C’est quoi être un bon parent ? Désolée, cet article ne répondra pas à cette question. À l’heure où la société exige des darons qu’ils performent dans ce rôle qu’ils ont choisi (tu les as voulus, assumes !), cette absence de réponse tient de l’insupportable. La seule chose qui soit désormais actée, c’est que nous devons élever nos enfants avec bienveillance et sans violence. Chez Madmoizelle, nous adhérons à 100 % à ces préceptes, mais nous regrettons la confusion qu’ils entraînent parfois.
La parentalité positive semble aujourd’hui se résumer exclusivement à ses dérives et cette mauvaise interprétation fait du tort aux parents qui s’y méprennent et s’épuisent. Elle ridiculise au passage un courant qui avait pourtant tout pour permettre aux familles de s’épanouir.
Mais pourquoi une telle interprétation et une telle polarisation ?
Les violences éducatives ordinaires dans notre société
Le caractère intolérable des maltraitances infantiles fait consensus en France, tout comme leurs conséquences sur le développement des enfants victimes. À la condition que ces violences soient gratuites. Depuis le début des années 2000, de nombreuses associations et spécialistes de la parentalité alertent sur un phénomène de maltraitance plus insidieux : les violences éducatives ordinaires, communément appelées VEO.
Selon Héloïse Junier, psychologue spécialisée dans le développement de la petite enfance, ces violences sont perpétrées le plus souvent dans le but d’asseoir l’autorité parentale :
C’est pour cette raison qu’elles sont dites éducatives. Elles peuvent être physiques et / ou psychologiques, mais peuvent aussi se manifester sous la forme d’humiliations et de menaces verbales très fortes.
– T’es pas belle quand tu pleures ! – Si tu ne finis pas ta soupe, l’ogre va venir te manger ! – Mais qu’est-ce que tu es bête, ma parole ! » : Autant de petites phrases violentes que les parents ont parfois du mal à percevoir comme telles. La fondation pour l’enfance, qui milite pour la protection de l’enfance et le respect des droits fondamentaux des plus jeunes, a publié récemment un observatoire de ces violences éducatives ordinaires afin d’évaluer les connaissances des parents sur le sujet. Clémence Lisembard, responsable des opérations au sein de la fondation, constate qu’ils ont encore du mal à identifier ce qui relève ou non d’un comportement violent :
Nous avons souhaité interroger les parents pour savoir où ils se situaient en termes de connaissances du développement de l’enfant et de violences éducatives ordinaires (…)et les résultats sont très parlants : s’ils sont assez au fait sur les violences physiques, sur les violences psychologiques, ils sont vraiment perdus.
La parentalité bienveillante, la pratique éducative de référence
Au-delà de certaines pratiques qui tombent clairement sous le joug de la maltraitance infantile et au risque de vous décevoir, il n’existe pas de liste exhaustive des VEO. Héloïse Junier insiste avant tout sur l’intensité et la fréquence de ces violences. Un point de vue que partage Clémence Lisembard :
Quand il s’agit de définir une VEO, ce sont des questions subjectives sur lesquelles on ne peut pas trancher de façon générale. Il y a une question d’intention derrière et il y a surtout une question d’intensité et de récurrence. On ne peut pas dire aux parents : voici ce que vous pouvez faire ou ne pas faire !
S’il n’existe pas de liste exhaustive regroupant ces violences éducatives ordinaires, il existe en revanche des pratiques de références qui permettent de favoriser l’épanouissement de l’enfant au sein de sa famille.
Depuis 2006, le Conseil de l’Europe recommande aux parents de pratiquer une éducation dite « bienveillante », également appelée parentalité positive. Cette éducation bienveillante, ou non violente, implique de répondre aux besoins affectifs et matériels de l’enfant, de garantir sa sécurité physique et mentale, d’encourager son indépendance, de le considérer comme une personne et de proscrire toute violence, même dans un but éducatif… Mais de poser des limites quand c’est nécessaire, comme nous le rappelle Héloïse Junier :
La pierre angulaire de l’éducation non violente, c’est l’écoute des besoins de l’enfant, même s’il faut absolument que le parent maintienne un cadre stable et sécurisant. La parentalité est bénéfique quand le parent transmet des valeurs, des interdits, qu’il favorise le respect du cadre sans violenter l’enfant et qu’il s’autorise une relation chaleureuse, spontanée et authentique avec son enfant.
Quand l’hyperbienveillance s’approprie la parentalité positive
Saisissant les enjeux d’une parentalité respectueuse, mais perdus quant à ce qui relève, ou non de la violence éducative, de plus en plus de parents sont terrifiés à l’idée de violenter leur enfant sans le vouloir. Si les deux professionnelles interrogées se gardent de nous indiquer ce qui est permis ou non, le monde merveilleux d’Internet s’en charge à leur place. Via des conseils, des coachings et des séminaires, les darons apprennent à élever leurs petits chéris dans un cadre toujours plus respectueux et épanouissant, parfois à l’extrême.
On ne sanctionne pas, on câline, on ne frustre pas, on explique et on n’impose pas d’heures de coucher ni de prise de médicaments puisque l’enfant sait mieux que quiconque ce dont il a besoin. Cette interprétation ultra-permissive s’approprie le titre de « parentalité positive » ou « parentalité bienveillante » et décrédibilise largement un mode éducatif raisonnable et libre qui permet simplement aux parents et aux enfants de vivre ensemble dans le respect de chacun. De quoi ternir injustement l’image d’un courant éducatif qui n’a pourtant rien de permissif ni de particulièrement astreignant, contrairement à ce qui est dorénavant véhiculé dans certains médias.
