Avoir peur d’accoucher, parfois même avant d’être enceinte, est une crainte assez répandue chez les femmes. Il y a même un mot savant pour en parler : la “tocophobie” ou peur pathologique de l’accouchement.
Entre 2,5% et 22% des femmes seraient concernées par ce phénomène selon les différentes études menées sur le sujet – une proportion qui varie grandement selon le niveau d’angoisse des femmes retenu par les études.
Certaines souffrent en effet de tocophobie légère – du genre à serrer les fesses en voyant une scène d’accouchement à la télévision – quand d’autres sont atteintes d’un trouble beaucoup plus sévère qui nécessite l’accompagnement d’un professionnel pour être soigné.
La peur d’accoucher et le « secret maternel »
Je fais partie de ces nullipares (ce mot est affreux, on est d’accord ?) qui redoutent déjà un hypothétique accouchement. Et j’ai cherché à comprendre pourquoi j’ai si peur d’accoucher.
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En un siècle, la naissance est devenue un truc intime qui se vit en couple et avec les soignantes et soignants, loin des regards. Un genre de huis clos à la maternité.
Avant, elle avait lieu à domicile, et toutes les femmes de la maisonnée (sur plusieurs générations) pouvaient y assister, voire donner un coup de main. Aujourd’hui, le premier accouchement auquel on assiste, c’est le sien (non, la vidéo vue en cours d’SVT au collège – avec à vos côtés Kévin qui ricane et Julie qui écarquille les yeux – ne compte pas).
Le résultat, c’est qu’il y a moins de transmission familiale et comme une chape de plomb qui pèse sur ce moment si particulier de la vie des femmes.
Florence Foresti a été l’une des premières à dénoncer cette omerta dans son sketch hilarant sur l’accouchement où elle explique être soumise au « secret maternel ».
L’accouchement ou la peur de l’inconnu
D’ailleurs, est-ce que vous avez déjà demandé aux femmes de votre entourage de vous raconter leur accouchement en détail ? Pas juste de vous dire des généralités du style : « c’était long sur la fin », « l’épisiotomie/la cicatrice de la césarienne ça tire un peu après », « l’essentiel c’est qu’on soit en bonne santé tous les deux ».
Personnellement, je n’ai pas osé avec mes copines, tantes ou cousines qui ont accouché récemment. Sûrement par pudeur (toujours cette dimension intime de l’accouchement), peut-être aussi un peu par peur de ce qu’elles pourraient me dire.
Du coup, les récits en ligne, sur les blogs ou les forums – sont les seuls auxquels on accède facilement, mais ils sont forcément parcellaires.
Les femmes qui ont vécu des accouchements exceptionnels sont souvent plus susceptibles de venir les raconter que les autres. Du genre, j’ai accouché en 30 min dans mon bain sans douleur ni péridurale ou, à l’inverse, ça a duré 72 heures et j’ai eu treize points de suture.
J’ai envie d’entendre plus de récits de femmes qui viennent d’accoucher. Et pas uniquement dans leur dimension logistique (la durée, les interventions…) mais aussi savoir ce qu’elles ont ressenti et pensé. Heureusement, les podcasts Bliss existent désormais, entre autres.
Même s’il n’existe évidemment pas d’accouchement type, car chaque femme et chaque enfant sont différents.
« Ce qui se passe dans une histoire de naissance, c’est un événement extrêmement singulier, même pour les femmes qui ont plusieurs enfants. À chaque fois, on se retrouve à vivre les choses pour la première fois », assure Isabelle Derrendinger, directrice de l’école des sage-femmes du CHU de Nantes.
L’accouchement et la peur de la douleur
Vous avez le droit de me traiter de Captain Obvious, mais j’ai bien sûr peur d’avoir mal. De ressentir une douleur insupportable, pire que la fois où j’ai eu un abcès gros comme un dé à coudre dans la gencive et que j’ai pensé que ça passerait à coup de Doliprane — ne faites pas ça chez vous.
Cette histoire de douleur, ça remonte à loin. Dès la Bible, on nous bassine avec la punition d’Ève suite au péché originel : « Tu enfanteras dans la douleur ».
Et ça continue dans la pop culture où l’on voit toujours des femmes en train d’accoucher en hurlant, le visage tordu par la douleur et les cheveux collés par la transpiration avant d’expulser un bébé en deux minutes top chrono.
« L’accouchement, c’est un moment fort et physique, car l’utérus est un muscle extrêmement puissant. Le problème, c’est qu’on s’est un peu déconnectées de notre physiologie. On ne trouverait pas les accouchements si violents si on avait une totale compréhension du fonctionnement de notre corps. Ce qui nous désoriente, c’est souvent qu’on le découvre en devenant mère », explique Catherine Coq qui a exercé en tant que sage-femme pendant 25 ans et qui a publié un roman sur le sujet : La chronique du périnée.
