entrepris des actions juridiques pour faire évoluer le droit sur l’accès à la PMA pour les hommes transgenres. Mais quel problème pose-t-il ? Le fameux décret stipule que :
« Les conditions d’âge requises par l’article L. 2141-2 pour bénéficier d’un prélèvement ou recueil de ses gamètes, en vue d’une assistance médicale à la procréation, sont fixées ainsi qu’il suit : 1° le prélèvement d’ovocytes peut être réalisé chez la femme jusqu’à son quarante-troisième anniversaire ; 2° le recueil de spermatozoïdes peut être réalisé chez l’homme jusqu’à son soixantième anniversaire. »
Autrement dit, selon ce décret, il n’est pas prévu la possibilité de recueillir des spermatozoïdes chez des femmes, et des ovocytes chez les hommes. Ce texte ouvre seulement l’AMP aux « couples de femmes et aux femmes non-mariées ». Ici réside tout le débat soulevé : pourquoi les hommes trans, reconnus comme tel à l’état civil mais encore dotés d’un utérus, ne peuvent-ils pas recourir à la PMA ?
Récap’ de l’audience devant le Conseil constitutionnel
Saisi par le Giaps sur cette problématique, et pour éviter qu’un cas individuel d’une personne transgenre soulève cette incohérence devant le tribunal administratif, le Conseil d’État a donc transmis cette question prioritaire de constitutionnalité (QPC) au Conseil constitutionnel, en charge du contrôle de conformité de la loi à la constitution.
C’est donc le 28 juin 2022, que Me Magali Lhotel, avocate de l’association Giaps, a fait face aux Sages, dans une audience retransmise en direct sur le site de l’institution française. Elle a très vite rappelé que depuis 2016, les personnes transgenres n’ont plus besoin de recourir à une stérilisation médicale pour obtenir un changement de sexe à l’état civil. D’après elle, cela signifie que la législation a « admis que des hommes puissent mener une grossesse. ». À noter que cela est concrètement possible sans assistance médicale, dans le cas d’un homme trans en couple avec un homme cisgenre.
Pour Antoine Pavageau, représentant du gouvernement sur cette QPC, il est difficile d’accéder à cette requête du Giaps, d’autant plus que tous les amendements en ce sens avaient été rejetés lors de la discussion parlementaire :
« Cela reviendrait à reconnaître une nouvelle catégorie sexuelle, masculin pour l’état civil et féminin pour l’accès à l’assistance médicale à la procréation. Mais la binarité est nécessaire à l’ordre social et juridique car elle permet d’assurer le maintien des droits des personnes.
Certes, les hommes transgenres ayant fait changer leur état civil sont exclus [de la PMA], mais ce n’est pas une discrimination liée à leur orientation sexuelle ou leur statut de couple. Aucun principe constitutionnel n’impose d’ouvrir la PMA à l’ensemble des personnes. »
Le haut fonctionnaire a également rappelé que les hommes transgenres peuvent tout de même recourir à la PMA s’ils sont en couple avec une femme. Un argument hypocrite et faux, comme l’explique Marie Mesnil :
« C’est une petite malice de la part du gouvernement car on peut comprendre cette phrase de plusieurs manières. Ils jouent sur le fait qu’on puisse penser que l’homme transgenre qui accède à la PMA avec une femme peut bénéficier personnellement des techniques, alors qu’en fait, ce n’est pas vrai. Ce n’est pas l’esprit de la loi et ce n’est pas ce que dit le décret du 28 septembre dans lequel seule la femme a vocation à porter l’enfant. »
L’association Giaps espère tout de même une « petite victoire »
Toutefois, la membre du Giaps garde espoir, et assure que ce serait même une « petite victoire » si le Conseil constitutionnel reconnaissait déjà que « les hommes transgenres en couple avec une femme pourraient accéder à la PMA et en bénéficier dans leur propre corps. » À la suite de cette hypothétique décision, l’association pourrait alors faire valoir qu’il n’y a aucune raison de la limiter aux hommes uniquement en couples hétérosexuels ou aux hommes seuls.
Toujours est-il que le débat sera tranché le 8 juillet prochain. Une première historique pour le Conseil Constitutionnel qui devra se positionner enfin explicitement sur l’exclusion des personnes transgenres. Trois épilogues sont envisageables : qualifier ces dispositions d’inconstitutionnelles, ou bien les annoncer comme conformes à la constitution. Et dans le cas où les Sages n’arrivent pas à trancher, ils pourront également émettre « une réserve d’interprétation ».
Quel qu’en soit le dénouement, pour Marie Mesnil, le plus important restait de mettre en lumière ce combat. Une nouvelle fois, il s’agit de lutter contre la transphobie d’État, et peut-être même un jour de porter cette question jusqu’à la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH), telle que l’explique la juriste :
« Pour saisir la Cour européenne des droits de l’homme, il nous faudrait un cas individuel. Cela voudrait dire recommencer un contentieux de zéro. On l’envisage. Malheureusement, ce n’est pas un projet réalisable à court terme. »
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Image en Une : Manifestation du 21 février 2021 – © Maëlle Le Corre
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