Caroline Goldman, docteure en psychopathologie clinique et autrice du désormais célèbre File dans ta chambre, déplore une confusion généralisée de la part de parents qui souhaitent avant tout bien faire :
50 % des parents qui me consultent sont habités par des problématiques isolées de limites éducatives (…) Lorsqu’on leur demande d’où leur est venue cette idée de ne pas sanctionner, et de ne pas gronder leur enfant qui venait de faire une bêtise, ils nous répondent tous : j’ai lu que c’était très dommageable et que l’enfant pouvait être traumatisé.
Le fait d’éviter les traumatismes infantiles résonne particulièrement chez des parents eux-mêmes élevés par une génération à la main leste et la brimade facile, qui ne s’encombrait pas de ce genre de considérations. À la peur de reproduire malgré soi de mauvais traitements, s’ajoute une pression de la société qui désigne désormais les parents comme seuls garants du bien-être de leur progéniture et de ses réussites futures. La perspective de naviguer à vue et de se tromper est terriblement anxiogène.
La santé mentale des familles face à une éducation permissive
Quand aucun professionnel compétent ne peut proposer de formules miracles, les acteurs de la parentalité hyperpositive dispensent préceptes stricts et vérités générales pour garantir l’épanouissement des enfants, souvent dans le cadre d’accompagnements coûteux. Caroline Goldman cite Claude Halmos pour dénoncer un business lucratif, où la culpabilité parentale est exacerbée afin d’être mieux exploitée par la suite :
La culpabilité des parents est un marché, on joue sur un sentiment qui ne demande qu’à être réveillé pour vendre des livres et des stages de parentalité. »
Au risque de blesser considérablement les familles et de les mener tout droit au burn-out. C’est ce que déplore Léonie Cance, créatrice d’un compte Instagram qui dénonce les dérives de la parentalité positive et prône le retour à une parentalité respectueuse, mais décomplexée :
C’est dramatique, car 99 % des parents qui se posent des questions sont de bons parents. Ces discours leur font perdre le peu de confiance en eux et en leur parentalité qu’ils pouvaient avoir. Cela a un impact très négatif sur leur santé mentale, les études sur le burn-out parental l’ont bien démontré (…) En voulant étouffer tout conflit, on se retrouve face à un effet cocotte-minute qui, sous la pression, finit toujours par exploser.
Quelle méthode parentale adopter ? Celle qui vous fait du bien
Bien que capitales, ces questions éducatives sont tournées en ridicule dans les médias. On oppose désormais comme modes parentaux de référence une caricature de l’éducation bienveillante à un retour à la parentalité autoritaire, alors qu’il n’a jamais été question ni de l’un ni de l’autre. On vous l’accorde, une bonne grosse polémique qui oppose des Bisounours allumés à des Croques mitaines est bien plus vendeur que le constat laconique suivant : les professionnels de la petite enfance ne sont pas tous d’accord entre eux, mais ont chacun des idées intéressantes dont vous pourrez vous inspirer au gré de vos envies et de votre tempérament. C’est toutefois cette phrase rédigée par nos soins et dépourvue du moindre intérêt marketing qui devrait retenir l’attention des parents.
Tous les professionnels que nous avons interrogés sont unanimes : les parents français manquent actuellement d’un accompagnement réaliste et adapté, et d’un accès global à des ressources plurielles. Cédric Rostein, podcasteur et créateur du compte Instagram Papatriarcat, nous confirme d’ailleurs que loin des environnements policés d’Instagram, les vrais parents de la vraie vie n’ont souvent pas les moyens de répondre aux injonctions actuelles :
On met l’enfance et la parentalité sur le banc des accusés, mais on ne questionne pas la société. On a expliqué qu’il ne fallait d’écrans, pas crier, pas de violence, pas humilier, pas frapper. C’est très important, mais on ne s’est pas demandé pour autant quelles étaient les conditions d’accueil de l’enfant. Les congés parentaux sont très mal rémunérés et les congés paternité à peine existants.
Contrairement aux préceptes livrés sur le plateau des comptes Instagram, ces accompagnements et ressources n’auraient pas pour but de dicter sa conduite au parent. Il s’agirait avant tout de le soutenir dans son quotidien et l’encourager à adopter une parentalité respectueuse et authentique. Faites d’imperfections et de tâtonnements, mais surtout de liberté.
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Crédit photo image de une : Getty Images
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Les Commentaires
Et pour moi les "basiques" préconisés de la parentalité bienveillante commencent dès l'accouchement (les premières "injonctions" si je puis dire): accouchement physio, allaitement exclusif et non-écourté, portage, cododo... j'ai essayé de les suivre tous, avec plus ou moins de succès/persévérance/endurance. Force est de constater que ces comportements de parentage proximal concernent surtout les mères de classes aisées, il me semble. La durée de l'allaitement est corrélée au niveau d'éducation de la mère (classe aisée = richesse mais parfois niveau d'éducation aussi ).
Maintenant il me faudrait sûrement des chiffres plus précis, plus sociologiques.