Aujourd’hui, la douleur peut être prise en charge, notamment grâce à la péridurale qui n’est ni un miracle ni une obligation, mais une option intéressante.
On peut aussi se préparer à gérer la douleur des contractions avec des exercices de respiration, des points de compression, etc.
Je peux aussi me dire que contrairement à d’autres douleurs, celle-ci est tournée vers un but : la naissance d’un enfant que j’aurai a priori plutôt envie de rencontrer. O.K., mais il me reste une louche d’angoisse, je vous en remets un petit peu ?
Peur d’accoucher, peur de mourir
J’ai hésité avant d’évoquer ce point dans mon article. Déjà parce que parler de la mort, ce n’est pas un truc que je faisais tous les matins dans mon précédent job, mais surtout parce que je ne veux pas ajouter du stress aux femmes enceintes qui ont déjà suffisamment de sujets d’inquiétudes comme ça.
Mais oui, mourir en donnant la vie, ça fait partie du lot des femmes depuis des millénaires. Et si cela arrive encore dans les pays développés, c’est devenu extrêmement rare.
Selon une enquête de l’INSERM de 2019, 85 femmes décèdent par an en France d’une cause liée à la grossesse, à l’accouchement ou à leurs suites, sachant que l’on compte environ 820.000 naissances par an.
Aujourd’hui, les grossesses et les accouchements sont bien suivis, les règles de l’hygiène sont respectées et les professionnelles de santé bien formées. Bref, on a plus de chances de mourir dans un accident de voiture (3.700 morts sur les routes en 2019) qu’en accouchant.
La peur de la violence
Si j’arrive assez bien à juguler toutes ces précédentes peurs, j’ai plus de mal à gérer une dernière peur : celle des violences obstétricales, née avec la libération de la parole sur le sujet.
Attention, ne me fais pas dire ce que je n’ai pas dit : je trouve ça formidable que des femmes (et des hommes) se soient levées pour les dénoncer, mais cela m’a mis sous les yeux tout un pan de l’accouchement dont je n’avais pas connaissance.
Et je ne suis pas la seule si j’en crois le pic de recherches Google autour du terme “violences obstétricales” depuis janvier 2017.
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J’ai peur de subir des gestes violents posés par des soignants et soignantes surmenées, j’ai peur que mon consentement ne soit pas demandé ou écouté pour certains actes et j’ai peur qu’on me contraigne à l’immobilité ou à une position pour accoucher.
J’ai peur de me sentir impuissante et minuscule face aux “sachants”. Et peur de m’en vouloir ensuite de ne pas avoir su réagir. Si vous êtes dans le même cas que moi, voici quelques conseils glanés auprès de deux sages-femmes pour se préparer.
Comment se préparer face à la peur d’accoucher ?
Une femme avertie en vaut deux, donc s’informer le plus possible sur le sujet, c’est déjà une bonne idée. On peut notamment suivre des cours de préparation à l’accouchement avec une sage-femme (potentiellement en couple, car c’est chouette que son accompagnante ou accompagnant soit aussi au taquet le jour J).
Selon son lieu d’habitation, on peut aussi plus ou moins choisir le lieu où l’on va accoucher. Se renseigner sur les maternités, leurs pratiques, poser des questions pendant la visite à l’équipe, etc. Y a-t-il une salle “nature” (avec des ballons, une baignoire, etc.) ? Quels sont les taux d’épisiotomie et de césarienne pratiqués ? Combien de naissances y a-t-il par an dans cette maternité ? A-t-on la possibilité de choisir sa posture pour accoucher, etc. ?
Cela peut aussi être le moment de réfléchir à des solutions alternatives pour accoucher comme les maisons de naissance, le suivi par une sage-femme libérale et l’accouchement en plateau technique ou à domicile.
Le projet de naissance
« Je conseille de préparer un projet de naissance et de le négocier en amont avec l’équipe obstétricale (médecin ou sage-femme qui suivent la grossesse) pour qu’il y ait un véritable échange », recommande Isabelle Derrendinger.
On peut ensuite en faire une version écrite qui va être versée dans le dossier médical. Les trucs auxquels on peut réfléchir :
– Péridurale ou pas
– Épisiotomie
– Positions pour accoucher
– Tétée d’accueil ou pas / peau à peau, etc.
– Actes liés au déclenchement (rupture des membranes, ocytocine, …)
– Désir de pouvoir s’hydrater, s’alimenter, bouger, etc.
« La bonne nouvelle, c’est que les pratiques des maternités évoluent dans ce sens-là et les pratiques d’enseignement aussi », assure Isabelle Derrendinger qui précise aussi que certains gestes sont désormais interdits comme l’expression abdominale (le fait d’appuyer fortement sur le ventre de la femme pendant la poussée). Mais qu’il faut parfois savoir renoncer à son accouchement rêvé, dans les cas rares d’urgence vitale pour la mère ou pour l’enfant.
Si une femme n’est pas satisfaite de ce que la sage-femme ou le médecin lui propose, elle peut l’exprimer. Si elle souhaite boire par exemple – conformément aux recommandations actuelles en faveur de l’hydratation pendant le travail- et qu’on lui oppose un refus sans qu’il soit fondé, elle peut demander à en parler avec un tiers médiateur : sage-femme coordinatrice, médecin-chef… Même si le mieux, c’est quand même d’avoir discuté de ça en amont lors d’un rendez-vous prénatal.
Isabelle Derrendinger
Et après l’accouchement ?
Si après coup, on a le sentiment d’avoir subi son accouchement, on peut tenter d’en discuter avec l’équipe médicale ou un autre professionnel extérieur pour tenter de comprendre ce qui s’est passé.
On peut aussi réclamer son dossier médical à la maternité, et coucher par écrit tout ce qui s’est passé, heure par heure, pour ne pas oublier, éventuellement avec l’aide de son ou sa partenaire.
« Après des violences obstétricales, il y a trois réparations à mener. La première est corporelle en passant par l’ostéopathie, la sophrologie, etc. Pour se réapproprier son corps et ne pas rester avec ses douleurs. La seconde est psychologique en se faisant accompagner par un professionnel pour mettre en mots et accepter le souvenir qu’on a de la naissance. La troisième peut être une action en justice s’il s’agit de maltraitance avérée », détaille Catherine Coq.
On peut dans ce cas se tourner dans un premier temps vers les commissions d’usagers qui existent dans les établissements hospitaliers.
La patiente peut s’adresser à eux en tant qu’intermédiaire pour obtenir un éclairage, voire une indemnisation ou une réparation s’il y a eu préjudice.
Des associations et des collectifs comme le Ciane peuvent également accompagner les femmes qui ont été victimes de violences obstétricales, en particulier lorsqu’elles se lancent dans une procédure juridique.
Apprendre le lâcher-prise
Finalement, je me demande si cette inquiétude autour de l’accouchement et des violences obstétricales ne repose pas, chez moi, sur des angoisses plus profondément enfouies.
D’abord, la peur de perdre le contrôle : impossible de prévoir dans les moindres détails comment ton corps va réagir pendant un accouchement. Et pour quelqu’un qui aime bien tout planifier, c’est un cauchemar excellent exercice de lâcher-prise.
Et enfin, la crainte d’être une mère en carton, pendant l’accouchement et ensuite. Mais là, on entre dans un tout autre sujet qui mériterait un second article, ou une thérapie peut-être.
Pour aller plus loin sur le sujet sur la peur d’accoucher :
- Parcourir le rapport du Haut Conseil à l’Égalité sur les violences gynécologiques et obstétricales
- Éplucher l’enquête de l’Inserm sur les morts maternelles
- Suivre le travail du Ciane pour améliorer les conditions de naissance en France
Écoutez Laisse-moi kiffer, le podcast de recommandations culturelles de Madmoizelle.
Les Commentaires
Je m'étais beaucoup renseignée avant ma grossesse et je pensais continuer à le faire pendant mais finalement je n'avais plus trop d'intérêt pour des témoignages autres et j'en ai assez peu lu pendant la grossesse.
Un truc que je voulais éviter, c'était la déchirure, et finalement sur le moment ça n'avait plus trop d'importance, lors de la poussée où j'ai sorti la tête de ma fille, je savais que ça allait se déchirer pendant que je le faisais, et franchement je m'en fichais, je voulais juste que mon bébé naisse là maintenant.
Je me disais avant d'accoucher que dans la majeure partie des cas, tout se passe bien, et que pour le reste des cas, l'accompagnement médical fait que cela se finit généralement bien.
J'ai eu un accouchement facile et rapide, j'ai trouvé ça beaucoup moins douloureux que ce à quoi je m'attendais, j'ai pratiqué un exercice de respiration, utilisé la douche chaude et le ballon, c'était bien. J'ai un peu perdu pied au moment de la phase de désespérance, mais ça a été vraiment court, et c'était plus "je ne vais pas y arriver" que "j'ai mal". Et après c'était la poussée, et j'ai trouvé ça très sportif et intense mais pas douloureux. J'ai trouvé que c'était un beau moment et je n'ai pas eu peur du tout pendant tout l'accouchement.